«C'est compliqué» est une sorte de courrier du cœur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c'est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes. Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: [email protected]
Vous pouvez aussi laisser votre message sur notre boîte vocale en appelant au 07 61 76 74 01 ou par Whatsapp au même numéro. Lucile vous répondra prochainement dans «C'est compliqué, le podcast», dont vous pouvez retrouver les épisodes ici.
Et pour retrouver les chroniques précédentes, c'est par là.
Chère Lucile,
Il y a un peu plus de deux ans, je rencontrais A., et très vite nous avons noué un lien fort. Mais nos blessures mutuelles nous ont incité à prendre notre temps, à ne pas s'engager trop vite. Ainsi, c'est seulement au bout de plusieurs mois que nous nous sommes avoué notre amour. Nous étions sur un petit nuage.
Notre relation amoureuse n'a pourtant pas démarré facilement, malgré la lune de miel extraordinaire que nous vivions. Lui sortait d'une relation longue de plusieurs années, dont il n'avait pas encore assimilé toutes les transformations intérieures qu'elle avait réalisées sur lui. Moi, je comblais ma peur du rejet et de l'abandon en enchaînant des histoires souvent courtes. Lui avait pour habitude de fuir les confrontations, de retenir ses émotions. Moi, je fonçais dans le tas avec mon hypersensibilité en prime.
Nous envisagions ces différences comme une force et avions énormément appris l'un de l'autre. Jamais une personne ne m'a tant poussée à devenir meilleure, et je crois que c'est pareil pour lui. Nous avions appris à surmonter les difficultés, à faire preuve de patience, de pédagogie.
Seulement, alors que nous devenions individuellement des êtres de plus en plus épanouis, nos conflits devenaient, quant à eux, de plus en plus durs à vivre. Ils arrivaient souvent sous l'emprise de l'alcool, qui je crois, désinhibait les émotions négatives enfouies sous une épaisse couche d'amour. La rancœur s'accumulait malgré tous les efforts que nous mettions en œuvre pour développer une communication non violente, transparente et bienveillante.
Après un an et demi de relation, nous avons commencé à ouvrir notre couple pour flirter ou coucher avec d'autres personnes –principalement ensemble. C'était là l'aboutissement de toutes nos discussions sur la déconstruction sociale: en tant que femme, j'étais probablement plus disposée à accueillir cette nouvelle réalité, tandis que lui devait faire un travail plus important sur son ego.
Et puis, il y a eu le confinement. Nous allions fêter nos deux années d'amour, mais je me sentais extrêmement seule. Seule à porter le bien-être de notre couple, j'avais aussi tant besoin que l'on prenne soin de moi. Au fil de notre relation, il a appris à devenir plus attentif à moi, aux autres, seulement, le mal était déjà fait: l'énergie que j'ai déployée pour nous deux, pour son bonheur, m'a vidée de joie et de spontanéité. J'ai alors encore plus plongé dans les bras de mon anxiété.
Depuis, j'ai proposé que l'on transite vers la relation libre car j'avais aussi besoin d'explorer mon attirance envers les femmes, comme je l'ai laissé découvrir l'homosexualité. Convaincue que cette nouvelle liberté nous convenait au regard de notre lien si fort, j'ai continué à croire en nous et notre avenir ensemble. Seulement lui, non. Notre relation s'est détériorée tout l'été, il ne s'agissait même plus de conflits exprimés mais seulement d'un détachement commun.
Récemment, il s'est installé à 1.000 kilomètres de moi pour son travail, et cette distance aussi bien physique que psychique me paraissait être passagère, une phase de transition avec beaucoup de changements à digérer. Il a fini par m'avouer qu'il souffrait de cette relation libre (dont il profite pourtant), qu'il l'avait acceptée par pression de culpabilité d'avoir négligé notre couple, qu'il ne voulait pas m'enfermer dans une cage égoïstement.
Nous avons décidé de rompre car nous ne trouvions plus d'espace de dialogue suffisamment spontané et sain entre nous. J'estime qu'il est dans une fuite en avant face à un problème existentiel. Quant à lui, il trouve que nous sommes fondamentalement incompatibles et que nos projets n'étaient que des fantasmes. Nous avons pourtant des visions similaires de la vie, nous croyons aux mêmes valeurs et partageons les mêmes espoirs. Nous nous sommes quittés alors que nous nous aimons encore. Moi, je l'aime éperdument.
Je ne veux pas renoncer à notre histoire. Je ne veux pas non plus renoncer à notre liberté mutuelle, surtout à nos âges (nous avons la vingtaine), où la découverte du monde est si précieuse pour se construire.
M.
Chère M.,
Malheureusement, l'amour ou des valeurs communes ne suffisent pas à faire perdurer le couple. Les projets partagés ou un contexte propice permettent souvent de grappiller du temps. Mais souvent, dans un couple qui baisse les bras, il est question de ce que chacun peut endurer pour l'autre et de limites atteintes.
Parfois cette souffrance et ces limites sont très personnelles: «Je ne veux pas que tu me voies dans cet état» ou encore «Je ne veux pas que tu sois le témoin de mes défauts et de mes failles». Parfois, l'équilibre entre les sentiments partagés est juste trop difficile à trouver, trop précaire quand il est atteint. On est heureux comme sur un fil. Et très vite, de nouveau, les doutes et les questionnements reviennent.
Il y a de l'amour dans une histoire passionnée. Je dirais même qu'il y a de l'amour dans beaucoup d'histoires qui ne sont pas concrétisées par l'affirmation de l'existence du couple. Mais ce qu'on oublie souvent, dans notre société française biberonnée aux grands récits romantiques, c'est que si l'amour peut germer n'importe où, n'importe quand, pour cinq secondes parfaites comme pour des décennies de souffrance, le couple, lui, est beaucoup plus cloisonné par une norme, déjà, et par des contrats moraux et même financiers entre les deux parties.
Quand on sort de ces normes et de ces barrières rassurantes qui font le couple, les doutes sont légion. Le terrain est plus glissant, les incompréhensions et raisons de se faire du mal beaucoup plus nombreuses. Certain·es rêvent de trouver l'équilibre hors des sentiers battus mais n'en ont juste pas les épaules. Il arrive qu'on découvre que le sentiment de sécurité, le confort que l'on peut ressentir dans un couple équilibré, est plus important pour soi que ce qu'on aurait cru de prime abord. Et là, encore, c'est une question personnelle.
On peut s'aimer sans se rencontrer. On peut s'aimer intrinsèquement ou même conséquemment à des bons moments partagés ensemble et être trop bousculés par les évolutions de l'autre, par ses propres changements, par un idéal fou, par une société et des événements qui ne facilitent rien. Aimer, c'est facile. Devenir et rester un couple, c'est une épreuve. C'est une tempête qui dure des décennies si l'on a une personnalité à avoir besoin de sortir des sentiers battus.
Il y a plusieurs moyens de faire vivre cet amour hors du couple. Comme pratiquer un polyamour qui lâche la bride sur les obligations au quotidien tout en laissant la place à la tendresse et au désir sur le moyen ou le long terme. Nourrir une amitié, qui est une forme d'amour, en se donnant l'opportunité de transformer encore votre histoire si le contexte évolue et que les sentiments restent les mêmes.
Il n'y a pas rien après le couple. Il y a même une infinité de possibles. Par contre, quoi que vous décidiez, il faut le décider ensemble et en votre âme et conscience. Parce que l'amour qui subsiste aujourd'hui ne survivrait pas à un arrangement à contrecœur. Et vous ne pouvez pas accepter d'être une nouvelle fois le moteur. Cela ne marquerait pas un nouveau départ mais la confirmation de l'arrêt de votre histoire.
«C'est compliqué», c'est aussi un podcast. Retrouvez tous les épisodes: