Politique / Monde

À la Maison-Blanche, le bidonnage de bulletins de santé présidentiels ne date pas d'hier

Temps de lecture : 4 min

Ce n'est pas la première fois que la communication autour de l'état de santé du président est d'une troublante opacité.

Le médecin Sean Conley et l'équipe médicale du président sortent de l'hôpital Walter Reed où Donald Trump est traité pour son infection au Covid-19, afin de donner des informations sur son état de santé, le 4 octobre 2020. | Brendan Smialowski / AFP
Le médecin Sean Conley et l'équipe médicale du président sortent de l'hôpital Walter Reed où Donald Trump est traité pour son infection au Covid-19, afin de donner des informations sur son état de santé, le 4 octobre 2020. | Brendan Smialowski / AFP

Au cours des dernières semaines, l'Amérique s'est beaucoup interrogée sur le véritable état de santé de son président. Un peu malade, très malade? Depuis quand? Avait-il reçu de l'oxygène? Son médecin, le Dr Sean P. Conley, a fini par admettre avoir fait de la rétention d'information parce qu'il ne voulait pas entraver «l'attitude optimiste» du président et de son équipe médicale.

La communication de la Maison-Blanche autour de la santé du président Trump a été plutôt obscure et cafouilleuse, notamment les premiers jours lorsqu'il a été hospitalisé et que son chef de cabinet communiquait des informations alarmantes contredisant directement celles transmises par les médecins. Trump semble désormais hors de danger et son médecin a déclaré qu'il n'était plus contagieux, information relayée par le président lui-même sur son compte Twitter («Je ne peux pas l'attraper (immunisé) et ne peux pas le transmettre. Très bon à savoir!»).

Cette situation n'est pas inédite dans l'histoire des États-Unis. Il y a presque 140 ans, l'état de santé d'un autre président faisait l'objet d'une communication plutôt embrouillée de la part de la Maison-Blanche, raconte le Washington Post.

Le 2 juillet 1881, un certain Charles Guiteau tira à plusieurs reprises sur le président américain, James A. Garfield, dans une gare de Washington où ce dernier s'apprêtait à prendre un train pour donner un discours dans son ancienne université. Le président survécut à sa blessure mais dut garder le lit.

Un mois après cet attentat, les communiqués de la Maison-Blanche restaient très rassurants.

«Le président a passé une excellente nuit, et a bénéficié d'un doux sommeil la plus grande partie du temps sans aide de la morphine», annonçait le bulletin matinal des médecins, publié dans le New York Tribune du 7 août 1881. L'amélioration de son état de santé était notable depuis trois jours. «Ses yeux ont retrouvé leur éclat d'antan; sa voix et son teint se rapprochent davantage de ce qu'ils étaient lorsqu'il était en pleine santé et il est plus fort.» La guérison semblait probable et le journal assurait son lectorat qu'il pouvait cesser de s'inquiéter.

Six semaines plus tard, Garfield trépassait.

Les médecins accusés de mentir

Selon Richard Menke, professeur à l'Université de Géorgie, «les bulletins étaient frauduleusement optimistes, peut-être pour rassurer Garfield qui se faisait souvent lire les journaux et qui par conséquent faisait partie du nombreux public qui suivait sa propre histoire.» Ces bulletins étaient transmis par télégraphe et publiés dans les journaux nationaux. D'après le professeur d'université, la convalescence de Garfield fut «le premier événement médiatique suivi en direct en Amérique».

Au moment de l'attentat, à la gare, le Dr D.W. Bliss, médecin personnel du président, chercha la balle logée dans le corps de Garfield, d'abord avec une sonde non stérilisée puis en enfonçant le doigt profondément dans la plaie, raconte l'historienne Candice Millard dans son livre Destiny of the Republic – A Tale of Madness, Medicine, and the Murder of a President. Le président fut ramené à la Maison-Blanche, conscient mais pris de vomissements.

Les premiers communiqués sur la santé du président fluctuèrent énormément. Le lendemain de la tentative d'assassinat, le Washington Evening Star publia un bulletin de santé plutôt rassurant sous le titre: «LE PRÉSIDENT EST VIVANT ET IL VA MIEUX», où il était question d'amélioration de son état de santé et d'espoir de guérison.

Les médecins rapportaient que le président avait passé une bonne nuit «alors que les faits étaient totalement différents» selon le Chicago Tribune.

Quelques heures plus tard, un nouveau bulletin signala que l'état de Garfield était «moins favorable». Mais les fréquentes mises à jour devinrent régulièrement plus positives. Ces communiqués reflétaient l'infinie confiance que le Dr Bliss entretenait en ses propres capacités. «Si je ne peux pas le sauver, personne ne le peut» aurait-il dit selon Candice Millard. Tout alla apparemment pour le mieux jusqu'au 23 juillet où la température du président se mit à grimper et où il dut être opéré, sans anesthésie, pour retirer une poche de pus formée autour de la plaie.

Si dès le 26 juillet les communiqués optimistes reprirent de plus belle, l'ambiance changea et toute la presse ne les prit plus pour argent comptant. Le Chicago Tribune se mit à accuser les médecins de Garfield de mentir quand ils rapportaient que le président avait passé une bonne nuit «alors que les faits étaient totalement différents». D'autres raisons motivaient cette méfiance. Les médecins n'avaient pas réussi à récupérer la balle fichée dans le corps de Garfield. L'inventeur du téléphone, Alexander Graham Bell, mit au point un appareil pour la localiser, sans succès. Le médecin de Garfield, le Dr Bliss, avait un CV assez original comprenant un traitement charlatanesque pour le cancer et un petit passage en prison pour corruption.

Mais surtout, le Dr Bliss ne croyait pas à l'importance de la prévention des infections, théorie assez neuve et peu répandue parmi les médecins américains les plus âgés. Les accès de fièvre du président furent mis sur le compte du paludisme et selon Millard, le président «mourait en pourrissant» sans que le Dr Bliss n'y remédie.

Pourtant, le 18 août le bulletin de santé se déclara «plus optimiste» que celui de la veille. Enfin, l'état déplorable de Garfield incita les membres du cabinet à dire ce que les médecins et les journaux taisaient. «La fin semble proche», confia le secrétaire d'État Lincoln au Post le 25 août. Garfield mourut le 19 septembre.

Ironie de l'histoire, Charles Guiteau, l'homme qui avait tiré sur le président (et qui fut pendu l'année suivante) déclara: «Les médecins qui l'ont mal soigné devraient porter le fardeau de la haine suscitée par sa mort, et pas celui qui l'a attaqué. Ce sont eux qui devraient être condamnés pour le meurtre de James A. Garfield, pas moi.»

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