Santé

Avant d'envisager un second confinement, il faut peser l'impact psychologique du premier

Temps de lecture : 5 min

En France comme ailleurs, la pandémie de Covid-19 et le confinement ont eu des conséquences sur la santé mentale. Un élément à considérer pour faire face à une deuxième vague.

Les troubles du sommeil se sont maintenus après le déconfinement. | Atharva Tulsi via Unsplash
Les troubles du sommeil se sont maintenus après le déconfinement. | Atharva Tulsi via Unsplash

Alors que la circulation du Covid-19 s'intensifie, Abhijit Banerjee et Esther Duflo, deux des trois prix Nobel d'économie 2019, proposent un confinement préventif de trois semaines avant Noël. Certains pays reconfinent déjà: partiellement comme à Madrid, ou totalement comme en Israël. Épée de Damoclès sanitaire, le risque d'un nouveau confinement, même localisé, plane au-dessus de la France.

Selon un sondage dont les résultats ont été publiés le 26 septembre, 72% des Français·es se disent prêt·es à un nouveau confinement de quinze jours. Pourtant, celui que nous avons connu entre mars et mai a eu des conséquences parfois graves sur leur santé mentale.

«Je me suis retrouvé isolé et dès la deuxième semaine, j'ai commencé à boire et à avoir des idées suicidaires», témoigne Étienne*, un de mes patients. Pour cet indépendant, l'arrêt de son travail a été dur à la fois psychologiquement et financièrement. «Mon travail, qui est quelque chose de structurant pour moi, s'est stoppé net. Je ne pouvais plus voir ma psychologue. J'étais loin de mes proches et du soutien de mes amis.»

Étienne n'est pas seul. Nombreuses ont été les personnes à souffrir de la deuxième vague psychiatrique du Covid-19: durant la période de juillet et août, plus de 50% des patient·es hospitalisé·es dans mon service l'étaient à cause de la pandémie et du confinement. Hypocondrie, troubles anxieux ou dépressifs, addictions, mais aussi décompensation psychotique: tous les types de pathologies étaient représentés. Certaines personnes avaient, comme Étienne, des antécédents; d'autres au contraire étaient jusque-là indemnes de toute pathologie.

Les Français·es n'ont pas été tous et toutes vécu cette pandémie de la même manière. C'est ce que montrent les études qui commencent à se multiplier.

Le bond des troubles psychologiques

L'impact psychologique du confinement avait déjà été démontré à plus petite échelle au cours de précédentes épidémies comme le SRAS ou Ebola. Dans un article paru en février 2020, la revue scientifique médicale The Lancet notait une augmentation des dépressions, du stress post-traumatique, parfois jusqu'à trois ans après l'épidémie. La durée du confinement, le manque de clarté dans la communication des responsables politiques, la crainte pour soi ou pour ses proches, mais aussi la précarité économique: autant d'éléments favorisant l'apparition de troubles psychologiques.

Inédite par son ampleur et la longueur du confinement, la crise du Covid-19 confirme ces données. Santé publique France a suivi l'évolution psychologique de la population générale de mars à août, à travers un échantillon représentatif de 2.000 personnes. Mi-mars 2020, la population française a vécu un véritable état de sidération mentale, entre la peur du coronavirus et le changement brutal de mode de vie. Les troubles psychologiques ont alors fait un bond.

Lors de la première semaine de confinement, la dépression passe brutalement à 19,9% (contre environ 10% habituellement) avant de diminuer à la fin du confinement. Les troubles anxieux sont passés de 15% habituellement à 26,7%. Les troubles du sommeil se sont maintenus à un niveau plus élevé que d'habitude durant toute la durée du confinement et s'y sont maintenus après le déconfinement.

Prévalences et évolutions des indicateurs de santé mentale et des problèmes de sommeil (% pondérés), Enquête CoviPrev, France métropolitaine, 2020. | Santé publique France

L'impact psychologique recoupe les inégalités sociales

Comme Étienne, les personnes ayant vu leur santé mentale se dégrader le plus sont celles dans une situation financière très difficile ou ayant des antécédents. Les personnes souffrant de l'inactivité induite par le confinement étaient concernées par un état anxieux, tandis que les personnes à risque de développer une forme grave de Covid-19 étaient davantage concernées par un état dépressif.

La première étude européenne réalisée à l'échelle d'un pays entier vient confirmer les résultats de Santé publique France. Menée par le psychiatre Nicolas Franck et se basant sur les réponses de 20.000 personnes, cette enquête s'est penchée sur le bien-être durant le confinement, qui souvent recoupe les fractures sociales. Être confiné·e dans un petit appartement sans accès à un espace extérieur ou encore avoir un enfant de moins de 10 ans étaient liés à un niveau de bien-être inférieur.

«Il est plausible d'anticiper une augmentation des troubles anxieux généralisés [...] y compris chez les personnes indemnes jusque-là.»
Nicolas Franck, psychiatre

Les contacts sociaux étaient essentiels. Le fait de pouvoir travailler, même télétravailler était bénéfique au bien-être. Se retrouver isolé·e dans une petite surface était pire que d'être à plusieurs dans un logement de grande taille. Maintenir des contacts sociaux grâce au téléphone ou par SMS était salutaire «mais pas via les réseaux sociaux», précise Nicolas Franck dans un livre à paraître le 28 octobre, intitulé Covid-19 et détresse psychologique – 2020, l'odyssée du confinement. «Cette étude confirme le caractère superficiel de ces derniers et une utilité –en dehors bien entendu des modalités de discussion et directe par son, image ou même texte– essentiellement limitée au domaine du simple renforcement narcissique.»

Les résultats du niveau moyen de bien-être étaient cohérents avec ceux obtenus hors de cette période de pandémie, sauf pour les étudiant·es qui présentaient des scores nettement inférieurs. Le sentiment d'incertitude quant à leur avenir était source de stress et d'altération de leur bien-être mental.

«Le confinement a joué le rôle d'un facteur de stress. Il a altéré le bien-être de la population française, touchant plus fortement les étudiants, les personnes en invalidité et celles qui vivent dans les conditions les plus modestes, résume Nicolas Franck. L'augmentation du stress est susceptible de révéler les fragilités de chacun, il est plausible d'anticiper une augmentation des troubles anxieux généralisés, des dépressions, après le confinement, modes d'expression les plus fréquents d'une vulnérabilité psychique y compris chez les personnes indemnes jusque-là. Ceux qui présentaient déjà des troubles touchant ces dimensions ou d'autres –psychotique, maniaque, obsessionnel ou autre– courent le risque de voir leur pathologie s'aggraver.»

Situation similaire au niveau mondial

La France ne fait pas exception et l'on retrouve des résultats similaires à travers le monde. En Belgique, les chiffres ont quasiment doublé durant le premier mois de confinement par rapport à la même période en 2018, passant de 11% à 20% pour les troubles anxieux et de 10% à 16% pour les troubles dépressifs. Parmi les plus touchés, les femmes, les jeunes et ici encore les personnes n'ayant pas pu continuer leur activité, plus nombreuses à présenter des troubles dépressifs (22%) que celles qui ont continué à travailler (14%).

Aux États-Unis, les symptômes de dépression ont même triplé chez les adultes, passant de 8,5% à 27,8%. Une étude menée entre le 31 mars et le 14 avril, alors que la population américaine était confinée à 96%, rapporte ainsi une augmentation inédite des dépressions. D'autres événements traumatiques avaient déjà impacté la santé mentale des Américain·es, comme les guerres ou les attentats du 11-Septembre, parfois en doublant les symptômes de dépression, mais jamais en les multipliant par trois. Plus que dans les autres crises, les syndromes dépressifs étaient liés à des facteurs économiques comme la perte d'emploi ou les problèmes financiers. Les personnes ayant moins de 5.000 dollars d'épargne présentaient ainsi pour 50% d'entre elles des symptômes dépressifs.

«Ce fardeau est porté par les groupes socialement et économiquement marginalisés, conclut l'équipe de recherche. Ce qui suggère que les personnes avec des bas revenus et peu de ressources pourraient bénéficier particulièrement de l'attention des politiques dans les mois à venir.» Ayant été hospitalisé à cause du Covid-19, Donald Trump sera peut-être à présent plus sensible à ces arguments.

Touchant plus particulièrement certaines catégories de la population telles que les étudiant·es, les personnes en invalidité ou encore celles qui vivent dans les conditions de vies les plus modestes, la pandémie et le confinement ont eu des conséquences psychologiques indéniables. Autant de facteurs à prendre en compte en cas de nouvel épisode de confinement.

* Le prénom a été changé.

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