Société

Ces terrifiants coachs en séduction dont les conseils «frisent un peu le viol»

Temps de lecture : 6 min

Nous publions les bonnes feuilles du chapitre «La reconquête au masculin», tiré du livre-enquête «Les grand-remplacés» du journaliste Paul Conge.

Le coach propose même à ses membres un guide d'autodéfense contre le féminisme, qu'il associait, en 2017, à un «régime totalitaire, au même titre que le communisme et le nazisme». | Papaioannou Kostas via Unsplash
Le coach propose même à ses membres un guide d'autodéfense contre le féminisme, qu'il associait, en 2017, à un «régime totalitaire, au même titre que le communisme et le nazisme». | Papaioannou Kostas via Unsplash

Paul Conge, journaliste à Marianne, vient de publier aux éditons Arkhê Les grand-remplacés, enquête sur une fracture française, à propos des angoisses de certains hommes blancs face à une société française plurielle.

Pour son chapitre dédié à «La reconquête au masculin», il s'est infiltré dans l'univers des coachs en séduction dont certains, sous couvert d'aider les hommes timides, véhiculent des messages glaçants.

Nous en publions des extraits.

Léo s'est fait connaître en s'opposant à la drague des «racailles» et des «clones de la drague». «La racaille est autant méprisée par les femmes que le sentimental: l'un parce qu'il manque de subtilité, l'autre parce qu'il manque d'agressivité», explique le jeune homme dans des vidéos qui cumulent des centaines de milliers de vues. Son credo: faire du clic en relevant d'absurdes défis, comme le fait d'accoster de jeunes filles en pleine rue avec des punchlines de Soral ou de Papacito, en forme de clins d'œil à son public. Il réalise également des vidéos palus didactiques, notamment sur l'homosexualité ou la friendzone, dans lesquelles il invite les hommes à se comporter en «prédateurs sexuels civilisés».

Ces quelques aphorismes lui apportent des clients pour Les Philogynes, son club, voué corps et âme à la séduction. Pour intégrer la communauté de quatre-vingt-quinze membres, il faut débourser 15 euros par mois, et au minimum 150 euros pour une séance privée. Objectif: décoincer les hommes vis-à-vis de la drague de rue.

«Plus vous entrerez sèchement, plus votre sentiment de la pénétrer sera fort. Quant à elle, son plaisir étant parent de la douleur, croyez qu'elle appréciera ce surcroît de virilité.»
Alain Soral, «Sociologie du dragueur»

Détenteur d'un master en psychologie à l'université Paris Descartes, Léo revendique une approche scientifique de la séduction, basée sur la biologie et la psychologie évolutionniste. Mais son «art» est aussi fortement irrigué par les leçons d'idéologues, Éric Zemmour et Alain Soral en tête. Ces références, le psychologue les ingère dès ses 17 ans. Il rejoint à cette époque le très select Cercle des Players Parisiens, un légendaire réseau de dragueurs de rue de Paris, dont les quarante membres, élus sur cooptation, compulsent les livres de Soral, de Sociologie du dragueur Confessions d'un dragueur. Dans ces bibles du genre, on peut lire ce type de conseils: «Plus vous entrerez sèchement, plus votre sentiment de la pénétrer sera fort. Quant à elle, son plaisir étant parent de la douleur, croyez qu'elle appréciera ce surcroît de virilité.»

Dans un café Starbucks du Nord de la capitale, Léo se remémore l'âge d'or du Cercle des Players, à base d'orgies et de clubs BDSM: «C'étaient des gros queutards, ils filmaient des trucs, c'était chaud.» […]

Comme un fils spirituel, Léo recommande chaudement la lecture des livres antiféministes de Soral à ses ouailles, à l'instar d'autres titres de Kontre-Kulture, la maison d'édition de l'essayiste. Féroce détracteur de la féminisation, le psychologue propose même à ses membres un guide d'autodéfense contre le féminisme, qu'il associait tout net, en 2017, à un «régime totalitaire, au même titre que le communisme et le nazisme». […]

En privé, sur le forum des Philogynes, où chacun tient son journal de bord à jour et où quelques-uns postent même des enregistrements de leurs interactions avec des filles, le chef commente les progrès des uns et des autres. Et le ton change. «Devenez un sale pervers», écrit-il à l'impératif, déplorant que les hommes aient perdu cette aptitude naturelle «à force de rabâchements féministes». De l'abordage dans la rue aux coups de reins sous les draps, Léo a des philtres d'amour adaptés à chaque situation: «D'expérience, au lit, j'ai remarqué que les filles étaient les plus excitées (à la limite de l'hystérie) quand elles se sentaient dominées, écrasées, souillées durant l'acte sexuel.» Au bas de chacun de ses messages, sa devise: «Volez la chatte des vierges et le cœur des salopes.» […]

Entrepreneur, Léo use et abuse d'un marketing tribal pour fidéliser sa communauté de la séduction. Il admet s'adresser en priorité aux hommes de droite en colère contre «l'idéologie dominante» et confie recevoir entre cinq et dix demandes de coaching par semaine. À ces garçons au départ timides ou malchanceux, il fournit certes des conseils personnalisés en séduction, mais aussi le sentiment d'appartenir à un groupe, élitiste et fermé.

On «frise un peu» le viol

Les Philogynes est un boy's club se voulant de qualité: il est donc sélectif à l'entrée. Un candidat sur deux est retoqué. En plus de la cotisation, il est attendu des futurs entrants qu'ils fournissent des réponses motivées. Parmi les 250 inscrits, la plupart âgés entre 20 et 30 ans, beaucoup d'ingénieurs et d'étudiants, des développeurs web, des psychiatres… Essentiellement des jeunes gens diplômés et aisés, auxquels il faut ajouter quelques professions plus populaires, comme des caristes et ou des gardiens de la paix. «Je suis jeune et pauvre. Tout ce que je peux apporter à une femme, c'est mon énergie sexuelle», écrit Azer, l'un des plus modestes, pour qui la séduction fonctionne comme un mécanisme de compensation sociale. On trouve ici aussi bien des hommes vierges que de coureurs de jupon ayant «quatre à sept partenaires par semaine», dixit un Philogyne.

Mais plus sélectif encore est leur salon Discord. Tchat à la fois écrit et vocal, cette backroom numérique leur permet d'échanger sur les «sujets interdits», indicibles sur YouTube, sous peine de censure. À longueur de journée, y sont abordés des sujets aussi divers que les parents homosexuels ou le fétichisme des tétons. Percent aussi des conversations plus politiques, sur la dangerosité du «lobby LGBT» ou les manières de «désengager» le «grand remplacement»: «Méthode forte dans les quartiers?Interdiction de l'islam? Guerre civile?», égrène Lucas, ingénieur en informatique parisien de 28 ans. Réponse d'un autre Philogyne: «En allant à la messe et en faisant cinq gosses et en les élevant comme des Français.» Certains y proposent des plans de gang bang –du sexe à plusieurs– photos dénudées de jeunes filles à l'appui.

«Je mets toujours la main de la fille sur ma teub, en général elles ont un réflexe de branlage immédiat.»
Un psychiatre membre des Philogynes

Tous les mardis soir, ce gentleman's club se réunit vocalement sur ce Discord. Quarante-huit Philogynes de toute la France sont connectés ce 22 octobre. Chacun son micro. L'atmosphère est sécurisée. On est entre nous. Alors presque chaque sujet est passé à la moulinette du sexisme. De sa voix nonchalante, Léo se met à disserter sur le thème des traumatismes consécutifs au viol. «Ne faites pas de blessures, les gars, si jamais vous violez», lance-t-il facétieux à son audience. «Quand vous finissez, un petit coquard pour la route», plaisante un autre. Et puis, quand les femmes jouissent lors d'une agression sexuelle –effet mécanique observé dans certains cas– «est-ce qu'elles ont réellement envie que ça s'arrête?», intervient le mentor du club.

Ambiance. Autre sujet d'échange: les stratagèmes pour contrer la last minute resistance, ce moment où une femme prend conscience, au lit, qu'elle ne désire pas avoir de relations sexuelles et se refuse à la dernière minute. «J'en connaissais plein, dit Léo à propos de ces techniques. Il y en a une que je donne en coaching, j'ai un peu de mal à en parler, je ne sais jamais si je suis enregistré́… Mais, il y a des trucs, en gros, tu frises un peu le viol.»

Démonstration de son art de tordre le consentement: il faut «toujours acquiescer» face aux réserves de la fille puis, au moment où elle bloque, «faire un loop, revenir en arrière sur les acquis», professe le coach. Et ainsi de suite, jusqu'à la faire plier. Si ça persiste? «Faites un freeze out. Tu te lèves, tu fais autre chose.» Avec ce jeu sur les émotions, «la nana va commencer à se sentir frustrée». Et qui sait, peut-être céder. Toujours en cas de résistance, cette autre astuce, délivrée par un membre des Philogynes, psychiatre dans le Val de Loire: «Je mets toujours la main de la fille sur ma teub [verlan pour «bite»] en général, elles ont un réflexe de branlage immédiat.» Léo approuve: «C'est inné!» Et enchérit: «Ne faites pas l'enfant, soyez malins. N'insistez pas. Y a ce truc à faire, mettez sa main sur votre sexe, ça c'est marrant.
– Elle peut porter plainte ?
– Non, je pense pas… Il y a un mec en droit ici?»

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