Le 1er septembre, les fusiliers marins ont découvert leurs nouveaux noms. Les neufs unités qui les composent ont abandonné leurs appellations géographiques pour l'héritage de compagnons de la Libération, anciens fusiliers de la France libre pendant la Seconde Guerre mondiale. Le groupement Atlantique est devenu le bataillon Amyot d'Inville, la compagnie France Sud a été rebaptisée Colmay.
Les fusiliers marins restent une composante méconnue de la marine nationale. Leur mission: la «protection-défense» des infrastructures navales et des bâtiments de guerre, en France et à l'étranger. Un job qui n'est pas toujours vendeur: les matelots passent de longues heures à déambuler de jour et de nuit, qu'il vente ou qu'il grêle, pour assurer la sécurité sur les bateaux et le long des arsenaux, des quais et des grilles interdites d'accès au commun des mortels.
«C'est un boulot un peu redondant, résume Sylvain*, ancien commando qui s'occupe aujourd'hui de l'instruction de certains fusiliers marins. C'est du gardiennage. Une partie des jeunes qui s'engagent sans diplôme espèrent se faire une première expérience dans l'armée. Parfois, ils sont déçus et se rendent compte que ce n'est pas extraordinaire. Ils font une patrouille à l'arsenal. Et puis une autre. Ils ont peu de perspectives et espèrent trouver mieux dans le civil.»
Ces dernières années, les fusiliers marins sont devenus l'exemple type de la spécialité militaire où l'on ne rempile pas. Depuis 2017, un chiffre revient dans tous les rapports sur le sujet, soulignant l'immense fuite de ressources humaines: 50% des matelots ne renouvellent pas leur contrat.
Un défi généralisé dans l'institution militaire qui se fait plus prégnant dans ce métier, qui peut paraître éloigné des sous-marins, des navires de guerre, des avions de combat et autres commandos, autrement plus séduisants pour le jeune qui rêve d'uniforme et d'engagement.
Héritage historique
L'idée de renommer les unités de fusiliers marins vient de l'amiral Christophe Prazuck. Ce chef d'état-major de la marine, qui a quitté son poste le jour où s'officialisait cette transformation, avait commandé ces hommes –et ces quelques femmes– de 2010 à 2012.
Prazuck avait lui-même évoqué publiquement le côté ingrat et rebutant de leur quotidien, notamment à l'occasion d'une audition devant des députés le 3 juillet 2019, au cours de laquelle il décrivait l'état des hébergements sur la base de Lorient: «Ils sont six par chambre, avec des sanitaires collectifs. Autrement dit, les standards ne sont pas du tout ceux que les jeunes attendent aujourd'hui.» Il appelait alors de ses vœux un effort pour améliorer les conditions de vie et de travail de ces marins.
«Ils font une patrouille à l'arsenal. Et puis une autre. Ils ont peu de perspectives et espèrent trouver mieux dans le civil.»
Les fusiliers marins disposent pourtant d'un héritage historique qui n'a pas à rougir face à celui des commandos marine, leurs collègues d'élite au sein des forces spéciales. Pendant la Seconde Guerre mondiale, leurs prédécesseurs se sont regroupés au sein du 1er régiment de fusiliers marins, qui s'est illustré dans les combats du Garigliano, puis dans le débarquement de Provence, poussant jusque sur le front de l'Est, en Alsace. En cinq ans, le régiment perd 195 hommes, dont deux de ses commandants.
Ceux qui donnent leurs noms aux unités actuelles de fusiliers marins ont d'impressionnants états de services. Lucien Bernier a été récompensé pour avoir mené une opération de déminage sous le feu dans le Var, pendant le débarquement de Provence en août 1944; il est tué d'une balle dans la poitrine dans les Vosges, quelques mois plus tard.
Robert Détroyat est abattu d'une rafale près de Damas en juin 1941, lors de la campagne de Syrie. Hubert Amyot d'Inville, membre d'une famille de combattants et de résistants, est à la tête du 1er régiment de fusiliers marins lorsque son véhicule roule sur une mine en 1943, au cours de la campagne d'Italie.
Redonner cette mémoire aux fusiliers marins d'aujourd'hui doit rappeler aux jeunes leur patrimoine, avance Nathanaëlle Victoire, adjointe du chef du bureau symbolique marine au service historique de la défense: «Les compagnons de la Libération sont des héros. Dans une unité militaire, c'est bien de pouvoir avoir une figure exemplaire à suivre et à honorer. Ces noms sont porteurs de prestige et d'honneur.»
Cérémonie à la base de l'île Longue, près de Brest, le 4 juillet 2017. | Stéphane Mahé / Pool /AFP
Montée en compétence
«Changer de nom, c'est bien. Mais il va falloir l'expliquer à des jeunes qui risquent de nous dire qu'ils n'en ont rien à foutre.» Baptiste* a déjà fait une douzaine d'années de services au sein des fusiliers marins, où il sert comme officier marinier. Il aime cette carrière, qu'il entend bien poursuivre. Mais il regrette le manque d'égards envers ses camarades. «Ça tient à cœur à certains commandants mais au quotidien, je doute que ça change grand-chose. Les valeurs, c'est important, mais il faut les comprendre», argumente-t-il.
L'organisation est pensée par des officiers de haut rang généralement issus des commandos marine, plus prestigieux. Ces chefs n'ont pas fait partie des fusiliers marins; Baptiste, lui, a dû apprendre à gérer des plannings difficiles, entre les jeunes recrues pas suffisamment formées, les tire-au-flanc qui se mettent en arrêt maladie en attendant la fin du contrat et ceux qui acceptent tant bien que mal de boucher les trous. Chez ces derniers, la lassitude peut finir par peser: faute d'avoir la chance d'accomplir une bonne mission, ils vont voir ailleurs dès qu'ils le peuvent.
La bonne mission, c'est celle qui apporte un peu d'intérêt. Les fonctions des fusiliers marins ont beaucoup évolué. À la fin des années 1990, la marine préférait un recrutement plus social. «Un mec avec un casier, on lui laissait le choix, se souvient Raphaël*, un ancien. C'était soit la prison, soit l'armée. Il pouvait notamment finir chez les fusiliers, où l'on manquait de personnel.»
Si la situation commence à évoluer au début des années 2000 avec l'explosion de la menace terroriste, les changements s'accélèrent depuis 2015. Les marins motivés se voient proposer de nouvelles responsabilités, comme le relève Hugo*, un autre militaire ayant servi à cette époque: «Si on trouve comment repérer et porter les ressources de qualité, ce n'est plus un recrutement social, mais un vivier de compétences.»
«Cette réalité du garde-barrière existe toujours, indique Baptiste. Mais depuis quelques années, il y a aussi plein d'autres choses. Celui qui ne se laisse pas vivre a plein d'opportunités.»
Historiquement, les fusiliers marins sont la porte d'entrée vers les prestigieux commandos marines, les forces spéciales. Mais ceux qui n'en ont pas les capacités ou l'envie peuvent désormais eux aussi monter en compétence, en particulier en matière de contre-terrorisme.
«Nous avons cherché à rendre le métier plus intéressant et plus attractif. Il ne faut pas les cantonner à la surveillance de grillages.»
Après le Bataclan, la marine s'interroge sur le risque terroriste sur les gros navires civils. Certains fusiliers marins sont formés pour pouvoir être les premiers intervenants en cas d'attaque contre un bâtiment de ce type, en attendant l'arrivée des spécialistes de la libération d'otages.
L'armée s'applique également à multiplier les déploiements en opérations, sur les bateaux où les fusiliers marins sont les garants de la sécurité et des traditions à bord. Dans un autre registre, des équipes sont embarquées sur les bateaux de pêche, régulièrement pris pour cible par les pirates au large de la Somalie au début des années 2000. La fonction se fait plus variée, plus exigeante.
Du symbole au concret
«Nous avons cherché à rendre le métier plus intéressant et plus attractif, confirme le capitaine de vaisseau David S., officier au recrutement de la marine nationale. Il ne faut pas les cantonner à la surveillance de grillages. Leur métier est plus technique qu'on ne l'imagine. Le fantassin de l'armée de terre a peut-être un métier plus simple; les fusiliers marins, eux, travaillent en petites équipes et sont rapidement très responsabilisés.»
L'objectif affiché est de consacrer un tiers de leur temps en mission à l'étranger et sur les bateaux, un tiers en entraînement et en formation, et le reste à récupérer auprès de leurs familles.
Les nouveaux noms d'unités permettent de marquer le coup et de favoriser le contact avec les candidats, estime David S.: «C'est plus facile de parler d'une unité quand elle a un nom plutôt qu'un numéro. Il y a une histoire derrière. Ceux qui prennent le temps de se renseigner peuvent y trouver du sens avant de s'engager. Pour les autres, la symbolique émergera de toute façon plus tard.»
Au-delà de l'épanouissement au quotidien et de la reconnaissance, les jeunes marins ont aussi besoin d'une reconnaissance sonnante et trébuchante. La marine nationale a engagé des efforts pour améliorer leur niveau de vie, mais la question des rémunérations reste prégnante.
Presque tous les témoignages que nous avons recueillis y font référence. Baptiste l'explique sans ambages: «Si demain, nous sommes déployés parce qu'un navire est visé par une attaque terroriste, nous touchons 10 euros de plus. Pour un jeune, ça peut être dur à accepter.»
* Les prénoms ont été changés.