«Bonjour les gars! Aujourd'hui sur SinsTV, on ne va parler que de moi!» Palmiers, ananas et hamac, c'est devant ce décor paradisiaque que Johnny Sins a choisi d'évoquer les débuts de sa longue et brillante carrière d'acteur porno. Steve Wolfe –ses prénom et nom de naissance– rase son iconique crâne chauve, court à tire-larigot, enchaîne quelques pompes dans l'eau et médite, le tout en échangeant avec son public.
Loin de l'âpreté des films où il campe souvent un personnage un peu bourrin, l'acteur met en scène sa dolce vita face à la caméra. Que ce soit dans ses séances de sport, de yoga ou ses vlogs dans lesquels il parle aussi bien de sexualité que de ses vacances, Johnny Sins s'est fait aux us et coutumes de YouTube en un peu plus de trois ans.
Depuis, il a été rejoint par Riley Reid, Mia Khalifa, Karlee Grey ou encore Lexi Lore. Ces noms n'évoquent peut-être pas grand-chose à tout le monde, mais dans le milieu du X, ces pornstars sont toutes des sommités. Après avoir cumulé des millions de vues sur YouPorn, elles les multiplient également sur YouTube.
Quand Jacquie et Michel s'invite chez Tibo InShape
La chaîne de Johnny Sins a trouvé son public. Avec 77 millions de vues cumulées et 1,5 million d'abonné·es pour 137 vidéos, l'homme est certainement la star du porno la plus suivie de YouTube. Fait d'arme notable: une de ses vidéos dans laquelle il goûte des collations turques a même été la plus populaire de l'Anatolie.
«Johnny fait beaucoup de choses, comme du shape. C'est normal qu'il ait du succès, il a un super contenu!», reconnaît Manuel Ferrara, acteur et réalisateur français de films X. Présent sur YouTube depuis quatre ans, le hardeur s'y investit lui aussi, même si, malgré ses 125.000 abonné·es, il ne se sent pas YouTubeur. «Pour moi, c'est un relais de mes lives sur Twitch. J'ai une chaîne, mais je n'y poste que des feeds de ces vidéos. Ça me permet de mettre en ligne des bouts de mes lives, pour que ceux qui les loupent puissent les voir malgré tout.»
Il n'est pas le seul à utiliser YouTube comme une vitrine de son activité sur Twitch. L'actrice Mia Malkova notamment se sert de la plateforme de Google pour poster ses lives, bien que contrairement à Manuel Ferrara, elle y poste parfois du contenu exclusif.
La transformation de Johnny Sins et consorts en vidéastes est de moins de moins une exception. Tutos beauté, sketchs humoristiques, sessions de question-réponses... Les stars du X multiplient les contenus tout-terrain. Signe des temps: Lana Rhoades, l'une des actrices les plus en vogue du milieu, a créé sa chaîne en 2019 et a publié quatre vidéos dans l'espace de deux mois.
«Brazzers et certains de ses concurrents poussent énormément les acteurs pour qu'ils s'investissent sur ces plateformes.»
Les pornstars sont également de plus en plus présentes sur les chaînes des YouTubeurs. L'incontournable Logan Paul est un habitué du genre. Lana Rhoades et Riley Reid, par exemple, font des apparitions régulières dans les contenus de l'Américain. Cette vague ne concerne pas seulement le pays de l'Oncle Sam: de l'autre côté de l'Atlantique, Pierre Croce a multiplié les vidéos avec différentes actrices françaises.
Récemment visé par une enquête pour viols et proxénétisme, Jacquie et Michel communique sur le site d'hébergement de vidéos, où elle soigne son image. La marque y publie des teasers de ses films, mais elle y fait aussi des apparitions aux côtés de Tibo InShape et de TheVivi. «Cette présence sur les réseaux sociaux s'explique par le fait que Brazzers [une des plus grandes sociétés de production de l'industrie pornographique, ndlr] et certains de ses concurrents poussent énormément les acteurs pour qu'ils s'investissent sur ces plateformes, décrypte Manuel Ferrara. En fin de compte, je pense qu'ils font des trucs qui intéressent. Les gens ont une image de nous à travers les scènes que l'on tourne, mais ils oublient qu'on fait d'autres choses dans notre vie.»
Une pincée de soi et de pédagogie
Pour les acteurs et les actrices, cette transformation est l'occasion de montrer davantage que des corps dénudés –et parfois déshumanisés. Lexi Lore promeut le véganisme, Mia Malkova fait du gaming... Comme les YouTubers, leur but est de regrouper une communauté avec un contenu personnel et identifié. À l'occasion d'un questions-réponses, Johnny Sins relatait cette expérience: «J'essaie toujours de trouver ma niche, de découvrir ce que je veux vraiment faire et trouver la direction vers laquelle je veux que ce vlog aille.»
Quel que soit le sujet de prédilection de chacun·e, le sexe et le porno reviennent inévitablement sur la table. Johnny Sins déballe souvent les dessous de ses scènes pour mieux démystifier ce milieu opaque. «Autre mythe: nous [les acteurs pornos] avons tous des MST. Je peux vous affirmer que c'est totalement faux. Et je vais vous dire pourquoi: on est testés tous les quatorze jours.»
Manuel Ferrara a beau faire du gaming, le sujet est forcément abordé dans le chat de ses vidéos Twitch ou en commentaires YouTube. Ce n'est pas pour lui déplaire: «Il faut éduquer sur la sexualité et la pornographie. Ma chaîne me permet de donner de vrais conseils. En discuter, c'est une manière de faire de la prévention tout en éduquant. J'invite régulièrement des actrices pour échanger sur le sujet. En France, mais pas seulement, il y a un problème d'éducation sur le sexe et le porno.»
Une porte de sortie?
Outre l'éducation sexuelle, cette mue permet aux pornstars de trouver une nouvelle source de revenus et donc de se préparer pour la fin d'une carrière souvent éphémère. Une réalité d'autant plus prégnante chez les actrices, dont la durée de vie professionnelle dans le milieu est souvent très courte –même si Manuel Ferrara précise que c'est «de moins en moins le cas».
Dans ses vidéos, Johnny Sins ne fait pas de mystère sur sa transformation en YouTubeur: «Je veux que cette chaîne devienne géniale et qu'elle prenne de l'ampleur pour pouvoir bosser dessus à plein temps. J'ai 40 ans, donc croyez-le ou non, je vais probablement devoir quitter définitivement le business du porno bientôt.»
Sauf que remplacer YouPorn par YouTube n'est pas si simple. Dans une vidéo publiée en novembre 2019, Alex En Vrai, ancienne actrice sous le pseudo Cara St Germain, expliquait de son côté ne gagner qu'entre «100 et 200 dollars» sur la plateforme. Comme d'autres anciennes actrices devenues influenceuses, la Française mise également sur Instagram, réseau social sur lequel elle fait la promotion d'une marque de CBD.
Quelques mois après le lancement de sa chaîne SinsTV, Johnny Sins a lui aussi profité d'une session de questions-réponses pour faire le point: «Je me suis fait peu d'argent depuis que nous [avec Kissa Sins, son ex-femme] avons créé cette chaîne. J'ai reçu un paiement de AdSense d'à peu près 1.400 dollars [...] donc je ne me fais définitivement pas assez d'argent pour survivre.»
De son côté, Manuel Ferrara raconte que la motivation de ses soirées gaming face caméra n'est pas l'appât du gain. L'argent gagné grâce à ses lives serait réinvesti dans le matériel nécessaire à cette activité et une autre partie serait affectée à des œuvres caritatives. «Quand je me suis lancé sur Twitch, j'ai fait une promesse à ma femme: n'investir dans mes lives que l'argent que je gagne avec cette activité. J'ai la chance de bien gagner ma vie, donc c'est juste pour m'amuser. Je suis trop flemmard pour me forcer à faire quelque chose.»