Le mois d'août a été meilleur que juillet, les hôtels à prix réduits ont fait le plein comme les plages envahies par la clientèle française. Que sera le mois de septembre avec ou sans congrès?
Coup de projecteur sur le Carlton
Construit par Henri Ruhl de 1911 à 1913, génial hôtelier, grâce à des fonds offerts par l'aristocrate russe le Grand duc Michel, le Carlton aux deux tours façon ogives incarne à merveille l'hôtellerie de luxe sur la Croisette. La façade à la blancheur crémeuse n'a jamais été modifiée, classée aux monuments historiques depuis 1984 comme le Ritz de Paris, intouchable.
Le Carlton a été le premier palace de Cannes, il reste le préféré des voyageurs épris de culture et d'histoire conquis par la vie cannoise: la Croisette aux palmiers, la proximité de la mer et le style Belle Époque bien préservé –lumière divine.
C'est au Carlton qu'Alfred Hitchcock a tourné La Main au Collet avec Grace Kelly et Cary Grant en 1954. Hitchcock est resté un fidèle du Festival, client de Tétou, le grand restaurant de poissons hélas disparu.
L'entrée de l'Hôtel InterContinental Carlton. | Kevin.B via Wikimedia Commons
Le Carlton, développé par le groupe InterContinental (InterContinental Paris le Grand, en face de l'Opéra), doit sa formidable notoriété, sa gloire au 7e Art. De tout temps, ce fut la demeure des stars, des metteurs en scène, des festivalières de toutes provenances en mai: douze jours de folie, de fêtes, de scandales, de polémiques et des films mémorables comme Les quatre cents coups de François Truffaut primé en 1959.
Le hasard a fait que le Palais des Festivals aux marches sans tapis rouge était situé à côté du Carlton, ce qui a contribué au glamour, à la magie du palace: nombre de facéties ont eu lieu pour les photographes de Paris Match comme Jayne Mansfield à cheval devant l'entrée du grand hôtel. Cela dit, le président du jury du Festival est toujours logé dans une suite du Carlton, au septième étage: une vision panoramique superbe sur la Grande Bleue.
«Cannes au Carlton», la chanson et le vocable aux trois mots sont entrés dans l'imaginaire collectif des Français·es dans les années 1970-1990. Oui, il y a eu une formidable identification entre la ville aux deux kilomètres de plage et le Carlton à la terrasse donnant sur la Croisette –un bar chic et bien situé en surplomb pour voir et être vu. En cela, le Carlton est unique.
Et puis le grand hôtel cher à Alain Delon, à Sophie Marceau, à Grace Kelly (trois belles suites au 7e étage) a vu l'histoire de France se dérouler dans les salons d'apparat: en 1922, une des premières conférences de la Société des Nations qui deviendra l'ONU.
En 1966, premier Festival international du film (huit journalistes) et, en 2011, Barack Obama (suite 529) est venu à Cannes pour une rencontre des chefs d'État dont Nicolas Sarkozy, d'où est né le fameux slogan «Yes, We Cannes!».
On ne descend pas par hasard au Carlton dont le charme «old fashioned» définit l'allure du grand hôtel. Il faut ici de la distinction, des manières et une certaine idée du «way of life». «C'est un palace de rêve et un rêve de palace», comme disait Jean d'Ormesson à propos du Ritz.
Le Carlton Beach Club | © Roméo Balancourt
Le Carlton célèbre la mer vivifiante au Beach Club, matelas seyants et le ponton très couru (60 places) qui traverse la plage jusqu'à l'embarcadère destiné aux activités nautiques, grosses bouées, parachute ascensionnel, ski nautique, promenades en mer (100 euros pour 30 minutes): la Méditerranée pour terrain de jeux!
Le Carlton a été le premier hôtel de la Croisette à instaurer ces virées sur les eaux surveillées par des techniciens diplômés. De ce point de vue, sur la plage du Carlton les sauveteurs à casquettes et shorts rouges veillent sur les nageurs et nageuses, et surtout les enfants, en nombre, ballotés, bousculés, chavirés par le mouvement souvent impétueux des vagues. La Méditerranée n'est pas qu'une mer d'huile, les Cannois·es l'ont appris à leurs dépens il n'y a pas si longtemps.
Cela dit, au Carlton on se soucie des gestes barrières: les plagistes, les personnels de service, les voituriers portent des masques, le plaisir de vivre dans ce monument de confort et de beauté reste intact.
Le lounge du Carlton Beach Club | © Roméo Balancourt
Nouveauté, les deux repas sont servis par mesures sanitaires au restaurant Le Beach Club de la plage privée: 60 places bien disposées à l'entrée du Beach, maillots de bains tolérés à midi, mais pas le soir. Le Carlton reste strict sur la tenue et l'élégance de ses client·es.
La cheffe Alexandra Delamare au Carlton Beach Club | © Roméo Balancourt
Au déjeuner, c'est l'excellente cuisinière Alexandra Delamare formée par Laurent Bunel, chef exécutif du palace (tous les menus sont signés de lui), qui mitonne la bagatelle de trente plats ciselés dont la Belle Otéro, un homard bleu aux asperges vertes, l'innovation de 2020, un beau plat (39 euros), le ceviche de dorade à l'avocat guacamole et pamplemousse (31 euros) et le cœur de saumon Label Rouge écossais mariné qui vaut l'étoile (30 euros).
Au Carlton Beach Club, la belle Otéro, homard bleu, asperges vertes, pousses de tétragone, petit granola et fleurs fraîches | © Roméo Balancourt
Côté mer, des moules en cocotte à l'oignon blanc (31 euros), le filet de turbot à l'orange et pois chiches (39 euros), le loup bio à la fenouillade et bouillon d'ail, grand plat savoureux (37 euros) et le fameux poulpe à la braise et rougaille de tomates (34 euros).
Au Carlton Beach Club, le filet de turbot croustillé à l'orange, houmous et pois chiches caramel | © Roméo Balancourt
Cette carte plaît bien car elle reflète les produits de la côte et des recettes d'hier. Rien à voir avec une cuisine d'hôtel passe-partout, lassante et répétitive. Aussi pasta, risotto carnaroli (le meilleur) aux gambas et moules (34 euros).
Au Carlton Beach Club, le feuille à feuille de loup à l'huile de vanille et citron vert, mangue, avocat et pomme Granny | © Roméo Balancourt
Au dîner, c'est le chef Jérôme Burger, disciple du regretté Christian Willer, chef étoilé du Martinez, qui concocte le homard et l'écrevisse en mayonnaise au citron (38 euros) et les spaghetti gragnano (origine extra) au homard et pesto (39 euros).
Au Carlton Beach Club, le tartare de bœuf au couteau, caviar «Royal Calvisius», fenouil cru et chips de tomates | © Roméo Balancourt
Le dîner dans la nuit douce, la mer logée dans l'horizon, la lune parmi les étoiles dessinent un grand moment cannois enrichi par l'esprit Carlton: l'attention aux autres et à leurs désirs.
Au Carlton Beach Club, la burratina, pignons de pin grillés, tomates bio et citron confit, focaccia aux olives taggiasche | © Roméo Balancourt
Le Carlton de demain: une renaissance iconique
Le groupe InterContinental a beaucoup misé sur l'avenir immédiat du palace cher à Gilles Jacob, patron du Festival de Cannes pendant trente ans –un bail.
Un gigantesque programme de travaux a été lancé en 2019: la rénovation du bâtiment d'origine et une extension des lieux de vie, de séjour et de travail sont prévus jusqu'en 2023.
À l'issue de ce projet architectural, le Carlton disposera de deux nouvelles ailes comprenant 37 suites de luxe, plus un jardin intérieur de 2.000 mètres carrés agrémenté d'une piscine, d'un spa et d'un centre de conférences de 800 mètres carrés. C'est la double vocation du palace cannois: le confort chic des vacancièr·es et l'accueil des congressistes. Hors saison, le grand hôtel reste un lieu privilégié à des prix très humains. Cannes vit de séminaires, réunions et conférences. Le maire David Lisnard, ancien cadre du Palais des Festivals, est le maître à penser de ces manifestations rituelles: Salon du Yachting, MIPTV, Duty Free...
«Il s'agit de redonner vie au glamour de la Côte d'Azur des années 1950. Le défi pour nous était de trouver un équilibre harmonieux entre l'histoire brillante du grand hôtel sans le rendre obsolète. Nous avons travaillé sur la nostalgie du romantisme en combinant patrimoine, luxe et emplacement sur la mer», indique Tristan Auer, designer choisi.
Le défi est singulier et porteur d'avenir. Pour Giuseppe Vincelli, directeur général du Carlton, «c'est un véritable bonheur de continuer à écrire l'histoire de cet hôtel mythique pour un envol planifié vers une renaissance légendaire».
Ces travaux d'Hercule indispensables pour l'avenir du Carlton sont menés et réalisés sans fermeture du Carlton –un exploit. Le Carlton reviendra-t-il pour le Michelin à la première place des grands hôtels de Cannes? Rendez-vous en 2023.
InterContinental Carlton
58 boulevard de la Croisette 06400 Cannes. Tél.: 04 93 06 40 06. Chambres à partir de 190 euros hors saison. Petit déjeuner en terrasse à 35 ou 45 euros, œufs brouillés excellents. Repas au Beach Club en face de 80 à 110 euros. Rosé Miraval (12 euros le verre), Minuty rosé (14 euros le verre), champagne Clicquot rosé (24 euros le verre). Réservations à la plage et tables aux deux repas à la réception. Parking gardé.