Médias / Santé

Les experts, ces idiots plus ou moins utiles des plateaux de télévision

Temps de lecture : 3 min

[BLOG You Will Never Hate Alone] Depuis l'apparition du Covid-19, on ne compte plus les experts qui disent tout et son contraire.

Le meilleur des experts est celui qui ne sait pas. | victorio marasigan via Flickr
Le meilleur des experts est celui qui ne sait pas. | victorio marasigan via Flickr

Ah les experts! Que n'a-t-on dit à leur sujet? Combien s'est-on gaussé de leurs fausses prévisions lesquelles pourtant ne les empêchent nullement d'en formuler de nouvelles? Que de fois, dans notre envie de trouver un responsable à tout ce foutoir, les a-t-on incriminés eux et leur insupportable arrogance, eux et leurs prédictions mille fois démenties, eux et leur sans-gêne, leur omniprésence, leur façon d'occuper l'espace médiatique au point de donner la nausée?

Ils sont là et partout. À croire qu'ils dorment à même leur chaise, sur ces plateaux de télévision où ils sont chez eux comme ils sont chez eux à la radio, sur les réseaux sociaux, à la une des journaux et maintenant dans les librairies. Ils sont à la fois gourous, prêtres, prescripteurs, prédicateurs, nouveaux intellectuels d'une société qui ne sait plus penser par elle-même. Ils nous rassurent, ils nous effraient; parfois ils nous cajolent comme des mères nourricières, d'autres fois ils nous sermonnent et nous promettent, si nous ne changeons pas nos comportements, l'Apocalypse.

On les aime autant qu'on les maudit. Dans les dîners ou lors de conversations endiablées, on les cite comme des oracles. Ils nous exaspèrent avec leurs leçons de maintien et leurs mises en garde répétées; ils nous émerveillent quand ils dessinent des perspectives qui nous promettent des lendemains heureux. On les reconnaît dans la rue. Eux naguère obscurs savants, médecins de l'ombre, chercheurs accrochés aux paillasses de leur laboratoire, découvrent les charmes pervers de la notoriété quand le boulanger tout sourire leur demande des conseils sur les masques faits maison.

D'un jour à l'autre, ils sont passés de l'ombre à la lumière, des couloirs de leur hôpital aux coursives des stations de télévision. De cette métamorphose, certains ne se remettent pas. Eux autrefois si discrets, si pondérés, si mesurés, voilà qu'ils se découvrent des talents de bonimenteur et s'époumonent à donner le vertige. On les presse de questions, ils répondent comme ils peuvent, sans se donner le temps de la réflexion tout en jouant de données qu'ils manient avec l'aplomb du prestidigitateur capable de deviner l'âge du spectateur assis au troisième rang, près de la dame au chignon.

On les écoute réciter leur catéchèse dans le silence propice à ce genre de prophéties: ce sont les messagers de l'avenir, ceux qui ont plongé les mains dans les entrailles de la science pour mieux nous dire ce qui nous attend. Quand ils se trompent, on leur prédit le bûcher. Lorsqu'ils argumentent avec raison, on les prend pour des rabat-joie. On les veut volubiles mais sitôt qu'ils jacassent de trop, on se fend d'un tweet pour les assassiner en direct. Ils n'ont pas la tâche facile mais c'est sur leurs frêles épaules qu'on prend appui pour dessiner un futur qui nous convient.

Ce virus leur rend la vie impossible. Ils le pensent moribond, le voilà qui rejaillit de ses cendres. Ils annoncent sa renaissance prochaine, c'est le moment qu'il choisit pour prendre un peu de repos. Si bien qu'ils vont de déconfitures en déconfitures, de désaveux en désaveux, de regrets en regrets avec, au fond de leur voix, cette amertume d'être trahis par celui-là même qui devait les révéler au grand public: le virus et ses changements d'humeur continus.

À force de les voir un peu partout, on se demande s'ils travaillent vraiment, s'ils prennent le temps de manger, s'ils ont une vie de famille, ce qu'ils deviendront le jour où tout ce cirque s'arrêtera. Sauront-ils retrouver le chemin de leurs études, la solitude de leur laboratoire, la routine de leur hôpital, là où jamais personne n'aura l'idée de leur tendre un micro? Loin, très loin de l'agitation médiatique, cette drogue dure qui peut rendre fou et savamment idiot.

Évidemment le meilleur des experts, c'est celui qui dit «je ne sais pas». Ceux-là, et ils sont rares, ont l'honnêteté d'avouer que le virus continue à leur échapper et, lucides, ils avouent être incapables de prédire sa trajectoire future. Ils parlent d'une voix posée et douce. On sent chez eux l'amour de la pondération, de la bonne parole, du mot juste. Ils ne font pas dans la provocation ni dans la surenchère verbale et jugent d'un air sévère leurs confrères qui s'agonisent d'injures en s'envoyant des deuxièmes vagues à la figure.

Ceux-là nous sont précieux.

Les autres, tous les autres, peuvent aller se rhabiller.

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