«C'est compliqué» est une sorte de courrier du cœur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c'est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes. Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: [email protected]
Vous pouvez aussi laisser votre message sur notre boîte vocale en appelant au 07 61 76 74 01 ou par Whatsapp au même numéro. Lucile vous répondra prochainement dans «C'est compliqué, le podcast», dont vous pouvez retrouver les épisodes ici.
Et pour retrouver les chroniques précédentes, c'est par là.
Chère Lucile,
Il y a un peu plus de quatre ans, je rencontrais un homme via une application de rencontres. Il avait huit ans de plus que moi, ce qui m'a toujours un peu attirée. Pendant un mois, il s'est présenté à moi sous un certain nom mais comme j'ai creusé un peu, il m'a avoué que c'était un pseudonyme et m'a donné son vrai nom et sa vraie profession.
Il travaillait donc pour l'armée de terre et partait régulièrement à l'étranger pour des missions spéciales. Il a été blessé en Afghanistan, ce qui a failli lui coûter la vie, et son meilleur ami y a perdu sa jambe. Bref, c'était ce genre de gros dur, plein de cicatrices, aussi bien physiques que mentales. Le genre qu'on a envie d'entourer d'amour pour le guérir de tous les maux de ce monde.
Un détail et pas des moindres, c'est qu'il est devenu stérile à la suite de son accident en mission. Il me l'a dit rapidement: il n'a que 3% de chances de procréer, aucun recours possible là-dessus. Malgré tout, il veut des enfants et moi aussi. À ce moment, on n'en parle plus, je préfère ne pas y penser. Mais c'est trop tard, la fascination et le mystère autour de lui opèrent, je ne peux plus m'échapper.
De son côté, il a été marié et ne souhaite plus de vie de couple conventionnelle. Il vit au jour le jour, «sans se prendre la tête», son job est sa passion, sa priorité dans la vie. Une copine, c'est agréable mais pas nécessaire à son bonheur, me dit-il.
J'essaye de le comprendre, d'accepter et de faire de même mais je me rends vite compte que j'ai besoin de plus. J'ai besoin de faire des projets à deux. Je ne demande ni la lune ni une demande en mariage, simplement de pouvoir prévoir un week-end ou des vacances à deux.
Il faut dire aussi que la communication entre nous est difficile. Malgré tous mes efforts, monsieur n'exprime pas beaucoup ses sentiments ni ce qu'il veut. Tout est flou pendant des mois, des années.
Alors je tente de m'échapper régulièrement de cette situation qui me frustre et que je sais toxique. C'est là que le jeu commence: lui le chat, moi la souris. Il trouve les mots pour m'attirer à lui et ça fonctionne. Je tente de bloquer toutes les voies de communication quelques mois, puis fais une rechute.
Il finit par mettre fin lui-même à cette histoire en disant que nous n'avons pas les mêmes attentes (ce que je lui dis depuis le début), mais me dit enfin «je t'aime» des semaines plus tard. Le chaud et le froid. Il ne sait pas ce qu'il veut puis me dit finalement vouloir une relation de complaisance.
Cette fois-ci, je pars sans me retourner. Je rencontre quelqu'un d'autre, avec qui je suis bien, une relation saine comme je le souhaitais. Mais après plus d'un an, je pense toujours à lui tous les jours, je le vois et le cherche partout dans la rue, dans les bars. Il me hante tel un fantôme. Lui continue de m'envoyer des messages anodins régulièrement, nous nous croisons parfois dans la rue en faisant mine de ne pas nous voir.
Je sais qu'il pense à moi aussi. Ou bien ai-je rêvé tout ça? Ai-je eu affaire à un pervers narcissique ou à un homme meurtri? Le sujet des enfants est aussi très présent, peut-être cherche-t-il à m'offrir une possibilité d'être maman un jour avec un autre?
Je me pose beaucoup de questions, je lutte contre moi-même en permanence et cela devient fatigant. J'ai parfois des moments de faiblesse où je suis à deux doigts d'envoyer un message, mais je tiens bon. Cela fait plus d'un an maintenant, quand cela cessera-t-il? Arriverai-je à l'oublier un jour? J'aimerais pouvoir vivre ma relation actuelle sans ce fantôme du passé qui m'empêche d'aller de l'avant. Mais je n'arrive pas non plus à tirer un trait sur mes espoirs avec cet homme dont j'étais et suis toujours éperdument amoureuse.
Claire
Chère Claire,
Je connais bien le fantôme dont vous parlez. Je crois même que je vis depuis des années avec des fantômes similaires, les fantômes des relations passées. En fait, ces fantômes ne sont pas uniquement des histoires d'amour terminées, mais des aventures qui n'ont pas eu lieu ou qui ont été avortées. Ces fantômes, ce sont des regrets et bien souvent le souvenir d'une situation qu'on n'a pas maîtrisée, sur laquelle on n'a pas eu de prise.
Rien n'aurait pu faire changer cet homme et votre histoire, malgré la sincérité de vos sentiments à tous les deux, n'aurait pu s'écrire que s'il avait été une autre personne, avec un autre type de vécu. Vous vous êtes donné une chance et il s'est rendu compte qu'il ne saurait pas se faire violence ou qu'il n'en avait tout simplement pas envie. Oui, vos envies divergeaient et en fait, vous étiez carrément incompatibles. Et c'est probablement encore le cas aujourd'hui.
Le fantôme qui vous hante, c'est le fantôme de votre impuissance. Il vous poursuit de ses «j'aurais pu...», «peut-être que si je...», «j'ai peut-être été...» mais cette histoire qui ne s'est pas écrite n'a rien à voir avec vous. Cet homme a des attentes particulières qui ne vous correspondent pas. Cet homme ne peut plus avoir d'enfants. Il a du mal à exprimer ses sentiments et ne sait le faire que quand il est acculé.
Vous prenez sa dernière déclaration pour une porte qui s'entrouvre quand c'est en réalité une porte qui se referme. Ce «je t'aime» n'est pas une invitation à espérer encore mais un dernier cadeau, l'expression de sentiments sincères pour ne pas vous faire regretter ou désavouer ce que vous avez partagé ensemble. C'est un je t'aime qui veut dire «même si je m'y suis mal pris, ne doute pas que je t'ai aimée».
Il pense peut-être encore à vous mais il n'y a aucune raison de le savoir parce qu'il a fait le choix d'arrêter votre histoire, puis de ne pas vous recontacter. Vous devez respecter ce choix. Dans une autre vie, avec d'autres vies, vous auriez probablement pu vivre quelque chose de fort. Mais dans ce contexte, cela n'a pas été possible.
Vous devez faire le deuil de cette histoire rêvée. Et accepter que plus le temps passe, plus votre fantôme n'est nourri que par vous-même. Si vous le laissez faire, il continuera sa vie propre, alimenté par vous et finira par n'avoir plus rien à voir avec l'homme que vous avez aimé. Il ne sera là que pour vous torturer et vous rappeler un échec dont vous n'êtes pas responsable en vous faisant croire que c'est le cas.
Ce fantôme, Claire, il va falloir lui dire adieu. Parce qu'il ne dit rien de ce que vous avez vécu mais beaucoup de vous. Apprenez à lâcher prise et à accepter que l'amour ne fait pas tout, que vous n'avez pas toujours l'opportunité de changer les choses et les gens. Petit à petit, vous verrez que les visites de l'esprit de votre culpabilité et de vos regrets s'espaceront.
«C'est compliqué», c'est aussi un podcast. Retrouvez tous les épisodes: