Le temps n'est plus où tout responsable chinois en voyage à l'étranger était reçu amicalement et chaleureusement. Du 25 août au 2 septembre, Wang Yi, le ministre des Affaires étrangères, s'est rendu en Italie, aux Pays-Bas, en Norvège, en France et en Allemagne. Il a été accueilli avec une neutralité teintée d'une dose plus ou moins forte de réprobation. Sa mission était sans doute précise: mesurer et tenter de réduire la méfiance grandissante qui s'est installée en Europe à l'égard de la Chine.
Il est reproché aux dirigeants chinois leur manque de transparence sur l'apparition du Covid-19, leur prise de contrôle de Hong Kong et leur répression vis-à-vis de la population ouïghoure du Xinjiang. Le régime chinois cherche donc à contrer des reproches européens qui ne peuvent que nuire à son image et handicaper ses échanges internationaux. De plus, une mise en cause durable du régime ne peut que renforcer les positions des États-Unis, que ceux-ci soient dirigés par Donald Trump ou par un autre président.
Les affaires économiques éclipsées par les affaires qui fâchent
Wang Yi n'est pas un personnage particulièrement jovial. Son sourire se limite aux obligations de politesse et ce qu'il dit correspond prudemment aux positions officielles définies à Pékin. Le système politique chinois n'autorise guère ses membres à se laisser aller dans leurs conversations, surtout lorsqu'ils s'adressent à des responsables étrangers. Pendant ce voyage en Europe, le ministre a donc représenté sans emphase son gouvernement avec, comme objectif, de souligner que des réalisations concrètes sont possibles avec la Chine.
L'Italie s'était engagée en 2019 à participer au grand projet d'échanges économiques chinois des «routes de la soie». Cela lui a valu d'être le premier pays visité par Wang Yi. En présence du ministre italien des Affaires étrangères, Luigi Di Maio, un accord a été signé sur la fourniture de gaz naturel par la Chine, un autre sur l'exportation par l'Italie de produits alimentaires. Mais Giuseppe Conte, le président du Conseil des ministres italien, n'a pas reçu Wang Yi, se contentant de lui parler au téléphone. Par ailleurs, Nathan Loow, un leader étudiant de Hong Kong désormais réfugié en Grande-Bretagne, s'est rendu à Rome pour souligner lors d'une conférence de presse le totalitarisme du régime chinois et remettre solennellement à ce sujet une lettre au ministère italien des Affaires étrangères.
Lors de la deuxième étape du ministre chinois, aux Pays-Bas, des manifestant·es –dont des exilé·es ouïghour·es– scandaient sur son passage «Wang Yi, rentre chez toi». La commission des Affaires étrangères du Parlement a invité le ministre à venir parler des droits humains dans son pays. Wang Yi a refusé, considérant cette invitation comme une évidente provocation. Mais Mark Rutte, le chef du gouvernement néerlandais, a largement abordé les questions relatives à Hong Kong et à la communauté ouïghoure lors d'une conférence de presse commune.
Stef Blok, le ministre des Affaires étrangères, en a reparlé avec Wang Yi à l'occasion d'une conversation au château de Duivenvoorde largement consacrée aux échanges économiques. Près de la moitié des cargos chinois à destination de l'Europe accostent à Rotterdam et la presse de Pékin souligne que «le renforcement des relations Chine-Pays-Bas contribuera à maintenir le système commercial international et la stabilité dans le monde».
Le 27 août, en Norvège, pays qui n'est pas membre de l'Union européenne, Wang Yi souhaitait que sa visite porte principalement sur des projets de coopération pour l'exploitation de l'Arctique. En même temps, le ministre chinois voulait tourner la page des remous diplomatiques provoqués par l'attribution en 2010 du prix Nobel de la paix au dissident chinois Liu Xiaobo, aujourd'hui décédé. De tout cela, il a été question avec la Première ministre Erna Solberg. Mais interrogé lors d'une conférence de presse, Wang Yi a clairement indiqué que la Chine réagirait «fortement contre toute tentative d'utiliser le prix Nobel pour interférer dans les affaires internes chinoises». Le bruit court que cette distinction pourrait cette année être accordée à des représentant·es du mouvement pro-démocratie de Hong Hong.
Puis, à une question sur le Covid-19, il a répondu que, si la Chine a bien été le premier pays à rapporter l'existence du virus à l'Organisation mondiale de la santé (OMS), «cela ne signifie pas que le virus a émané de Chine». Il a ensuite ajouté que l'origine du virus «ne devrait pas être politisée ou stigmatisée», ce qui répondait manifestement au terme de «virus chinois» qu'emploie régulièrement Donald Trump.
Venue en France sous silence
À l'évidence, les autorités françaises n'ont pas tenu à mettre particulièrement en valeur la venue de Wang Yi. Certes, le 28 août, il a été reçu par Emmanuel Macron, mais il n'y a pas eu de communiqué officiel relatant les points forts de cette rencontre. L'Élysée a seulement indiqué que le chef de l'État français avait appelé à faire des progrès «concrets et rapides sur les secteurs structurants» du partenariat franco-chinois, dont le nucléaire civil et l'agroalimentaire.
Côté chinois, en revanche, le ministère des Affaires étrangères a rédigé un long communiqué sur cette rencontre avec le président Macron. On apprend ainsi que Wang Yi a commencé par offrir à Emmanuel Macron le dernier livre de Xi Jinping, avant de lui transmettre de la part de celui-ci que «la Chine chérit l'amitié et la confiance qui règne entre les deux chefs d'État». Le ministre a ensuite estimé que «la tâche urgente aujourd'hui est de redémarrer les échanges bilatéraux dans tous les domaines de manière ordonnée, tout en maintenant des mesures régulières de confinement du Covid-19». Il considère qu'avec la montée actuelle de l'unilatéralisme et du protectionnisme, «la Chine et l'Europe devraient travailler ensemble à défendre le multilatéralisme et les normes fondamentales régissant les relations internationales, ainsi qu'à construire un système économique mondial ouvert».
Ce discours convenu a certainement été réutilisé dès le lendemain, quand Wang Yi s'est entretenu le 29 août avec son homologue Jean-Yves Le Drian. Un communiqué publié par le Quai d'Orsay indique que les deux ministres ont évoqué de prochaines réunions auxquelles la Chine et la France doivent participer, comme la COP26 de Glasgow sur le climat ou le congrès de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) de Marseille. Mais la fin de ce communiqué souligne que Jean-Yves Le Drian a rappelé «les graves préoccupations de la France quant à la dégradation de la situation des droits de l'Homme en Chine, en particulier à Hong Kong et au Xinjiang».
Davantage de relations entre l'Europe et Taïwan
Un sujet a sans doute été abordé mais n'est pas mentionné: la relation de la France avec Taïwan. Une antenne du bureau de représentation de l'île nationaliste va s'ouvrir fin 2020 à Aix-en-Provence. Cela devait rester secret mais les autorités de Taipei se sont empressées de le faire savoir. Cette future antenne taïwanaise a l'allure d'un consulat et de ce fait, la représentation de Taïwan à Paris apparaît comme une ambassade –ce qui n'était plus le cas depuis qu'en 1964, le général de Gaulle avait décidé d'établir des relations diplomatiques avec la Chine populaire.
À l'époque, Taïwan avait maintenu son installation dans l'ambassade chinoise, située avenue Georges V à Paris, prétextant que ces locaux étaient nécessaires pour assurer la représentation de l'île nationaliste auprès de l'Unesco. L'ambassadeur de Chine populaire, Huang Chen, qui venait d'être désigné par Pékin, avait dû louer un immeuble pour installer des services diplomatiques. Il avait regretté cette situation auprès du Général de Gaulle, lequel avait immédiatement ordonné aux autorités taïwanaises de quitter les locaux de l'avenue Georges V.
«Ce qui s'y passe relève des affaires intérieures chinoises et les autres pays n'ont pas à interférer.»
Les diplomates de Pékin y sont donc restés plus de quarante ans avant de s'installer rue Monsieur dans des locaux plus grands. La situation est aujourd'hui sensiblement différente. La France semble décidée à développer ses relations avec Taïwan, qui bénéficie d'une excellente image pour avoir réussi à contenir l'épidémie de coronavirus sur son territoire.
Au lendemain de sa rencontre avec Jean-Yves Le Drian, Wang Yi était invité à l'IFRI (Institut français des relations internationales). Devant des responsables politiques et économiques, il a affiché une fermeté certaine en disant notamment à propos du Xinjiang et de Hong Kong: «Ce qui s'y passe relève des affaires intérieures chinoises et les autres pays n'ont pas à interférer.»
En réponse à une autre question, il a expliqué qu'il était possible de voir aboutir «avant la fin de l'année» l'accord entre l'Union européenne et la Chine sur les investissements. Cet accord est au point mort depuis plusieurs années. Les négociations n'avancent pas, en particulier sur les règles applicables aux entreprises publiques et les conditions d'accès au marché chinois pour les entreprises européennes. Wang Yi a estimé qu'il était «plus que jamais nécessaire de faire un pas» et qu'il n'était «pas utile de se noyer dans des détails techniques».
Le pire pour la fin
Wang Yi a terminé son voyage en Europe à Berlin. La Chine était devenue le premier partenaire commercial de l'Allemagne lorsque, début 2020, la crise du Covid-19 a immobilisé le commerce mondial. La visite de Wang Yi visait donc avant tout à consolider et à relancer ces relations bilatérales germano-chinoises. Cette intention a été confirmée lors d'un entretien avec Frank-Walter Steinmeier, le président de la République fédérale. Mais une déclaration de Wang Yi en conférence de presse a considérablement tendu l'atmosphère de la visite.
Le ministre chinois répondait à une question sur le voyage en cours à Taïwan du président du Sénat tchèque, Miloš Vystrčil, membre de l'opposition et accompagné d'une délégation de quatre-vingt-dix personnes (responsables politiques, entrepreneurs, scientifiques et journalistes). «Il s'agit d'un acte de provocation flagrant qui a dépassé les bornes. C'est un acte de soutien au sécessionnisme de Taïwan. Cette visite interfère gravement dans les affaires intérieures de la Chine», a déclaré Wang Yi.
«Les menaces n'ont pas leur place ici.»
Après avoir affirmé que Taïwan était «une partie inséparable du territoire chinois» et que tenter de remettre en question le principe d'une seule Chine constituait une violation d'un engagement international, Wang Yi a ajouté, à propos de Miloš Vystrčil: «Le gouvernement chinois et le peuple chinois n'adopteront pas une attitude de laisser-faire ou ne resteront pas les bras croisés, ils lui feront payer un lourd tribut pour son comportement à courte vue et son opportunisme politique.»
Dans cette conférence de presse, Heiko Maas, le ministre allemand des Affaires étrangères était assis à côté de Wang Yi. En entendant ces propos sur l'homme politique tchèque, il a immédiatement réagi: «Nous, Européens, agissons en étroite coopération –nous offrons à nos partenaires internationaux le respect et nous attendons exactement la même chose d'eux. Les menaces n'ont pas leur place ici.» Et quand il a été question de l'accord de protection des investissements entre l'Union européenne et la Chine évoqué par Wang Yi en France, Heiko Maas a répondu: «Les deux parties doivent encore se rapprocher l'une de l'autre.»
Dès le lendemain, le gouvernement allemand annonce son intention de mettre en place de nouvelles «orientations indo-pacifiques». L'objectif est de développer des accords de libre-échange en Asie avec le Japon, l'Inde, l'Australie et l'Indonésie. Ces pays, souligne Berlin, ont «la même compréhension de la démocratie» que l'Allemagne. De plus, l'objectif de cette «diversification des échanges» est de limiter la dépendance commerciale de l'Allemagne envers la Chine.
Rentré à Pékin, Wang Yi n'a probablement pas pu présenter son déplacement en Europe comme un succès. Partout l'accueil a été tiède et, en Allemagne, le voyage s'est apparenté à un fiasco. Il n'y a même pas eu d'avancées particulières à propos de l'expansion des réseaux de la 5G par le groupe chinois Huawei. Pourtant, le ministre a abordé ce dossier à chacune de ses étapes.
Mais Wang Yi n'est que l'un des 200 membres du Comité central du Parti communiste chinois. Prochainement, Yang Jiechi, responsable des relations internationales du parti et l'un des vingt membres du bureau politique, va se rendre en Grèce, en Espagne et au Portugal. Ce qui semble indiquer que, pour ces trois pays de l'Europe du Sud, Pékin a décidé d'entamer une opération d'influence importante. Avec cependant un handicap: le régime souffre actuellement d'une évidente détérioration de son image internationale.