Égalités / Culture

Pierre Palmade, la voix gay dont la France a besoin

Temps de lecture : 5 min

Avec son spectacle «Assume, bordel!», l'humoriste se dévoile et rappelle qu'il n'est pas toujours facile d'être homo en 2020.

Pierre Palmade et Benjamin Gauthier dans Assume, bordel! | Guirec Coadic-Bestimage
Pierre Palmade et Benjamin Gauthier dans Assume, bordel! | Guirec Coadic-Bestimage

Les rideaux se ferment sous les applaudissements. Benjamin Gauthier et Pierre Palmade se faufilent devant le rideau. Pierre Palmade murmure un «merci d'être venus» ému. Il a l'air réellement surpris que la minuscule salle du Théâtre du Marais soit pleine, que des gens payent pour le voir jouer un homme gay en couple, lui qui a eu si peur de son homosexualité, lui qui a mis du temps à l'assumer publiquement, lui qui a été très critiqué par des membres de la communauté LGBT+ ces derniers temps.

De symbole de l'homme hétéro à homo déchu

Longtemps, Pierre Palmade fut le symbole de l'homme hétéro, celui qui ne s'occupe de rien dans son foyer, celui qui n'écoute jamais sa épouse, celui qui s'engueule avec sa femme. Son rôle dans les spectacles Ils s'aiment et Ils se sont aimés avec Michèle Laroque, sortis respectivement en 1996 et 2001, est entré dans l'imaginaire collectif français. Mais dans les boîtes de nuit gays de l'époque, on sait que l'humoriste est bien différent de son personnage sur scène. Son truc, c'est les hommes. Les hommes qu'il rencontre lors de soirées où drogue et alcool se mélangent.

Le grand public ne découvrira cet aspect de la vie de Pierre Palmade qu'à la fin des années 2000 lorsqu'il décide d'en parler à la presse. L'humoriste ne se contente pas de révéler son orientation sexuelle, il se dévoile. Dans Paris Match en 2010, il explique qu'il a vécu son homosexualité comme une maladie et qu'il aimerait être hétéro. Des années plus tard, alors qu'il joue désormais des personnages gays dans ses spectacles, il confie sur Europe 1 qu'il «ne l'aime pas [son] homosexualité. Avant j'étais en colère. Maintenant je suis juste triste d'être homo mais tant pis.» Sa transparence sur son orientation sexuelle est tout sauf politique. «Je ne suis pas pro-homo, ni anti-homo, je ne revendique rien pour la cause. Qu'ils se démerdent», conclut-il lors de cette émission. Ses propos passent mal au sein d'une grande partie de la communauté LGBT+. Certain·es lui reprochent de montrer un mauvais exemple, voire d'être homophobe.

Le désamour entre l'humoriste et les personnes homos atteint de nouveaux niveaux en 2019 lors de la promotion de son livre Dites à mon père que je suis célèbre, dans lequel il revient sur son mal de vivre et ses problèmes de drogue. Sur le plateau de «On n'est pas couché», il distingue les «homos», discrets, des «gays» qui «mangent gay, qui rient gay, qui vivent gay, qui parlent gay». Les internautes et plusieurs associations LGBT+ dénoncent des propos considérés comme stigmatisants et blessants. Plus tard, Pierre Palmade dira qu'il n'y avait pas de jugement de valeur, que c'était un simple constat. Trop tard, c'était l'incompréhension de trop, Palmade est définitivement la bête noire du monde LGBT+.

«Assume, bordel!»

C'est probablement pour éviter ce genre de catastrophes qu'il a lancé son nouveau spectacle dans la discrétion. Assume, bordel! est joué dans la toute petite salle du Théâtre du Marais. Dans cette ambiance intimiste, Pierre Palmade propose une version gay de Ils s'aiment. Michèle Laroque laisse la place à Benjamin Gauthier. Les engueulades sur la conduite en voiture ou Noël en famille laissent la place à des disputes sur le coming-out à ses parents, la participation à la Marche des fiertés ou encore la possibilité d'adopter un enfant.

Dans cette pièce, Pierre Palmade et Benjamin Gauthier incarnent deux types d'hommes gays d'aujourd'hui. L'un est un chorégraphe quadragénaire, bien dans sa peau, fier de sa féminité, militant; l'autre un dramaturge quinquagénaire, attaché à la vie hétéro qu'il aurait aimé avoir, critique des gays qui restent entre eux et s'engagent.

Cette pièce semble être à la fois une façon d'exorciser ses démons et de s'expliquer.

Pierre Palmade n'y va pas de main morte. Autant le personnage de Benjamin Gauthier est charmant, autant le sien est détestable. Il se rit de sa difficulté à assumer son homosexualité, de sa peur du regard des autres, de son incapacité à changer, de son refus de s'investir dans sa relation amoureuse. Pourtant, son personnage émeut.

On vit avec lui sa peur d'être abandonné, son homophobie intériorisée, ses années perdues à se détester, sa difficulté à aller de l'avant. Loin de se mettre en scène comme une victime d'une société homophobe, il assume pleinement ses torts, reconnaît que son ego et son besoin d'applaudissement l'ont empêché de s'assumer. Cette pièce semble être à la fois une façon d'exorciser ses démons et de s'expliquer. «Je suis désolé de ces malentendus. J'espère que ceux qui m'ont mal compris me comprendront mieux», explique-t-il au média LGBT+ Komitid à l'occasion de la sortie de la pièce.

Un discours courageux et nécessaire

Avec cette pièce, Pierre Palmade fait quelque chose de remarquable. Il rappelle qu'en 2020, même à Paris, il n'est toujours pas aisé de s'aimer quand on est homo ou bi. Il donne un visage, une histoire à ce mal-être.

En France, les rares personnes homo ou bi qui s'expriment sur l'homosexualité sont celles qui sont en paix avec leur orientation sexuelle. Voir un ministre en fonction poser avec son partenaire, un animateur de télé poster des photos de son mari et leur bébé, une actrice remercier sa compagne lors de son discours aux César ou un jeune homme chanter à l'Eurovision en perruque, est essentiel. Ces personnalités publiques deviennent de fait des modèles, la preuve que l'homosexualité peut bien se vivre.

Mais il ne faut pas oublier que ces belles histoires ne sont qu'une partie du tableau. Que l'homophobie est belle et bien vivante en France, que les comédies françaises regorgent de blagues homophobes, que les histoires d'amour queers sont minoritaires dans les productions nationales, que des enfants sont mis à la rue par leurs parents, que des couples se font tabasser dans la rue.

«Vous savez à quel point il y a des planqués dans ce métier! On pourrait à un moment parler de mon courage de l'avoir dit, d'en avoir parlé.»
Pierre Palmade, humoriste

Pierre Palmade rappelle qu'on ne se débarrasse pas si facilement que ça de l'homophobie qui nous entoure, qu'il ne faut pas abandonner ces homos qui ne sont pas suffisamment libéré·es aux yeux de certain·es, mais qu'il faut au contraire les accompagner. Pierre Palmade donne au public une chance rare: celle de voir un homme apprendre à s'aimer année après année.

Il ne faut pas sous-estimer le courage de Pierre Palmade. Combien d'autres humoristes et ou comédien·nes de son ampleur sont out en France? Et combien de sa génération? Il ne faut pas non plus sous-estimer le pouvoir de son travail. Combien de spectacles, de films, de livres mettent en scène des personnes homos ou bi dans leur intimité? Combien traitent de sujets aussi pointus que la follophobie (la discrimination des «folles», c'est-à-dire de la féminité chez les hommes), les plans à trois ou le mariage, comme Pierre Palmade le fait dans son spectacle? Surtout dans des spectacles susceptibles de toucher aussi bien les personnes LGBT+ qu'hétéros? Dans son interview à Komitid, Pierre Palmade s'étonne que son courage ne soit pas plus reconnu. «Ça fait maintenant vingt ans que je dis que je suis homo et je suis un artiste populaire, si ça ce n'est pas du militantisme!, rappelle-t-il. Vous savez à quel point il y a des planqués dans ce métier! On pourrait à un moment parler de mon courage de l'avoir dit, d'en avoir parlé

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