On peut reprocher beaucoup de choses au président de la République populaire de Chine (son autoritarisme, son mépris des libertés, sa gestion policière des peuples, en Chine continentale et notamment au Xinjiang, à Hong Kong, etc.), force est de reconnaître qu'il possède une grande intelligence politique et diplomatique.
Alors que progressivement, au niveau mondial, le changement climatique s'est hissé aux tout premiers rangs des points sur lesquels sont jugés les gouvernements, son homologue américain n'a toujours rien compris. Cette année, ce dernier ne s'est pas (encore) affiché avec les mineurs de charbon comme il l'avait fait pendant sa campagne de 2016, mais il continue à nier la réalité du changement climatique et se prépare à faire sortir son pays de l'accord de Paris le 4 novembre, au lendemain de l'élection présidentielle.
Xi Jinping, lui, a saisi qu'il y avait là un vrai problème et, face à Donald Trump, un bon moyen de marquer des points dans l'opinion mondiale.
La Chine «galvanise» l'opinion mondiale
Le 22 septembre dernier, en visioconférence dans le cadre de la 75e assemblée générale de l'ONU, il a annoncé que la Chine atteindrait son pic d'émissions de dioxyde de carbone «avant 2030» (auparavant, il était prévu que ce serait «vers» 2030) et que la neutralité carbone du pays serait atteinte d'ici à 2060. Personne ne s'y attendait et le succès a été immédiat. Les dirigeant·es européen·nes ont évidemment salué cette déclaration et l'agence Chine Nouvelle n'a pas eu trop de mal à trouver des responsables d'ONG enthousiastes face à une initiative qui allait «galvaniser l'action mondiale».
Xi Jinping en visioconférence à la 75e Assemblée générale des Nations unies, le 22 septembre 2020. | Ggreg Baker / AFP
Bien évidemment, on ne peut que se réjouir de voir la Chine prendre publiquement de tels engagements. Pour les écologistes qui demandent à leurs gouvernements de prendre des décisions comparables et d'accélérer le rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre, cette déclaration de Xi Jinping constitue une aide précieuse. La réponse des responsables politiques et économiques est toujours et partout la même: au nom de la défense de la compétitivité du pays et de l'emploi, on ne saurait prendre des mesures trop contraignantes tant que les autres ne se montrent pas disposés à faire de même.
Si la première puissance exportatrice mondiale prend fermement la direction de la baisse de ses rejets de CO2, l'argument tombe et on peut envisager des actions allant toutes dans le bon sens à l'échelle planétaire.
Il ne faut pas raconter d'histoires
Mais il ne faut pas pour autant tomber dans le piège d'une communication très bien faite. Si on regarde de façon un peu attentive ce que fait la Chine en matière d'émissions, on peut juger le discours de Xi Jinping comme celui d'un tueur en série qui ferait une déclaration du genre: «C'est promis, j'égorge encore deux ou trois personnes et après je m'arrête» et qui attendrait ensuite d'être félicité pour sa grande sagesse!
Il ne faut pas raconter d'histoires: la Chine, dans sa course à la richesse et à la puissance, n'a rien fait pour réduire ses rejets de CO2; bien au contraire, elle a pris le risque (pas seulement pour elle, mais pour l'ensemble de la planète) de les faire croître à toute allure, alors que les grands pays industriels commençaient à les stabiliser, voire à les réduire. Les graphiques sont éloquents: on voit les rejets chinois rejoindre ceux de l'Europe aux environs de l'an 2000, puis ceux des États-Unis et continuer à s'envoler.
La Chine a continué à accroître ses émissions de gaz à effet de serre à un rythme accéléré en toute connaissance de leurs effets.
Leur progression est tellement rapide que, l'an dernier, ils se sont établis à pratiquement deux fois ceux des États-Unis: 9,82 milliards de tonnes en 2019 (9,92 avec Hong Kong) contre 4,96 milliards pour les États-Unis et 34,17 milliards pour l'ensemble du monde selon les statistiques publiées par BP dans sa revue de l'énergie mondiale.
Pour mémoire, la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques a été adoptée en 1992 au sommet de Rio. La prise de conscience du problème n'est pas nouvelle et la Chine a continué à accroître ses émissions de gaz à effet de serre à un rythme accéléré en toute connaissance de leurs effets.
Toujours plus
Et ce n'est pas fini. Si le président Xi Jinping annonce que le pic des émissions sera atteint avant 2030, c'est bien parce qu'il a l'intention de profiter de cette décennie pour les accroître encore, réussir enfin à doubler les États-Unis et s'installer au premier rang des puissances mondiales.
Certes, la Chine fait de plus en plus appel aux énergies renouvelables, mais elle continue d'augmenter son recours à toutes les autres sources d'énergie, y compris les énergies fossiles et en premier lieu le charbon, qui représente à lui seul, en 2019, 58% du total –devant le pétrole (20%), le gaz et l'hydroélectricité (environ 8% chacun) selon les statistiques de BP.
Si les projets de nouvelles centrales au charbon sont en recul à l'échelle mondiale, la Chine fait exception. Face aux problèmes de pollution dans les villes, le gouvernement avait paru vouloir freiner la construction de nouvelles installations à partir de 2016. Pourtant, presque les deux tiers des 68 gigawatts de puissance des centrales au charbon commandées dans le monde l'an dernier l'ont été par la seule Chine. Et les producteurs nationaux réclament la construction de 200 nouvelles centrales au charbon d'ici à 2025...
D'autres priorités avant le climat
Très clairement, la Chine poursuit un objectif qui va très au-delà de celui qui serait nécessaire pour sortir sa population de la pauvreté. Compte tenu de son évolution démographique, les économistes se posent depuis une dizaine d'années la question de savoir si elle sera vieille avant d'être riche. La question se pose toujours, mais il semble que pour ses dirigeants la recherche de la croissance a désormais une autre motivation: le souci de passer devant les États-Unis. La politique de Donald Trump ne peut que les encourager à accélérer le mouvement.
Sans trop entrer dans les détails techniques, son objectif est bien de devenir numéro un par le PIB exprimé en dollar courant –elle n'en est plus très loin et si l'on raisonne en parité de pouvoir d'achat, elle est déjà au premier rang. L'actualité récente montre qu'elle est soucieuse aussi de pouvoir faire jeu égal avec les États-Unis dans les nouvelles technologies... et de pouvoir se passer d'eux. Ces objectifs atteints, elle pourra donner la priorité à sa transition énergétique, sachant qu'elle a déjà acquis une certaine expertise en ce domaine et qu'elle occupe une position dominante dans la production de panneaux solaires, de batteries et d'éoliennes.
Les pays qui continuent à augmenter leurs émissions ne font qu'éloigner le moment où l'on pourra espérer commencer à inverser la tendance.
Les préoccupations d'ordre politique la conduisent donc à ne viser la neutralité carbone qu'en 2060, alors qu'il serait souhaitable d'aller plus rapidement. L'Europe, rappelons-le, se donne pour objectif d'y arriver dès 2050 et la Commission souhaite accélérer le rythme de réduction des émissions pour obtenir des résultats significatifs dès 2030. Arriver à la neutralité, cela signifie que l'on ne rejette pas plus de carbone dans l'atmosphère qu'il n'en sort par des processus naturels ou par le fait de l'être humain.
Comme le dioxyde de carbone (pour ne parler que de ce seul gaz à effet à effet de serre) est très stable et qu'il s'en élimine naturellement beaucoup moins que ce que l'on rajoute année après année, ce concept de neutralité carbone est très important, car la simple réduction des émissions ne suffit pas. Il est urgent d'arrêter d'augmenter le stock de CO2 présent dans l'atmosphère, et des pays comme la Chine qui continuent à augmenter leurs émissions ne font qu'éloigner encore un peu plus le moment où l'on pourra espérer commencer à inverser la tendance.
Problème: la richesse des nations repose sur les énergies fossiles
Au-delà du problème posé par la volonté de puissance des dirigeants chinois, se pose celui plus général du développement. Quand on regarde l'évolution par pays des émissions de gaz à effet de serre, un point apparaît clairement: seuls les pays développés commencent à réduire leurs émissions. Même les États-Unis le font, bien que leur président s'en préoccupe peu. En revanche, les émissions de CO2 des pays en développement –la Chine n'est pas un cas particulier– continuent à augmenter à un rythme allant jusqu'à 20,6% pour le Vietnam en 2019, selon les statistiques publiées par BP. La croissance dans les pays développés s'est effectuée grâce aux énergies fossiles et les autres pays suivent le même chemin.
Sera-t-il possible de s'en passer et de compter uniquement sur les énergies renouvelables? Pour certaines organisations non gouvernementales, oui, mais ce point de vue est loin de faire l'unanimité. Le polytechnicien Jean-Marc Jancovici, dans son cours à Mines ParisTech, exprime son doute sous une forme volontairement provocante: «Un monde avec un milliard de personnes sur terre, trente à quarante ans d'espérance de vie à la naissance, et les deux tiers de la population dans les champs, je sais que ça marche en 100% énergies renouvelables. Il n'y a aucun problème, puisqu'on l'a fait une fois.»
C'est bien parce que ce sera dur qu'il faudrait commencer dès maintenant et de façon résolue.
La question est de savoir si éoliennes et panneaux solaires pourront assurer la poursuite de la croissance, voire le simple maintien de notre niveau de vie actuel. Jean-Marc Jancovici en doute fortement et il n'est pas le seul. Il faut reconnaître que l'équation paraît bien compliquée à résoudre. Même s'ils commencent, très timidement, à réduire leur consommation d'énergie primaire, les États-Unis en sont à 287,6 gigajoules par tête en 2019 (contre 148,6 en France et 98,8 en Chine), avec des énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon) qui représentent 78,8% du total, toujours d'après BP. On voit le chemin qu'il faudra parcourir...
On annonce par exemple comme de bonnes nouvelles l'intérêt porté par Airbus à l'hydrogène ou la décision prise par la Californie d'interdire la vente de voitures diesel ou essence à partir de 2035. Mais il faut voir que l'hydrogène n'est pas une énergie primaire, c'est une façon de stocker l'énergie. Il n'existe pas tel quel dans la nature; pour le produire, il faut dépenser autant d'énergie que l'on compte en utiliser ensuite, et même un peu plus. De même, dire qu'une voiture électrique est propre ne veut rien dire: tout dépend de l'énergie utilisée pour la construire et pour remplir les batteries qui la feront avancer.
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Bref, la Chine, dont on vante aujourd'hui la conduite exemplaire, est encore loin de commencer à réduire ses émissions de gaz à effet de serre et, d'une façon générale, il y a encore beaucoup d'incertitudes sur la capacité des autres pays à mener des politiques énergétiques conformes à l'accord de Paris. La richesse actuelle des nations repose sur les énergies fossiles; il ne sera pas simple de s'en passer. C'est bien parce que ce sera dur qu'il faudrait commencer dès maintenant et de façon résolue.