Culture

Mary Lattimore, Rich Aucoin, Slow Pulp: les sorties d'albums à ne pas manquer

Temps de lecture : 5 min

Tous les quinze jours, la rédaction de Slate partage les coups de cœur qui tournent en boucle dans ses écouteurs.

«Silver Ladders» de Mary Lattimore, «United States» de Rich Aucoin, «Moveys» de Slow Pulp. 
«Silver Ladders» de Mary Lattimore, «United States» de Rich Aucoin, «Moveys» de Slow Pulp. 

Mary Lattimore | «Silver Ladders» (Ghostly International / Modulor)

L'automne a désormais pris ses aises, et avec lui a débarqué chez nous un besoin d'évasion bien plus envahissant qu'habituellement. Si certains disques sortis en 2020 nous ont semblé avoir été, consciemment ou non, taillés pour illustrer les premiers mois de cette très longue année, en voilà un qui va accompagner à merveille les quelques semaines restantes, pour le temps qu'il requiert à être vraiment assimilé autant que pour la facilité qu'il offre à s'y perdre: Silver Ladders est une immersion d'une délicatesse folle dans des contrées musicales imaginées par la harpiste Mary Lattimore.

Tenter de suivre la carrière de la compositrice américaine n'est pas chose aisée: déjà bien occupée par sa propre production solo depuis bientôt dix ans, on la retrouve sur un nombre considérable de projets collaboratifs, autant que par petites touches chez certain·es musicien·nes chéri·es, de Thurston Moore à Sharon Van Etten, en passant par Julianna Barwick, Kurt Vile, Soccer Mommy ou encore Jarvis Cocker.

Son dernier album solo, Hundreds of Days, n'a que deux ans d'âge, et malgré l'intense tournée qui l'a suivi et la sortie de plusieurs collaborations (avec Meg Baird ou Mac McCaughan), elle nous présente avec Silver Ladders un nouveau voyage expérimental né en partie de sa rencontre avec Neil Halstead, leader vénéré de Slowdive et Mojave 3. Fan invétérée du musicien anglais, elle a profité d'une rencontre fortuite dans un festival pour lui proposer dès le lendemain de produire ses nouvelles expérimentations, elle qui jusque-là ne laissait quasiment personne s'approcher de ses compositions en solo.

Enfermé pendant neuf jours dans le studio de Halstead, installé dans un ancien aérodrome en Cornouailles, le duo s'est nourri l'un de l'autre, la guitare du Britannique ne prenant jamais plus de place que nécessaire et amenant une nouvelle respiration aux compositions presque impressionnistes de l'Américaine, comme sur la superbe «Sometimes He's In My Dreams», où les forces de chacun d'eux viennent se compléter à merveille. Tout sur Silver Ladders est subtil, tout y est profond, et même accompagnée, Mary Lattimore présente ici son travail le plus libre, nous offrant des paysages dans lesquels on pourra longtemps s'abandonner, en s'y émerveillant à chaque fois d'une nouvelle découverte.

François Pottier

Rich Aucoin | «United States» (Haven Sounds)

Si vous avez vu Rich Aucoin en concert, votre amour pour le Canadien est sans doute indéfectible –le nôtre ne faiblira jamais. On l'a vu, perché sur une planche et dans une salle hilare de Rouyn-Noranda, au Québec, donner au terme «crowdsurfing» une expression littérale.

Au Café de la Danse, à Paris, on a vu ce showman génial entraîner le public dans une carmagnole épique et joyeuse. Avec deux ou trois riens mais en donnant absolument tout, il distribuait joie et amour comme on refile des microbes dans une contagion sans limite, l'une des plus belles épidémies d'énergie depuis Arcade Fire, auquel on le compare parfois.

On ne l'a en revanche pas vu sur les routes américaines, quand ce furieux homme-orchestre est parti, en voisin, explorer le pays et son âme à bicyclette. Un concert dans chaque ville, une tournée à la force des mollets, l'interminable odyssée pédalée d'un Forrest Gump trop malin pour son époque, destinée à offrir lumière et fonds à la noble cause de la santé mentale.

Des déserts de l'Ouest aux plaines perdues, de l'opulence au désespoir, de MAGA à la résistance, Rich Aucoin a croisé beaucoup de monde, a vu, vécu, senti beaucoup de choses. Il en a fait un album assez logiquement intitulé United States. On l'écoute en quasi-boucle depuis sa sortie: comme ses prédécesseurs (We're All Dying to Live en 2011 puis Ephemeral trois ans plus tard), et à l'instar de ses concerts, c'est une géniale petite centrale nucléaire miniature, à laquelle on puise à l'envi une énergie infinie.

Mais cette fois, plus encore que les précédentes, cette énergie est faite de rage et de colère: United States est un album de protest songs multicolores qui se dansent le poing levé et l'esprit à vif, en foule incandescente, habitée par l'impératif besoin de se secouer le corps et d'entrer en lutte pour ne pas mourir d'ennui et d'apathie.

Il y a tout, dans le très screamadeliquien United States: de la pop de diner et du rock arc-en-ciel, des synthés enflammés pour dancefloors protestataires, des gospels en ébullition, des chœurs qui collent à l'âme et des mélodies qui décollent les nuages. Il y a de la révolte et de l'amertume, des hymnes à l'amour et d'autres au dégoût, des textes forts et des impressions sombres, beaucoup de sérieux mais énormément d'humour –regardez le fabuleux clip de «Walls» si votre journée manque de zygomatiques.

Il y a, surtout, beaucoup d'espoir: il reste possible de faire l'Amérique grande à nouveau, si l'on s'y prend avec un cœur aussi gros que celui de Rich Aucoin.

Thomas Burgel

Slow Pulp | «Moveys» (Winspear / Modulor)

C'est l'histoire d'un disque qui a émergé du tumulte. À l'époque où ils viennent de finir de composer leur premier album, les membres de Slow Pulp ne s'étaient pas préparés à ce que leur chanteuse et guitariste, Emily Massey, soit diagnostiquée de la maladie de Lyme. Elle raconte à sa maison de disques: «Quand nous avions commencé à écrire cet album, je ressentais beaucoup de fatigue et je tombais souvent malade, mais je ne savais pas ce que c'était. Le diagnostic a confirmé une grande partie de ce que je ressentais et j'ai obtenu des outils pour mieux prendre soin de moi.»

L'annonce de la maladie d'Emily pousse le quatuor du Wisconsin à repartir de zéro et à enregistrer un nouveau disque, davantage en phase avec ce qu'ils vivent. Ils composent la plus grande partie lors d'une tournée à l'automne 2019 avec le chanteur Alex G. Alors que le disque est pratiquement achevé, le groupe apprend que les parents d'Emily ont été victimes d'un grave accident de voiture, obligeant la chanteuse à mettre sur pause la production de l'album pour aller les rejoindre.

Une semaine plus tard, la pandémie de Covid-19 frappe violemment les États-Unis, la population est appelée à se confiner. Emily est bloquée à Madison, les autres membres du groupe sont à Chicago. Comme beaucoup d'autres, ils doivent apprendre à composer avec les moyens du bord pour mener à bien leur projet; ils ont recours aux FaceTime et aux enregistrements à distance, et Henry Stoehr, le guitariste de la bande, prend finalement en charge la partie production et mixage de l'album.

C'est ainsi que Moveys a finalement pu voir le jour ce vendredi 9 octobre. Oscillant entre dream pop et shoegaze, le disque résume toute cette période sombre et tempétueuse que le groupe a traversée, marquée par la maladie d'Emily, l'accident de ses parents et la crise sanitaire. «La vie était complètement surréaliste, et tout avait radicalement changé et à un rythme si rapide, explique la chanteuse. Je sentais que je n'arrivais pas à faire face à mes émotions parce que je devais prendre soin de ma famille. Pendant longtemps, c'était devenu plus facile de rester paralysée, de me créer une façade et de faire comme si j'allais bien, plutôt que de m'en libérer de façon saine.»

Le résultat de ce trop-plein d'émotions est un disque qui alterne le calme («Falling Apart») et l'agitation (les très bons «Idaho» et «At It Agent»), porté par la voix douce et traînante d'Emily et la légère réverbération des guitares. Et s'il aurait mérité quelques fois d'être un peu moins lisse, ce premier album présage de belles choses pour le jeune groupe.

Hélène Pagesy

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