C'est une manie bien française que de vouloir à intervalles réguliers transférer au Panthéon les cendres d'un écrivain ou poète qui fit la grandeur éternelle de la France. Il y a quelques années, la pauvre victime s'appelait Albert Camus et il fallut toute l'obstination de son fils pour que la dépouille de son père continue à profiter de la douce chaleur du soleil provincial. Camus reposé, voilà que désormais quelques abracadabrantesques intellectuels ont eu la fabuleuse idée de proposer comme nouveaux pensionnaires les compères Rimbaud et Verlaine.
Selon les pétitionnaires, l'entrée du couple infernal consacrerait entre autres l'homosexualité comme partie intégrante du patrimoine hexagonal et apporterait à l'édifice une touche de diversité dont à l'heure d'aujourd'hui on chercherait en vain la trace. Noble intention qui a pourtant un seul et unique défaut: la présence de Verlaine et Rimbaud au Panthéon constituerait un contresens absolu qui jeterait une ombre sur cette revendication pourtant des plus louables.
Les écrivains et poètes d'antan ne sont pas des marionnettes dont on pourrait user à sa guise afin d'appuyer une cause, aussi noble et légitime soit-elle. Comment peut-on imaginer un seul instant Rimbaud croupir à jamais sous les ors austères de ce mausolée de marbre qui abrite les grandes figures de l'histoire de France? Lui, le plus enragé des hommes, le plus féroce de nos poètes, l'homme aux semelles de vent, on irait l'enfermer dans cette tour d'ivoire qui empeste le classicisme poussiéreux et le sérieux académique?
Quelle faute de goût cela serait! Quelle trahison! Quel crime! Quoi, l'adolescent en perpétuelle révolte, celui qui dynamita du haut de ses 16 ans la poésie française, l'homme en perpétuelle quête d'absolu, le briseur de tabous, l'accoucheur d'un nouveau langage, on irait le claquemurer à jamais dans un endroit dont le principe même l'aurait écœuré au plus haut point? Sottise.
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Les morts ont des droits. Rimbaud n'appartient à personne d'autre qu'à lui-même. La respectabilité, il s'en moquait. La normalité, il la défiait. Il vomissait la bourgeoisie, le conformisme, l'étranglement poussif des notaires de province, la vie mesquine des hauts dignitaires de la République, toute cette comédie de l'apparence qui le dégoûtait tant au point de la fuir vers l'Orient. Rimbaud n'était pas au monde; il habitait les vastes fresques d'un imaginaire dont lui seul avait la clé.
Rimbaud n'a pas de patrie. Ce diable d'homme n'avait ni pays, ni frontières. Il marche avec l'éternité du monde, le soleil des très lointaines galaxies, les opéras fabuleux de continents encore inexplorés. Il n'était pas de son temps, comment voudriez-vous qu'il soit du vôtre? Par-dessus tout, il aimait choquer les bien-pensants, l'ordre établi, la prétention des conventions à laquelle jamais il ne voulut céder.
Sa liaison avec Verlaine avait la sincérité des amours tapageuses. Rimbaud se jouait de Verlaine comme un chat de sa proie. Non sans tendresse mais avec la cruauté propre au félin qui griffe avant de mieux éteindre. Ces deux-là réunis accomplirent toutes les folies jusqu'à la dernière quand l'un blessa l'autre d'un coup de revolver. Ce n'était pas un couple mais une association de malfaiteurs qui fut brève et brûlante comme un éclair de chaleur. Les réunir à nouveau aurait la laideur des mariages arrangés, quand la passion estompée, on convoque l'état civil pour la ranimer.
Ne touchez pas à Rimbaud. On dit sa tombe défigurée et à l'abandon. Tant mieux. Qu'on aille donc pisser sur elle. Que les amants s'accouplent sur la pierre morcelée. Que l'ivresse triomphe parmi l'herbe rapiécée. Que les vers se crapahutent au milieu des broussailles déchiquetées. Et que la pluie ne cesse de cingler la terre ardennaise de ses délires poétiques, le sang mauvais de sa prose maudite.
L'homosexualité a toute sa place au Panthéon. Et s'il fallait en choisir un qui la représente, qui d'autre que Marcel Proust dont le judaïsme de naissance appuierait encore un peu plus la diversité de l'institution? N'incarne-t-il pas à lui tout seul la grandeur immarcescible du génie français? Et à n'en pas douter, lui, le chroniqueur sublime des mondanités parisiennes, envierait pareil hommage.
En 2022, on fêtera le centenaire de sa mort.
C'est l'occasion rêvée, non?
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