Il n'est pas simple de pousser pour la première fois la porte d'un·e psy, quel que soit son domaine d'action. S'il est déjà ardu de savoir à quel type de spécialiste s'adresser, si l'idée de devoir tester différents cabinets avant de trouver la personne qui nous correspond est terriblement inconfortable, il y a dans tout ce processus une peur bien plus simple. S'asseoir (ou s'allonger) à quelques mètres d'un·e inconnu·e et entreprendre de lui raconter sa vie et son ressenti, c'est un saut dans le vide difficile à effectuer.
Le fait d'aller chez le ou la psy est encore trop souvent considéré comme une démarche teintée de honte. Demander de l'aide, c'est humiliant: cela signifie qu'on n'est pas un individu parfait, qu'on n'est pas autosuffisant. Il y a quelque chose de psychophobe dans cette réticence à consulter. «Récemment, pendant un dîner, confie Joachim, un cadre supérieur père de quatre enfants, j'ai encore entendu quelqu'un dire “Je ne vais pas aller chez le psy, je ne suis pas fou”, ce qui est une idiotie totale. De toute façon, le mot “fou” n'a pas grand sens. Mais je crois qu'on est nombreux à avoir ça en nous: la peur d'être traités de zinzins parce qu'on a décidé de soigner notre santé mentale.»
Joachim gagne confortablement sa vie. «Je préfère le dire tout de suite, précise-t-il, parce que j'ai conscience de tout ce que ça permet d'entreprendre, comme par exemple aller régulièrement chez la psy. Tout le monde ne peut pas se le permettre, loin de là.» Trois de ses quatre enfants consultent des psychologues de façon irrégulière, et ce depuis qu'ils sont en âge de parler. «C'est un peu à la carte. Parfois une séance suffit, parfois ils ont besoin d'en enchaîner plusieurs comme dans le cadre d'une thérapie brève.»
«Ma fille voit sa psy entre deux et dix fois par an, ça dépend vraiment du besoin qu'elle exprime.»
Mal-être scolaire, difficultés à se faire entendre au sein d'une famille nombreuse, décès d'un proche: les raisons qui ont poussé Joachim et sa femme Carole à emmener leurs enfants chez une psy sont multiples. «On ne savait pas trop si ça marcherait, mais on a décidé d'essayer. Je suis une thérapie depuis une quinzaine d'années, Carole depuis huit ans, et ça nous fait tellement de bien qu'on s'est dit qu'il fallait qu'on donne cette opportunité à nos enfants, sans les forcer.»
L'aînée de la famille, ayant semblé satisfaite de ses échanges avec une psychologue, a continué à demander à la rencontrer de temps à autres. «Elle vient de fêter ses 16 ans, ça fait donc une douzaine d'années que ça dure. Elle voit sa psy entre deux et dix fois par an, ça dépend vraiment du besoin qu'elle exprime.»
De façon assez naturelle, les deux garçons de la fratrie (13 et 10 ans) ont suivi les traces de leur sœur, et si la petite dernière (qui aura bientôt 6 ans) n'a pas encore sauté le pas, la porte lui reste évidemment ouverte. «Elle est très indépendante, très dure au mal, décrit Joachim. Pour l'instant elle n'en exprime pas le besoin, mais ça viendra peut-être. Dans le cas contraire on ne lui forcera pas la main...»
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Laisser la porte ouverte
Chez Marjolaine Solaro et son mari, on a également choisi de proposer aux enfants (un garçon et ses deux sœurs cadettes) de consulter quand ça leur semble nécessaire. Dans un article publié sur son blog en 2017, elle raconte que tout a commencé par le décès de la nourrice de son fils aîné au moment où celui-ci entrait à la crèche. Voici un extrait de son texte:
«Je me souviens que [la psychologue] nous a notamment conseillé d'utiliser les vrais mots quand on parlait à notre fils. “Dites-lui que Madame Perle est morte, pas qu'elle est partie. Parce que le jour où vous lui dites que vous partez faire des courses, vous imaginez ce qu'il pense, lui?”. Elle nous avait ensuite alertés sur la précocité éventuelle du jeune homme, elle avait épaulé notre fils quand j'étais à l'hôpital et quand sa sœur était au plus mal. La présence des psychologues dans les crèches sont un vrai plus, il ne faut pas hésiter à demander leur aide si nécessaire.»
«L'idée, c'est aussi qu'ils s'approprient les outils découverts lors des séances pour qu'ils soient le plus autonomes possibles.»
Le schéma est quasiment le même dans la famille de Marjolaine et celle de Joachim. À l'heure actuelle, seule la petite dernière n'a pas encore consulté, comme l'écrit Marjolaine Solaro: «Elle a ses colères, ses chagrins et ses peurs (et son côté dictatorial) mais nous parvenons toujours à l'accompagner pour les régler, chose que nous ne parvenons pas toujours à faire avec les grands et qui nécessite, selon nous, une aide extérieure.»
L'idée n'est donc pas d'imposer des visites chez des psys à ses enfants, y compris lorsqu'on dispose de moyens financiers suffisants, mais de leur indiquer que c'est possible et qu'ils en ressortiront sans doute mieux dans leur tête.
Pas automatique
Pour Emmanuelle Piquet, psychopraticienne et diplômée en thérapie brève et stratégique de l'École de Palo Alto, faire appel à des psychologues peut avoir des effets tout à fait positifs, à condition de ne pas systématiser cette démarche:
«Certains problèmes que rencontrent les enfants même petits (angoisses, pensées obsédantes, conflits de loyauté, etc.) peuvent leur sembler difficiles à partager avec leurs proches, surtout si ces derniers en constituent l'objet, explique-t-elle. Le fait de savoir qu'il leur est possible d'en parler et de chercher des solutions à l'extérieur est déjà en soi apaisant. Mais il ne faut pas non plus que le recours au psy se subsitue au fait que l'enfant aille puiser dans ses propres ressources lorsqu'il est confronté à une difficulté. Mais ça, tout bon psy le lui dira.»
Marjolaine Solaro me le confirme: rendre les séances plus régulières n'est sans doute pas nécessaire s'il n'y a pas de raison à cela. «Nos enfants ont eu un suivi pour des raisons spécifiques. Il n'y a pas de raison de les faire suivre régulièrement. L'idée, c'est aussi qu'ils s'approprient les outils découverts lors des séances pour qu'ils soient le plus autonomes possibles.»
Psychologue clinicienne, docteure en psychologie, Marie Danet suggère qu'une séance de bilan annuel soit par exemple fixée pour chaque enfant: «C'est comme une visite de contrôle chez le dentiste, on s'assure juste que tout va bien.»
«Un enfant dont la thérapie est réussie, c'est un enfant qui aura gagné confiance en lui et dans les adultes.»
Dans le cadre des thérapies brèves qu'elle propose, Emmanuelle Piquet constate qu'il peut suffire de quelques séances pour qu'une amélioration apparaisse: «Nous constatons en moyenne un véritable apaisement des souffrances au bout de quatre à cinq séances en moyenne, séances espacées sur une quizaine de jours. Certaines thérapies ne nécessitent que deux séances, et d'autres dix.»
La spécialiste insiste sur la nécessité que ces thérapies aient un début et une fin, «notamment pour consolider les apprentissages qui auront été faits par l'enfant et qu'il puisse les appliquer à d'autres champs de sa vie». Elle précise également que le positionnement des parents est fondamental:
«Dans notre pratique en thérapie brève, nous travaillons souvent avec les parents comme étant nos cothérapeutes. Nous sommes en contact avec eux pendant tout le temps de la thérapie, dans le strict respect du secret de ce que nous confie l'enfant. Cette alliance avec les parents permet souvent à la thérapie d'être encore plus efficace.»
Rester à distance
Aux parents d'enfants qui consulteraient des psys, Emmanuelle Piquet conseille de ne surtout pas se montrer intrusifs: «Il me semble plus respectueux et productif de ne pas poser de questions à l'enfant quand il sort de séance. Il vous en parlera s'il en éprouve le besoin.»
Marie Danet ajoute que si l'enfant est reçu seul, «il est souhaitable de fixer des rendez-vous ponctuels avec les parents, toujours en présence de l'enfant, pour qu'il sache que le secret professionnel est respecté». Et lorsqu'il apparaît nécessaire de s'entretenir avec les parents à propos d'un élément évoqué par l'enfant lors d'une ou plusieurs séances, il est indispensable «de prévenir l'enfant au préalable, afin de ne pas trahir sa confiance, et de lui expliquer pourquoi il va falloir en parler».
Le mode et le degré de communication avec les parents peut différer d'un·e spécialiste à l'autre, confirme Emmanuelle Piquet: «Certains seront dans l'échange, d'autres se refuseront à tout commentaire... Tout dépend de l'école à laquelle ils appartiennent.»
Hélas, une majorité de familles ne peut se permettre de débourser 45 euros par séance et par enfant. Marie Danet conseille de s'adresser à sa mutuelle, car «certaines prennent en charge un ou deux rendez-vous par an».
Quant à Marjolaine Solaro, elle suggère de se tourner vers certains centres de thérapie individuelle et familiale où les séances sont gratuites. «Il peut y avoir de l'attente mais ça vaut le coup. En famille, nous trouvons ça utile de nous retrouver régulièrement pour parler de ce qui va et de ce qui ne va pas. Chacun peut exprimer ses besoins et ses difficultés et demander aux autres de l'épauler sur ces points.»
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Un choix crucial
Reste que choisir la personne qui va prendre votre enfant en charge n'est pas chose facile. «C'est déjà compliqué quand vous êtes adulte, résume Joachim, mais pour un enfant, comment peut-on savoir si les séances se passent bien, puisqu'on n'y assiste pas? C'est un vrai casse-tête.» «Il n'y a rien de tel que le bouche-à-oreille, souffle Marie Danet, même si quelqu'un peut convenir à un patient et pas à un autre.»
La psychologue clinicienne ajoute que Doctolib peut constituer une bonne façon de trouver la bonne personne, même si tous les spécialistes n'y figurent pas en raison du coût du dispositif. «On peut aussi faire son choix parmi les professionnels de santé figurant dans le fichier Adeli, ou s'adresser à la PMI la plus proche [la protection maternelle et infantile, ndlr], qui peut également vous aiguiller vers des personnes qualifiées.» Elle appelle à une grande vigilance, rappelant que le titre de psychologue est protégé et qu'il ne faut consulter que des personnes le détenant.
«Un enfant dont la thérapie est réussie, conclut Emmanuelle Piquet, c'est un enfant qui aura gagné confiance en lui et dans les adultes.» «C'est aussi une personne qui se sentira plus à même de demander de l'aide, complète Marie Danet. Les séances permettre de se sentir plus sécurisé et d'asseoir sa confiance.» Pour devenir des adultes plus équilibrés demain?
«C'est à souhaiter, répond Joachim, même si on est très loin de pouvoir tout contrôler. Je sais juste que ma fille, qui est ado, souhaite suivre mon modèle et celui de sa mère en démarrant bientôt une thérapie plus régulière, qu'elle dit vouloir mener tout au long de sa vie. Je suis assez fier que nous ayons réussi à la convaincre des bienfaits du suivi psy et, plus largement, du dialogue avec des adultes de confiance.»