Le bac en poche, une toute nouvelle vie se dresse devant les lauréat·es. Un rythme différent qui s'installe dans un cadre inconnu: plus de 67% des étudiant·es vivent hors du domicile familial. Les habitudes sont à réinventer et certaines sont alors mises de côté, volontairement ou non. C'est notamment le cas de la pratique d'un sport en club.
«J'ai commencé l'équitation lorsque j'avais 3 ans, se souvient Caroline, 22 ans. Avant d'obtenir mon baccalauréat, je pratiquais ce sport quatre à cinq heures par semaine. Impossible de tenir le rythme avec mon entrée en école de communication: j'ai dû réduire à une heure par semaine. Il a aussi fallu que je change de centre équestre car les horaires étaient incompatibles avec mon nouvel emploi du temps.» Une solution qui ne satisfait pas pleinement la jeune femme, dont le changement de club lui a porté un «coup au moral» tant elle était attachée au cheval qu'elle montait auparavant.
Son choix a aussi résulté de conséquences économiques liées à son entrée dans l'enseignement supérieur. «L'équitation est un sport onéreux et à cela s'est ajouté le prix de mon école privée, explique celle qui étudiait en région parisienne. Ma mère ne pouvait pas financer tout cela. J'ai essayé d'en assumer le coût mais je ne pouvais pas trouver d'emploi à cause des horaires de mon école et de la charge de travail. Il a donc fallu que j'arrête l'équitation.»
Pour Aziz Jellab, sociologue, professeur des universités associé à l'INSHEA et auteur de Les étudiants en quête d'université. Une expérience scolaire sous tensions (L'Harmattan, 2011), l'arrêt de la pratique d'un sport en club est d'autant plus compliqué que sa pratique «relève d'une passion, qui fait face à une nécessité: celle de poursuivre des études». Arrêter son sport, c'est rompre avec une sociabilité, à un moment où l'entrée dans l'enseignement supérieur peut signifier une perte de repères. «Dans le monde universitaire, c'est l'anonymat qui prédomine, poursuit le chercheur. Il peut alors se produire un décalage entre ce que l'étudiant avait l'habitude de vivre et ce nouveau milieu, dont il doit décoder des normes parfois implicites.»
Un vide difficile à combler
Pour beaucoup de jeunes, le sport en club a permis notamment de s'épanouir, mûrir et se faire des ami·es. «J'ai fréquenté le même club de gymnastique entre mes 3 ans et mes 19 ans, explique Léna, qui a suivi des cours à la faculté de droit de Saint-Brieuc, dans la même ville que son club. Je m'entraînais environ huit heures par semaine et le week-end nous partions faire des compétitions. J'adorais cet aspect compétitif et l'ambiance d'entraide entre filles du club. Mais en entrant à la fac, je n'avais plus le temps de m'entraîner suffisamment donc mon niveau baissait et je ne participais plus aux compétitions, à part pour dépanner une absence.»
Aujourd'hui, l'étudiante a arrêté la gym. La plupart de ses amies aussi. «Nous nous sommes un peu perdues de vue. Lorsqu'on s'est retrouvées cet été, on ne parlait que de la gym, on se remémorait nos meilleurs souvenirs», ajoute la jeune femme. Léna ne s'imagine pas pour autant reprendre ce sport maintenant qu'elle a quitté la Bretagne pour poursuivre ses études à Bordeaux: «Je ne conçois pas la gym ailleurs que dans mon club. Je m'y investis encore, en tant que bénévole sur certains événements.»
«Tenir un rythme, avoir une autonomie, être compétitif: tout cela s'acquiert notamment grâce au sport.»
Depuis son entrée en classes préparatoires, Corentin n'a pas repris le basket en club non plus. Pour lui, l'arrêt brutal du sport, lié à la charge de travail scolaire demandée, ne l'a pas aidé à aborder au mieux son année de prépa: «Le basket me permettait de me défouler, de relâcher la pression. Mais j'ai dû arrêter au moment où j'en avais le plus besoin, regrette le Breton. Durant le premier semestre, j'ai pris huit kilos. Par la suite, j'ai réussi à mieux aménager mon temps et à reprendre un peu le sport avec des amis, mais c'est différent.»
Selon Aziz Jellab, la question du suivi d'une pratique sportive pour les étudiant·es en classes préparatoires ou en première année de médecine «ne se pose pas vraiment, car leurs études sont trop prenantes». Pourtant, le sociologue estime que le sport, et plus largement les loisirs, sont importants pour les élèves car ils leur permettent de «développer des compétences utiles pour le milieu professionnel. Tenir un rythme, avoir une autonomie, être compétitif: tout cela s'acquiert notamment grâce au sport».
Continuer, coûte que coûte
Malgré les contraintes, d'autres étudiant·es ont décidé de tout mettre en œuvre pour continuer leur activité sportive, quitte à faire de nombreuses concessions. C'est le cas d'Ana. En classe de première, elle arrête l'équitation durant deux ans, avant de reprendre en première année de licence. Et plutôt deux fois qu'une: elle pratique dans le cadre de l'université ainsi qu'au sein d'un club. «J'avais un rythme épuisant car je travaillais également neuf heures par semaine en tant qu'hôtesse de caisse pour me payer mes entraînements, confie la jeune femme. Je comptais mes heures de sommeil et je m'imposais des siestes en milieu de journée pour tenir. Mais je ne regrette pas car quand j'arrêtais ce sport, je me sentais très mal mentalement et physiquement.»
L'étudiante toulousaine en fera les frais à la rentrée 2019, lorsqu'elle déménage à Rennes pour sa première année de master. «J'ai eu beaucoup de mal à m'intégrer, j'ai fait face à des problèmes de stress et d'argent et je n'avais plus l'équitation pour me sentir mieux. J'ai alors tout mis en œuvre pour trouver un club: je n'avais plus d'emploi mais j'ai pu compter sur des dispositifs accessibles aux boursiers, explique la jeune femme, qui a dû faire de gros sacrifices. J'ai puisé dans mon épargne, je ne mangeais que deux repas par jour et je ne suis rentrée que deux fois chez mes parents: le prix d'un aller-retour était le même qu'une mensualité d'équitation, j'ai dû faire un choix. Je ne me permettais pas non plus de sortir boire des verres, ce qui n'a pas aidée à développer mes relations sociales.»
Maintenir des liens
Sacrifier une partie de sa vie étudiante sur l'autel de sa passion pour un sport, Augustin, jeune diplômé de 24 ans, l'a fait durant sa première année à l'université. Passé par le centre de formation d'un club de football professionnel, il joue ensuite à Cognac, au plus haut niveau régional. Le bac en poche, il part suivre des études à Poitiers, à près de deux heures de route de son club. «Avec la distance et les cours, je ne pouvais pas revenir m'entraîner à Cognac pendant la semaine. J'ai donc trouvé un club aux alentours de Poitiers pour m'entraîner le mardi et le mercredi. Et le vendredi, après les cours, je retournais à Cognac pour m'entraîner: c'était indispensable si je voulais jouer le match du week-end», se souvient-il. Finalement, le rythme de travail augmentant au fil des mois, Augustin jette l'éponge. «Ça a été un gros pincement au cœur car c'était la première fois de ma vie que je ne terminais pas une saison.»
Avec du recul, le passionné du ballon rond analyse: «Ce sport m'a toujours rendu heureux mais les sacrifices liés à sa pratique m'ont aussi fait du tort, je ne m'en rendais pas compte à l'époque. Lorsque j'ai pu pleinement profiter de la vie d'étudiant en faisant des soirées, en ayant une copine ou en suivant des cours intéressants, je ne me suis pas forcé et j'ai relégué le football au second plan», confie-t-il. L'année suivante, le jeune homme a repris le football dans la petite ville où il a grandi et où vivent encore ses parents, mais à un rythme et à un niveau bien moins élevé. L'occasion pour lui de renouer avec son milieu.
«À la fac, j'ai côtoyé des gens élevés socialement et culturellement. Cela m'a beaucoup apporté mais je m'en suis vite lassé. Via le foot, je retrouve mes amis qui viennent de la ruralité, certains sont agriculteurs. Ils me remettent les pieds sur terre et m'apportent beaucoup d'un point de vue personnel, abonde celui qui est désormais journaliste. Les deux mondes sociaux que je côtoie forment un équilibre qui fait du bien à ma vie.»