Des chiots. Des chiots partout. C'est du moins ce que je vois tous les jours lorsque je sors promener Jet, mon berger allemand de 6 ans, dans les rues bordées d'arbres du centre de Salt Lake City (Utah). Des petits labradors, des bergers, des border collies et autres, qui gambadent et reniflent joyeusement aux côtés de leurs nouvelles familles. Les refuges et les éleveurs ont été pris d'assaut cette année par des gens qui ont tenté d'apporter un peu de joie et peut-être aussi un peu de sens dans leur vie en cette période angoissante.
Pourtant, aussi adorables soient-ils, ces chiots du confinement risquent tôt ou tard de donner du souci à celles et ceux qui les ont adoptés pour en faire leurs petits rayons de soleil au milieu de cette sombre et interminable période de pandémie.
«Je crois que les gens s'attendent à une sorte de relation interespèces particulière avec les chiens», explique Julie Hecht, doctorante en éthologie à la City University de New York. Ils n'ont pas tort: nos chiens sont incroyablement proches de nous, réceptifs à ce que nous ressentons, attentifs à tout ce que nous faisons, et il ne fait aucun doute qu'avoir un ami à quatre pattes qui est toujours heureux de vous voir (ou, plus vraisemblablement durant les premiers jours du Covid, qui reste toujours à vos côtés) rend les périodes de stress plus faciles à vivre.
Vous et le reste du monde
Mais avec les retours à l'école ou au travail de fin de confinement, certain·es vétérinaires et comportementalistes animaliers commencent à voir apparaître des problèmes chez les chiots. Car si vous avez du mal à faire face à tous les changements qui ont récemment bousculé nos vies, imaginez à quel point cela peut être aussi difficile pour votre chien.
Le problème est que les chiots de la pandémie sont trop attachés à nous. «Les chiots sont au centre de l'attention de la famille», explique la vétérinaire Laura McLain de l'hôpital vétérinaire Holladay, dans l'Utah. Cela a été encore plus vrai durant le confinement. Auparavant, un chiot devait, durant ses premiers mois de vie, s'habituer aux allers et venues de ses maîtres dans la journée, ou même à avoir la maison pour lui tout seul durant un certain temps.
Alors que nous pouvions compter sur d'autres personnes (employées pour les promener, les garder, les dresser…) pour divertir et socialiser nos chiens dans le monde d'avant, nous sommes soudainement devenus le monde entier pour nos chiens. «La socialisation de début de vie consiste à aider les animaux à rejoindre le monde dans lequel ils vont vivre», explique Julie Hecht. Les chiots du confinement ont été, sans le savoir, conditionnés à un monde dans lequel ils seraient toujours avec nous.
Manque de socialisation
Être constamment en notre compagnie ne rend toutefois pas nécessairement la vie moins stressante pour les chiens. S'ils ne connaissent que nous, le reste du monde peut leur paraître inquiétant –en particulier lors des visites chez le vétérinaire. Les chiots du confinement américains, adoptés en avril et mai, sont en train d'arriver à l'âge où ils vont pouvoir être stérilisés. Cependant, durant les soins postopératoires, Laura McLain et ses collègues ont remarqué quelque chose d'étrange.
Un grand nombre des chiots opérés réagissaient avec peur et agressivité lorsque les vétérinaires venaient leur mettre la célèbre collerette (parfois appelé collier élisabéthain). Les chiots tentaient de s'enfuir, mordaient et, dans l'ensemble, réagissaient beaucoup plus violemment que d'habitude.
Les chiens ne pouvant pas parler, il est difficile d'en être sûr à 100%, mais Laura McLain pense que cela pourrait être un symptôme de ce manque de socialisation. La peur est aussi sans doute accentuée par les mesures de distanciation physique appliquées chez les vétérinaires et le fait que tout le monde porte des masques —un vrai problème pour des animaux aussi sensibles à nos visages et à nos expressions.
Nos chiens ne sont pas non plus habitués à être laissés seuls. Avec la sortie du confinement, ils se retrouvent sans nous durant de longues périodes, parfois pour la première fois de leur vie. «Confinement ou pas, les changements opérés dans les routines quotidiennes peuvent toujours avoir des effets négatifs sur les chiens», précise Julie Hecht, surtout lorsque nous ne nous rendons pas compte que nos chiens ont besoin de notre aide et de notre patience pour faire face à ces changements.
Changements de rythme
Des absences nouvelles peuvent entraîner des angoisses de séparation. Cela peut être aussi vrai pour des chiens plus âgés, même si les chiens ne sont pas totalement seuls. J'ai récemment dû faire un voyage de deux jours au parc national d'Arches, où les chiens ne sont pas autorisés. Le matin de mon départ, je n'ai même pas eu le temps d'arriver à l'autoroute que je recevais déjà des messages de ma petite amie. Jet, qui est pourtant d'habitude assez indépendant, s'était mis à agir bizarrement: il avait sauté sur le lit, s'était mis à lui aboyer au visage et avait couru à travers tout l'appartement pour me chercher dès qu'elle lui avait ouvert la porte de la chambre.
Je n'avais pas pensé au fait que, depuis mars, je n'étais jamais resté loin de ses yeux ou de sa truffe. Les promenades matinales en famille étaient devenues une routine quotidienne. Lui avoir caressé l'oreille avant de partir en lui disant que j'allais bientôt revenir ne changeait rien pour lui. Pour moi, je faisais juste une pause –il était évident pour moi qu'il allait adorer rester seul avec sa maman. Mais à ses yeux, j'avais brusquement modifié un rythme que nous avions mis en place au fil de plusieurs mois sans nous en apercevoir.
Les chiens peuvent faire de si bons compagnons, si intuitifs, qu'il devient parfois facile d'oublier qu'ils sont, en fait… des chiens. Ils ne vivent pas et ne comprennent pas le monde de la même manière que nous. Il va sans dire que tous les chiots n'auront pas ces problèmes comportementaux et ne deviendront pas agressifs, mais lorsqu'il arrive des changements spectaculaires dans nos vies, il est important que nous soyons aussi attentifs à la manière dont réagissent nos compagnons à quatre pattes.
Comme nous, ils peuvent se trouver désorientés dans la situation actuelle. Les aider à affronter l'angoisse de la séparation, notamment, requiert de la patience, en essayant des techniques comme partir et revenir à des intervalles de deux minutes, puis cinq, puis vingt, etc. jusqu'à ce que le chien comprenne que nous finirons bien par revenir et que le monde ne va pas s'écrouler parce que nous ne sommes pas là. Parfois, nous aimerions bien que l'on nous apprenne à nous aussi à rester zen.