Fin mars, neuf membres de la milice Hutaree, une secte apocalyptique chrétienne basée dans le Michigan, ont été arrêtés. Ils sont accusés d'avoir prévu d'utiliser des «armes de destruction massive» (ADM) contre des représentants des forces de l'ordre. Selon l'acte d'accusation, ces membres Hutaree avaient l'intention de mener une guérilla contre des policiers à l'aide d'«engins explosifs improvisés» (EEI) antipersonnel munis de fils déclencheurs et de commandes. Il n'est absolument pas fait mention d'armes nucléaires, chimiques ou biologiques. Depuis quand assimile-t-on les EEI aux ADM? Depuis 1994.
Un crime fédéral
Depuis sa création dans les années 1940, la formule «armes de destruction massive» désignait généralement un mélange d'armement nucléaire, biologique, chimique et radioactif. Cependant, dans un projet de loi radical datant de 1994, le Congrès en a modifié le sens afin d'englober les armes jusqu'alors connues sous la dénomination officielle [américaine] «engins destructeurs», tels que les bombes, grenades, mines et fusils à calibre supérieur à 12,7 millimètres rarement utilisés pour la chasse.
En vertu du Code des Etats-Unis, Titre 18, Section 2332a, un meurtre perpétré au moyen d'une arme de destruction massive est désormais considéré un crime fédéral [du ressort du FBI] passible d'une peine de prison de 50 ans, au même titre que la trahison, l'espionnage, les tirs depuis un véhicule en marche et le meurtre d'un membre du Congrès. Dans les archives du Congrès, rien n'indique pourquoi Joe Biden (alors sénateur) qui a rédigé ce projet de loi, a élaboré une définition si large. Mais il est intéressant de noter que ce projet de loi est sorti quelques mois après l'attentat à la bombe contre le World Trade Center de 1993, au cours duquel des armes conventionnelles ont fait six morts et plus 1.000 blessés.
Dans les autres articles du Code des Etats-Unis, les armes de destruction massive ont une définition également plus large, qui ne se limite pas à des munitions nucléaires, chimiques et biologiques. Mais dans la majorité des cas, la loi stipule que l'arme en question doit avoir le potentiel de laisser «un bilan humain massif». Bien que cette condition soit absente de la loi de 1994, la plupart des procureurs la respectent. Sept mois exactement après la signature de la loi par le président Clinton, Timothy McVeigh a utilisé des fertilisants et un camion de location pour détruire un bureau de l'administration fédérale à Oklahoma City. McVeigh et son complice Terry Nichols ont tous deux été accusés d'avoir utilisé des armes de destruction massive. Richard Reid, le Britannique qui avait placé des explosifs dans ses chaussures, ainsi que le terroriste au slip-bombe, Umar Farouk Abdulmutallab, ont été inculpés en vertu de la même loi que celle appliquée au terroriste du 11 septembre 2001, Zacharias Moussaoui. Un citoyen néerlandais qui s'est rendu en Irak pour y placer des engins explosifs improvisés a lui aussi été sous le coup de la même inculpation et purge actuellement une peine de prison de 25 ans aux Pays-Bas. La police a découvert un énorme stock d'explosifs au domicile d'un médecin exerçant dans l'Arkansas. L'an dernier, il avait tué à l'aide d'une bombe un membre du conseil médical de cet Etat. Chef d'accusation: utilisation d'armes de destruction massive. Pourtant, tous les terroristes ne sont pas poursuivis pour utilisation d'ADM. Depuis le 11-Septembre, seuls 5% des terroristes présumés (selon la définition des actes d'accusation et des communiqués de presse du gouvernement américain) ont été inculpés en vertu de la loi introduite par Joe Biden.
La menace coûte cher
Aux Etats-Unis, le seul fait de menacer d'utiliser des armes de destruction massive peut vous valoir un séjour relativement long dans un centre pénitentiaire fédéral. Peu après le 11-Septembre, un propriétaire frustré a lancé à un conseiller clientèle qu'il mettrait de l'anthrax dans la climatisation de la Countrywide Financial (société bancaire) quand un défaut de remboursement de son prêt l'empêcherait de consulter son solde par téléphone. Il a été condamné à plus de quatre ans de prison alors qu'il n'avait pas d'anthrax en sa possession ni de moyen d'en obtenir.
En 1998, William Safire et James E. Goodby ont retracé l'histoire de l'expression «armes de destruction massive» avant que Bush n'en fasse une expression maison (Blanche). En 1945, trois chefs d'Etat, américain, canadien et britannique, ont recommandé à une commission de supprimer l'expression «armes atomiques et autres armes majeures adaptables à la destruction massive». C'est Vannevar Bush, un scientifique américain de l'époque de la Seconde Guerre mondiale, également conseiller des présidents Roosevelt et Truman, qui affirme avoir inventé cette expression pour englober les futures armes géantes imprévisibles. Il ne faisait certainement pas référence aux bombes, grenades ou fusils de gros calibre, qui étaient couramment utilisés à l'époque.
Brian Palmer
Traduit par Micha Czifra
Photo: Test de bombe en Floride, en mars 2001. REUTERS/Department of Defense ME