Santé / Sports

La solitude des profs d'EPS au temps du Covid-19

Temps de lecture : 7 min

Parfois délaissé·es par leur inspection, ces enseignant·es ont souvent dû improviser pour faire évoluer leurs pratiques. En attendant des jours meilleurs.

Avec le Covid-19, les profs d'EPS doivent jongler entre un manque de communication et des règles difficiles à respecter pour les élèves. | Alberto Frías via Unsplash
Avec le Covid-19, les profs d'EPS doivent jongler entre un manque de communication et des règles difficiles à respecter pour les élèves. | Alberto Frías via Unsplash

«C'est de loin la rentrée la plus triste de ma carrière.» Professeur d'EPS depuis une trentaine d'années, Bertrand* exerce dans un lycée général d'une petite ville iséroise, et peine à cacher sa morosité. «J'aime mon métier, d'ordinaire je suis énergique et épanoui, mais là, c'est dur de faire illusion alors que mon métier ne ressemble plus à grand-chose.»

Élèves, profs, parents: l'année scolaire 2020-2021 est spéciale pour tout le monde. La situation des profs d'EPS est particulièrement délicate. «Nos problèmes sont différents de ceux de nos collègues des autres matières, précise Bertrand. Je ne vais pas dire que notre cas est pire que celui des autres, car je n'aimerais pas non plus me retrouver dans une pièce exiguë avec trente gamins pour faire des maths. Mais je trouve qu'on nous laisse quand même un peu de côté.»

Comme la quasi-totalité des personnels de l'Éducation nationale, les enseignant·es d'EPS ont d'abord souffert de l'absence de consignes claires de la part des autorités compétentes. Prof dans un collège picard, Sonia* confirme l'état d'incertitude dans lequel ses collègues et elle ont dû préparer l'année: «Avant la rentrée, tout était plutôt flou. Nous étions assez inquiets quant à la reprise auprès des élèves, malgré le fait d'avoir lu en long, en large et en travers les recommandations données par le ministère le 26 août dernier.»

«Toutes les infos sont arrivées au compte-gouttes, jour après jour, et c'est d'ailleurs encore le cas.»
Claire, prof d'EPS

Ce n'est qu'au moment de la pré-rentrée que les IA-IPR (inspecteurs d'académie et inspecteurs pédagogiques régionaux) ont délivré leurs recommandations, laissant aux professeur·es «un assez large champ des possibles, mettant au cœur de leurs recommandations le contexte de l'établissement».

Un soutien variable

Sonia décrit un mois de septembre au cours duquel les inspecteurs et inspectrices ont assuré un suivi régulier et attentif: «Ils ont pu répondre à certaines questions afin de cadrer l'organisation de la reprise, notamment concernant le port du masque et l'utilisation essentielle des vestiaires.»

Ailleurs, d'autres n'ont clairement pas bénéficié du même soutien. Prof en lycée professionnel à Antony, dans les Hauts-de-Seine, Claire décrit une rentrée placée sous le signe du manque d'informations et de consignes claires: «Toutes les infos sont arrivées au compte-gouttes, jour après jour, et c'est d'ailleurs encore le cas.»

Même sentiment chez Bertrand, qui dit s'être senti abandonné par sa hiérarchie: «Je voulais à la fois minimiser les risques pour les élèves et moi, et me savoir soutenu dans le cas où des parents mécontents viendraient se plaindre des conditions d'enseignement de l'EPS. Silence radio du côté de l'inspection. On était sur le point de demander une audience au rectorat quand les premières consignes sont enfin arrivées.»

Dans l'ensemble des établissements, les mêmes règles de vie ont été fixées: désinfection des mains de chaque élève en début et fin de séance, désinfection de tout le matériel après chaque utilisation de chaque élève, port du masque obligatoire lors des regroupements de classe mais pas lors de la pratique effective. À cela s'ajoutent des consignes particulières liées au contexte local.

«Trente élèves qui macèrent dans leur survêtement, le masque parfois mouillé par la sueur, ça doit être intenable pour tout le monde.»
Bertrand, prof d'EPS

Du côté de Sonia, la communauté de communes a accepté de rouvrir le gymnase, fermé depuis la mi-mars: «Nous avons eu la chance de pouvoir être entendus sans délai pour expliquer nos conditions de travail sans équipement sportif. Depuis lors, les locaux sont nettoyés deux fois par jour, avant notre arrivée et après notre départ. Nous y avons accès sans restriction mais dans le respect du protocole imposé.»

En revanche, dans les établissements de Bertrand et Claire, les vestiaires sont toujours fermés, et les élèves n'ont donc pas d'autre choix que de passer leur journée en tenue de sport. «Ça n'était déjà pas évident de leur enseigner les règles d'hygiène de base», commente cette dernière. Bertrand surenchérit: «Je ne voudrais pas être le prof qui les récupère après une séance d'EPS. Trente élèves qui macèrent dans leur survêtement, le masque parfois mouillé par la sueur, ça doit être intenable pour tout le monde.»

À propos du nombre d'élèves par classe, Sonia est résignée: «Le réduire permettrait de protéger élèves et enseignants. Mais il faudrait des enseignants, des moyens humains et financiers en plus, chose que nous ne sommes pas prêts d'obtenir.» Même les demandes de fournitures (solutions hydro-alcooliques et gels désinfectants) semblent parfois difficiles à honorer de la part des établissements.

Des sports à proscrire

Au niveau du choix des disciplines à faire pratiquer, les enseignant·es ont également dû improviser, même si la réflexion avait démarré dès le printemps. «On se doutait que la rentrée 2020 ne serait pas classique, raconte Bertrand, donc on en a parlé entre collègues, de façon informelle, en se demandant quels sports seraient difficiles à mettre en place et quelles activités de substitution on allait pouvoir trouver.»

«Aucune activité n'avait réellement été proscrite par notre hiérarchie...»
Sonia, prof d'EPS

Dans le collège de Sonia, ce sont l'acrosport et le judo qui ont été laissés de côté, respectivement remplacés par des séances plutôt gymniques et des activités de posture-maintien. «Nous avons réussi à adapter toutes les autres activités à notre protocole Covid-19. Aucune activité n'avait réellement été proscrite par notre hiérarchie...»

Chez Claire, les restrictions ont été plus drastiques. «On a favorisé les sports en extérieur pour le début d'année (course d'orientation, combiné athlétique, course de relais, etc.) en priant pour que la situation s'arrange par la suite.» Par prudence, les sports collectifs ont été supprimés du planning, et l'acrosport et la danse limitées au maximum pour être remplacées par du step.

Au quotidien, les séances sont évidemment alourdies par les protocoles à respecter. «La désinfection systématique du matériel est bien normale, commente Bertrand, mais elle est ultra chronophage. Et même si les élèves font plutôt des efforts, il faut tout de même passer son temps à leur rappeler que le masque doit être remis avant tout regroupement, même s'ils sont essoufflés et assoiffés. J'ai clairement allégé le contenu de mes séances pour pouvoir faire rentrer tout ça.» «Il nous faut du temps supplémentaire pour nettoyer et désinfecter chaque objet entre chaque séance», appuie Claire.

Communiquer et fédérer

Sur le terrain, la passation de consignes n'est pas simple: «Les profs doivent porter le masque en permanence, rappelle Sonia, ce qui est délicat quand nous devons passer une consigne à tous dans un immense gymnase. La communication est plus difficile, notamment avec les élèves malentendants.» C'est d'autant plus délicat quand les élèves semblent pris par le besoin de se défouler, d'extérioriser: «Leur énergie débordante est parfois peu évidente à canaliser.»

«Réussir un beau geste ou gagner un match, ça donne envie de se taper dans les mains ou de se sauter dessus, comme à la télé.»
Bertrand, prof d'EPS

L'euphorie liée à l'effort sportif peut en effet détourner les élèves des consignes sanitaires les plus évidentes, au moins le temps de quelques secondes. «Depuis mars, ils se sont un peu habitués, dit Bertrand, mais quand même: réussir un beau geste ou gagner un match, ça donne envie de se taper dans les mains ou de se sauter dessus, comme à la télé. C'est là que je leur rappelle que les joueurs du PSG, eux, sont testés très régulièrement

Sur les vingt heures d'enseignenement hebdomadaires qui font partie de leurs obligations de services, les profs d'EPS doivent en consacrer trois à l'association sportive de leur établissement, et participer ainsi à l'organisation et au développement du sport scolaire dans le cadre de l'UNSS. Cette année, motiver les élèves à s'inscrire a été encore plus délicat que d'habitude. «La crainte des élèves et des parents était double, relate Bertrand, puisqu'à la peur du coronavirus s'ajoutait le manque de motivation dû à l'impossibilité d'organiser les compétitions habituelles.»

«J'ai l'impression d'être un gardien de prison, qui organise des activités sportives pour les taulards mais qui doit avant tout veiller à ce qu'ils n'outrepassent aucune règle. »
Bretrand, prof d'EPS

Sonia s'estime assez vernie, puisque dans son collège, les inscriptions ont été relativement nombreuses. «J'avoue que je ne m'y attendais pas», commente l'enseignante. Remanié, le sport scolaire se présente cette année sous la forme de «journées à thème, internes à l'établissement», avec l'espoir de pouvoir organiser de petites rencontres sportives... entre deux établissements seulement. «Ce genre de zone d'échange aurait l'avantage d'éviter le brassage. C'est réducteur, mais ça permettrait de fédérer tout de même les élèves à profil compétitif», résume Sonia.

Condition physique en berne

Comme ses collègues, l'enseignante picarde entend bien continuer à lutter pour que les élèves s'épanouissent dans sa discipline et puissent pratiquer une activité physique nécessaire. «Nous avons constaté une baisse significative des capacités physiques de nos élèves post-confinement. Nous prenons donc en compte ce constat pour proposer des activités progressives axées sur la remise en forme, en accordant dans chaque leçon un temps à cela.» Elle décrit des élèves «ravis de se retrouver et de se dépenser». Claire confirme: «Comme nous avons adapté notre programmation, il reste du plaisir dans le fait de pratiquer... enfin j'espère.»

Bertrand est moins positif: «J'ai l'impression d'être un gardien de prison, qui organise des activités sportives pour les taulards mais qui doit avant tout veiller à ce qu'ils n'outrepassent aucune règle. C'est très frustrant, je me sens dix fois plus épuisé que d'habitude, et le fait de ne pas savoir quand tout va s'arrêter est quand même hyper déprimant. Ce Covid à durée indéterminée, il tue beaucoup de gens, mais il tue aussi toute notion de plaisir, dans nos vies personnelles comme dans nos vies professionnelles.»

Si la France ne semble pas disposée à fermer de nouveau les établissements scolaires, et encore moins à ordonner un reconfinement, l'évolution du nombre de cas de Covid-19 pourrait pousser les autorités à durcir les règles. «De nouvelles mesures vont être mises en place, assure Sonia, ce qui nous rend inquiets pour la suite de l'année scolaire.» Fatiguée d'apprendre ces changements par les médias, elle déplore l'absence de communication «entre le ministère et le terrain».

«Nous espérons bien pouvoir poursuivre dans le sens amorcé début septembre, entre respect des gestes barrières et confiance aux personnels de l'éducation», conclut l'enseignante, bien consciente qu'en cette époque si pleine d'incertitude, et au vu de la gestion de Jean-Michel Blanquer, il est bien difficile de savoir de quoi demain sera fait.

*Les prénoms ont été changés.

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