La France sera-t-elle amenée à vivre une nouvelle période de confinement? Si oui, quand et pour combien de temps? Pour l'heure, il semble impossible d'apporter des réponses à ces interrogations qui occupent l'esprit de millions de personnes vivant dans le pays. Cela n'empêche pas nos semblables de réfléchir à la façon dont pourrait se dérouler le prochain confinement, et notamment à ce demander quels seraient les éléments à modifier pour que celui-ci se déroule mieux que le précédent.
Père de trois enfants âgés de 5 à 10 ans, l'auteur de ces lignes a par exemple commencé à amasser un trésor de guerre destiné à éviter les pénuries les plus frustrantes. Lorsqu'il fait les courses, il achète un peu plus de farine, de levure et de sucre que d'habitude, qu'il stocke dans un endroit sec. Vivant également en colocation avec trois chats, il emmagasine peu à peu les paquets de litière et de croquettes. Et lorsqu'il rend visite à ses bouquinistes préféré·es, il fait des stocks de littérature jeunesse et de Super Picsou Géant à bas prix.
Je vais cesser de me prendre pour Alain Delon et de parler de moi à la troisième personne: ma préoccupation principale, c'est que mes enfants aient de quoi s'occuper sans passer l'intégralité de leurs journées devant des écrans, et donc que je puisse disposer de quelques moments de calme et de solitude dont je suis si friand. Mon deuxième objectif, c'est d'avoir de quoi cuisiner pendant des jours et des jours sans être forcément contraint de faire des courses. D'où les bouquins, les denrées alimentaires de base et les bidules pour chats.
Le premier confinement (oui, je suis si pessimiste que je pense qu'on devrait commencer à les numéroter) ne m'a pas appris grand-chose sur moi-même. Il m'a juste confirmé que j'avais besoin de solitude pour me régénérer. À part ça, ce que j'en retiens tout particulièrement, c'est que je vis mal le fait de ne plus avoir de farine, de litière ou de cartouches d'encre, non seulement parce que ce n'est pas pratique, mais aussi parce que ça me donne l'impression de mal m'occuper de mon foyer.
Une bulle à recréer
Pour beaucoup, un deuxième confinement se construirait à la lumière des enseignements du premier. Chez Gabrielle, qui vit avec sa compagne et deux enfants de 10 ans et 20 mois, c'est le fait de n'être qu'à quatre qui a posé problème: «Ce qu'on ferait différemment ici, c'est de se trouver une co-famille avec laquelle créer une bulle de confinement. Plus sain pour les enfants et plus facile à gérer pour les parents...» Une telle configuration pourrait à la fois permettre à chaque adulte d'avoir plus de temps à soi, et à chaque enfant d'avoir plus de partenaires de jeu.
«Ma fille aînée a un ami depuis la grande section, et on s'est liées d'amitié avec ses parents, raconte Gabrielle. Ils habitent tout près de chez nous, pratiquement l'immeuble d'à-côté.» L'idée serait d'utiliser les deux appartements pour se confiner: «Un parent, éventuellement à tour de rôle, qui s'occupe des devoirs et leçons dans un appart, les autres qui travaillent dans l'autre, dans le silence.»
Cette idée est née de constatations communes: «On s'est vite rendu compte qu'on faisait face aux mêmes problèmes, comme tout le monde d'ailleurs: manque de motivation des enfants, interruptions constantes des parents qui doivent travailler, trop de temps devant l'écran... Ça permettrait aux enfants (et aux adultes) de changer d'air, d'avoir accès à d'autres jeux...»
«Je prévois par exemple de proposer à des parents de l'immeuble que leur fils fasse l'école à distance chez nous.»
Même constat pour Élise, qui vit seule avec son fils de 8 ans. «Habituellement, chaque semaine, nous mutualisons des repas et des sorties avec des copines séparées et leurs enfants. Ça a été très dur de ne pas fréquenter d'autres personnes, notamment d'autres enfants. J'ai beau avoir de la ressource, je ne suffis pas à peupler l'univers d'un enfant pendant deux mois.» Le confinement l'a également contrainte à mettre entre parenthèses certaines de ses valeurs: «C'est allé à l'encontre de tout ce que j'essaie de transmettre à mon fils: ne pas considérer le monde comme une menace, être ouvert aux autres, s'entraider... Soudain, il a fallu se tenir loin les uns des autres, éviter d'échanger, se méfier...»
En cas de reconfinement, Élise souhaite elle aussi élargir son cercle: «Je prévois par exemple de proposer à des parents de l'immeuble que leur fils fasse l'école à distance chez nous.» Idéal pour éviter l'isolement social et renouer avec des valeurs d'échange et de partage, même si cela ne respecte pas totalement les règles du confinement.
S'enfuir sans s'en vouloir
Après avoir souffert de la proximité et de l'enfermement dans un tout petit espace, d'autres envisagent clairement l'exil. La première fois, Émilie est restée dans son appartement parisien. «J'ai jugé durement ceux qui se sont barrés le week-end d'avant, mais en fait ils ont eu bien raison: le confinement, même avec un jardin, c'est chiant, mais ce n'est pas la torture que j'ai vécue en ville avec une gosse de 6 ans qui n'a pas mis le nez dehors pendant des semaines.»
Cette fois, plus de scrupules: «J'ai voulu faire partie du camp “moral” ou “courageux”. Finalement, je n'y ai gagné qu'une mini-satisfaction d'avoir bien fait, puis des semaines de calvaire... donc maintenant je n'en ai plus rien à faire.» Même conclusion pour Radek et sa famille: «J'étais fier d'avoir respecté les règles et d'être resté confiné dans mon appartement avec ma compagne et nos jumelles, contrairement à certains de mes collègues qui se sont tirés à la campagne dès l'annonce du confinement. Finalement, eux sont sortis relativement frais de cette étrange période, alors que chez nous, certaines journées ont eu un petit parfum d'apocalypse.»
«J'ai jugé durement ceux qui se sont barrés le week-end d'avant, mais en fait ils ont eu bien raison.»
Ailleurs, c'est juste l'organisation des journées qui sera sans doute à revoir. Y compris pour les personnes sans enfants. «En cas de reconfinement, confie Héléna*, je pense que je ne tairais pas mes besoins de solitude tués par la vie à deux à la maison. Avec mon mec, j'établirais des “horaires de solitude”, des temps où on ne se parle pas et où toute interaction entre nous, même minime, est interdite.» Une envie qui s'est fait sentir en fin de confinement: «Sur la fin, être constamment avec lui m'a fait péter un plomb. J'aurais mieux vécu la situation si on avait mis ça en place plus tôt...»
Radek confirme: le confinement lui a fait prendre conscience de l'importance de la solitude. «Avec ma compagne, on a essayé de faire front à deux, toujours ensemble avec nos filles, pour leur montrer que la cohésion familiale est plus forte que tout. Finalement, faire bloc nous a vite épuisés. En cas de reconfinement, on va s'aménager des plages de liberté: avoir deux heures pour soi dans la journée, disparaître le temps d'un film ou d'une sieste, c'est quand même pas mal. On est des parents, pas des super-héros.»
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L'herbe plus verte ailleurs
Certains projets de reconfinement s'opposent de façon troublante. «Pour éviter de passer mes journées à m'abrutir devant ma Switch, explique Lukas, qui vit seul, je me prendrais un abonnement à une plateforme de SVOD pour regarder plein de classiques et redorer ma culture ciné. Ça me donnerait moins l'impression d'avoir gâché plusieurs mois de ma vie.» Sonia, elle, prévoit exactement le contraire: «En début de confinement, je me suis fixé de hauts objectifs culturels, que je n'ai même pas tenus à moitié. Conséquence: je me suis mise à déprimer parce je me trouvais trop bête. Donc, si on reconfine, stop la pression: je songerai d'abord à me faire plaisir, à lire de la chicklit, à me refaire l'intégrale de Friends si c'est ça qui me fait vraiment envie.»
Sur un autre plan, on ne trouvera pas plus opposés que le projet de Lili («Si ça se reproduit, je n'hésiterai plus à m'impliquer dans les initiatives locales pour aider les personnes qui en ont besoin, comme faire les courses pour les personnes âgées») et celui de Hodda («L'objectif sera de penser à moi avant tout, car durant le confinement j'ai tout donné pour aider les gens de mon quartier, et ça m'a totalement éreintée, physiquement et psychologiquement»).
Le mécanisme est totalement humain et parfaitement identifié: on se persuade qu'en faisant des choix contraires à ceux que l'on avait effectués précédemment, on ira vers plus de sérénité et de bien-être. Il y a de fortes chances pour que les conclusions de ce deuxième confinement soient passablement surprenantes...
Lever le pied
C'est sur leur rapport au travail que la majorité des témoins semble converger. Prof en collège, Ève va fixer précisément ses horaires de travail de façon à ne pas se laisser phagocyter. «Je prévois de communiquer ces horaires aux élèves et à leurs familles, et de m'y tenir. Lors du premier confinement, je mettais un point d'honneur à répondre à tous, tout de suite, alors qu'élèves et familles n'en n'attendaient pas tant. Je vais donc désactiver les notifications par mail! C'est ça ou le divorce...»
«Pendant le confinement j'étais à la fois instit, animatrice de centre de loisirs, cantinière et employée de bureau. C'est mission impossible.»
Pour Marion, les choses sont très claires: «Je ne me remettrais pas à télétravailler, seule avec deux enfants de 4 ans et 18 mois. Impossible d'être disponible pour bosser sereinement en journée.» Chez beaucoup de parents, principalement des mères, on sent poindre le désir (voire l'obligation) de lâcher du lest niveau travail. «On dit souvent que les mères ont une double journée, résume Louise, mais pendant le confinement, c'était encore pire: je devais à la fois être instit, animatrice de centre de loisirs, cantinière et employée de bureau. J'ai longtemps essayé de me persuader que c'était possible, que j'allais y arriver. Mais en fait, non. Je suis humaine, et il va bien falloir que quelqu'un prenne ça en compte. Soit mon employeur, soit mon ex-mari. Et pourquoi pas les deux. On peut rêver...»
* Le prénom a été changé.