Culture

Rashida Jones est bien plus qu'une actrice cool

Temps de lecture : 5 min

Après avoir incarné des personnages dans des séries cultes, elle a décroché le premier rôle dans le dernier film de Sofia Coppola. C'est aujourd'hui l'une des actrices les plus passionnantes d'Hollywood.

Rashida Jones à la soirée organisée par Vanity Fair en l'honneur des Oscars, le 9 février 2020 en Californie. | Frazer Harrison / Getty Images / AFP
Rashida Jones à la soirée organisée par Vanity Fair en l'honneur des Oscars, le 9 février 2020 en Californie. | Frazer Harrison / Getty Images / AFP

Rashida Jones est ce que l'on pourrait appeler une enfant de la balle: une mère actrice (Peggy Lipton), un père couronné de succès dans le monde la musique (Quincy Jones), un mari à la tête d'un des groupes d'indie pop les plus vénérés au croisement des années 2000 et 2010 (Ezra Koenig, tête pensante de Vampire Weekend), et même une grande sœur que l'histoire a retenu comme la dernière petite amie de 2Pac.

Ce n'est peut-être qu'un détail, mais celui-ci a son importance quand on sait que, à 17 ans, en 1994, Rashida Jones prend la parole pour répondre aux attaques du rappeur américain, qui accusait Quincy Jones de ne rien faire pour la communauté noire, se contentant «de mettre sa bite dans des Blanches et de leur faire des putains de bébés». Sa réponse fut cinglante: «Petit enfoiré, tu ne serais pas là s'il n'avait pas accompli tout ce qu'il a accompli.»

À cet instant, Rashida Jones n'est plus uniquement cette ado étudiant à Harvard, spécialisée dans la religion et la philosophie. C'est une jeune femme au fort caractère, qui rêve d'être avocate, qui a des convictions et une certaine faculté à les défendre. L'histoire en témoignera.

On est alors au milieu des années 2000, l'Américaine vient d'enchaîner les seconds rôles (dans la série culte de Judd Apatow, Freaks and Geeks, ou chez Steven Soderbergh), elle commence à s'en lasser, persuadée de ne pas être «assez légitime pour aspirer à être actrice», mais décide malgré tout de passer de nouveaux castings. Comme ça, juste pour se prouver une fois pour toutes qu'elle n'est définitivement pas faite pour ce métier.

C'est l'inverse qui se produit: Rashida Jones tape dans l'œil des directeurs de The Office, et devient rapidement le choix évident parmi les trois dernières candidates auditionnées. Un sentiment partagé par Jenna Fischer, interprète de Pam Beesly dans la série de Greg Daniels et Steve Carell: «Je n'ai même pas eu l'impression de devoir travailler dur lors des scènes tournées à ses côtés.»

Un goût pour l'écriture

Dans le rôle de Karen Filippelli, Rashida Jones marque les esprits. Ceux des spectateurs et spectatrices, désormais divisées en deux clans: la «team Karen» et la «team Pam», en référence à ces deux personnages qui en pincent pour le charmant Jim Halpert (interprété par John Krasinski). Mais également celui de Greg Daniels qui, lorsqu'on lui demande de réaliser une comédie dans le style de The Office, pense immédiatement à elle pour tenir l'un des rôles principaux dans ce qui deviendra Parks and Recreation, certainement l'une des séries les plus drôles de la décennie passée. Durant six saisons, de 2009 à 2015, elle incarne ainsi Ann Perkins (en invitée dans l'ultime saison), avec ce mélange de douceur et de folie, de retenue et de caractère qui fait toute la beauté de son jeu.

Surtout, Rashida Jones prouve ici qu'elle aime le loufoque, l'absurde et les rôles au sein desquels elle peut amener un peu d'elle-même. Ce dont témoigne également son personnage dans Angie Tribeca, une parodie de série policière: «Elle fait en sorte que ça paraisse sans effort. Mais elle joue le rôle et s'y engage, lui donnant de la profondeur au milieu de toute l'absurdité et de la bêtise, explique au magazine Deadline Steve Carell, qui a créé cette sitcom en pensant à elle. Dans Angie Tribeca, le ton est particulier. Il ne s'agit pas d'être drôle, mais de comprendre quand il faut se retirer, et ne pas avoir conscience d'être drôle. Ce qu'elle fait très bien.»

Il y a comme une logique à ce que Rashida Jones recherche en permanence ce genre de personnages, quelque peu décalés mais toujours plus nuancés que les rôles confiés habituellement à d'autres actrices. Elle n'est pas là pour faire la belle, servir de bouc émissaire ou de faire-valoir au héros masculin. Avec le temps, elle a même fini par prendre la plume, aux côtés de son partenaire d'écriture, Will McCormack, dans l'idée de mettre en scène des personnages féminins plus consistants, pensés pour être appréciés des futures générations. «L'écriture a toujours été un refuge, dit-elle, un moyen de reprendre le contrôle d'une industrie dans laquelle les jeunes actrices n'ont guère leur mot à dire sur leur apparence.»

Dans une interview à Net-a-Porter, elle va encore plus loin: «Il y a dix ans, quand j'écrivais, je prenais ce qui était généralement considéré comme un personnage masculin et je le donnais à une femme. On me disait: “Elle n'est pas sympathique”. Ce à quoi, je répondais: “Et alors? Tous les mecs ne sont pas aimables, jusqu'à ce qu'ils le deviennent”. On apprend aux femmes à être gentilles. Les hommes apprennent à être puissants. Je veux trouver un moyen de raconter des histoires du point de vue d'une femme qui n'a pas l'impression d'avoir été définie en tant que femme par un homme.»

Des portes claquées et un avertissement adressé à Hollywood

Ces dernières années, à l'abri des regards, Rashida Jones s'est donc taillée une solide réputation: celle d'une actrice cool en même temps que celle d'une productrice intraitable –ses caméos dans les clips de Jay-Z («Family Feud») et Drake («Nice For What»), où elle joue des rôles de hit girl, en attestent.

On l'a vu claquer la porter de Toy Story 4, accusant Pixar d'entretenir une culture où «les femmes et les personnes de couleur n'ont pas une voix créative égale»; on l'a vu produire pour Netflix un documentaire sur les dérives de l'industrie pornographique (Hot Girl Wanted) et revisité les classiques du R'n'B des années 1990 dans une vidéo YouTube; on l'a vu à l'écriture du premier épisode de la saison 3 de Black Mirror («Chute libre», l'un des plus salués de la série de Charlie Brooker); on la dit actuellement en pleine préparation d'un remake de la comédie culte Comment se débarrasser de son patron, datée de 1980; surtout, on la sait à l'affiche du dernier Sofia Coppola (On The Rocks), une réalisatrice avec laquelle elle a déjà tourné A Very Murray Christmas en 2015, une comédie musicale loufoque, singulière, où elle tenait déjà l'un des rôles principaux aux côtés de Bill Murray.

En toute honnêteté, il y a peu de chances pour que On The Rocks fasse date, plombé par quelques longueurs, mais quel plaisir de voir qu'une actrice comme Rashida Jones puisse enfin accéder à ce genre de rôles ambivalents au cinéma, sans avoir à se les écrire elle-même, comme ce fut le cas en 2012 avec Celeste and Jesse Forever. «J'aimerais être la pleine expression de moi-même, et d'une manière étrange, le film de Sofia Coppola, ce personnage, est une version que je n'ai jamais pu jouer auparavant», confie-t-elle à Harpers Bazaar, confirmant les propos tenus par la réalisatrice américaine au sein du même média: «Nous la connaissons grâce à des rôles comiques, alors qu'elle a également un côté réfléchi et profond que nous n'avons pas vraiment vu au cinéma.»

Une déclaration qui ferait presque office d'avertissement: oui, Rashida Jones est une figure importante du paysage cinématographique actuel; oui, elle fait partie d'une génération d'acteurs et actrices (James Franco, Jason Segel, Amy Poehler, John Krasinski, etc.) capables de tout faire, de l'écriture à l'interprétation, de la production au chant; et oui, chacun de ses derniers projets semble avoir été pensé comme une façon d'exhorter Hollywood à s'intéresser davantage aux personnages féminins.

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