Santé / Sciences

Une piste pour comprendre pourquoi certains malades du Covid sont plus gravement touchés

Temps de lecture : 4 min

Une équipe franco-américaine de scientifiques a mis en évidence le rôle des anomalies génétiques dans la réponse des organismes au Covid-19.

Un patient atteint du Covid-19, à l'hôpital de La Timone, à Marseille, le 11 septembre 2020. | Christophe Simon / AFP
Un patient atteint du Covid-19, à l'hôpital de La Timone, à Marseille, le 11 septembre 2020. | Christophe Simon / AFP

Pourquoi tant d'injustice virologique? Pourquoi les personnes infectées par le SARS-CoV2 répondent-elles de manière si différentes –de l'absence totale de symptômes à un phénomène déroutant de réactions immunitaires massives imposant une prise en charge complexe en réanimation et conduisant parfois au décès? C'est là une question majeure qui n'est certes pas spécifique à ce nouveau coronavirus et qui a déjà nourri plusieurs hypothèses. Pour autant, parvenir ici à décrypter les causes spécifiques qui expliquent ces différences individuelles permettrait d'identifier les personnes les plus à risque, d'anticiper et d'améliorer leur prise en charge et d'offrir de nouvelles voies thérapeutiques fondées sur une meilleure compréhension des mécanismes sous-jacents à la maladie.

C'est cet espoir que viennent de faire naître des chercheurs et chercheuses de l'Institut de recherche Imagine (Hôpital Necker-Enfants malades AP-HP), et de l'Université Rockefeller et du Howard Hughes Medical Institute à New York, travaillant en collaboration avec l'équipe dirigée par le Pr Guy Gorochov au Centre d'Immunologie et des Maladies Infectieuses (Sorbonne Université/Inserm/CNRS).

La voie des interférons

En pratique, cette équipe franco-américaine, dirigée conjointement par Jean-Laurent Casanova et Laurent Abel, explique avoir identifié les premières causes génétiques et immunologiques associées à 15% des formes graves de Covid-19. «Ces malades ont un point commun: un défaut d'activité des interférons de type I, molécules du système immunitaire qui ont normalement une puissante activité antivirale, résume le groupe de recherche. Ces découvertes pourraient permettre de dépister les personnes à risque de développer une forme grave, et de mieux soigner ce groupe de patients.»

Jean-Laurent Casanova et son équipe se sont très tôt intéressées à des patient·es atteint·es de ces formes sévères. En ciblant leur recherche sur des mécanismes spécifiques de l'immunité –la voie des interférons– ces scientifiques ont mis en évidence chez certain·es patient·es des anomalies génétiques qui diminuent la production des IFN de type I (3-4% des formes graves). Chez d'autres, ils ont identifié des maladies auto-immunes qui bloquent l'action des IFN de type I (10-11% des formes graves). L'ensemble de ces découvertes, publiées dans la revue américaine Science, concernerait ainsi 15% des formes graves de Covid-19.

«Le premier article publié dans Science décrit ainsi des anomalies génétiques chez des patients atteints de formes sévères de Covid-19 au niveau de treize gènes déjà connus pour régir la réponse immunitaire contrôlée par les IFN de type I contre le virus grippal, résume l'Inserm. Des mutations de ces gènes sont la cause de certaines formes sévères de grippe. La principale conséquence de ces mutations est un défaut de production des IFN de type I. Quel que soit leur âge, les personnes porteuses de ces mutations sont ainsi plus à risque de développer une forme potentiellement mortelle de grippe saisonnière ou de Covid-19.»

Corollaire: l'administration précoce d'IFN de type 1 chez ces malades pourrait être une piste thérapeutique. Or, ces médicaments sont disponibles depuis plus de trente ans et n'induisent pas d'effets secondaires notables s'ils sont pris pendant une courte période.

Altérations génétiques

Les résultats d'une seconde étude, également publiée dans Science, montrent une autre caractéristique des malades atteints de formes graves de Covid-19: la présence à taux élevé dans le sang d'anticorps dirigés contre les IFN de type I de ces personnes (on parle ici d'auto-anticorps) capables de neutraliser l'effet de ces molécules antivirales naturellement produites par l'organisme. Leur présence empêche les IFN de type I d'agir contre le virus SARS-CoV2. La production de ces anticorps dirigés contre le système immunitaire des patient·es témoigne probablement d'autres altérations génétiques qui sont en cours d'étude, précise l'Inserm.

Ces auto-anticorps sont retrouvés chez plus de 10% des malades développant une pneumonie grave après une infection par le SARS-CoV2. Ils sont absents chez les personnes qui développent une forme bénigne de la maladie et sont rares dans la population générale.

L'analyse des données biologiques de 1.227 personnes en bonne santé a permis d'évaluer la prévalence d'auto-anticorps contre l'IFN de type 1 à 0,33% dans la population générale –soit une prévalence de quinze fois inférieure à celle observée chez les patient·es atteint·es de formes sévères. Des résultats qui pourraient justifier un dépistage dans la population générale afin de détecter ces anticorps et d'identifier des personnes à risque.

«Ces deux articles, rappelle Le Monde, vont dans le même sens qu'une étude parue dans la revue Science en juillet dernier [...] montrant que les malades les plus sévères étaient caractérisés par un défaut de production et d'activité des interférons de type 1, alpha et bêta, qui sont les premières lignes de défense contre les infections virales.» D'autres pistes sont également actuellement explorées.

«Prédire l'évolution de la maladie»

Dans tous les cas, l'objectif est identique: parvenir à déterminer, à l'aide de dosages biologiques, les marqueurs permettant d'identifier les personnes à risque –et proposer des thérapeutiques personnalisées, en utilisant notamment le savoir existant et des spécialités pharmaceutiques déjà connues. «Au final, on va définir une dizaine de marqueurs qui pourront permettre de prédire l'évolution de la maladie et d'agir avant que les choses ne tournent mal, explique Frédéric Rieux-Laucat. Parmi les patients hospitalisés, on peut s'attendre, grâce aux marqueurs prédictifs, à identifier entre 10% à 20% de personnes à risque d'aggravation.»

C'est là une approche rationnelle et scientifique, aux antipodes de celle qui a conduit le Pr Didier Raoult (Institut Hospitalier Universitaire Méditerranée-Infection, Marseille) à déclencher une polémique sans précédent en proposant de manière systématique l'association d'un antibiotique et d'hydroxychloroquine dont les dangers sont connus et dont l'efficacité n'a jamais été formellement démontrée.

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