Cette histoire de masques va finir par me rendre maboul, totalement azimuté. Je n'y comprends plus rien. Un jour il faut le porter, le lendemain il n'est plus indispensable, et le jour d'après le voilà obligatoire.
On doit le mettre à l'extérieur s'il y a foule, puis s'il n'y a personne mais seulement si vous courez avec votre vélo. Dans ce cas-là, vous devez impérativement le mettre si vous entrez dans votre supermarché, mais si vous vous contentez d'acheter des brocolis congelés, alors il n'est pas nécessaire –à moins que vous ne soyez diabétique, auquel cas il est impératif de l'enfiler sitôt que vous approchez du rayon des sacs poubelles.
Quel foutoir. À force de l'enlever et de le remettre, j'ai fini par attraper des crampes à la main droite. Même chez moi, je me perds en considérations. Quand je me rends sur mon balcon, mon masque, je le mets ou pas? Techniquement, je suis bien à l'extérieur. J'expire de l'air comme j'en aspire. Qui me dit que l'atmosphère autour de mon balcon est parfaitement saine? Que juste au moment où je me pointe, il n'y a pas une remontée d'air pleine de méchants virus qui vient me percuter le visage?
Du coup, je l'ai porté. J'avais fière allure. Un vrai soldat en sentinelle. Manquait plus qu'un fusil pour que je dégomme le premier connard qui s'aventurerait dans la rue sans son masque.
Plus tard dans la journée, j'ai eu envie de chevaucher mon vélo d'appartement. C'est bon pour ma santé, selon le docteur qui s'occupe de soigner mes varices. J'ai mis mon cuissard, mon maillot jaune, mon casque profilé, mes protège-tibias –en cas de chute dans les descentes. J'allais grimper sur la selle quand je me suis arrêté net: masque ou pas masque?
Le matin à la radio, ils avaient dit: «Les cyclistes doivent rouler avec un masque.» Ordre de la préfecture. Je revendiquais mon statut de cycliste à part entière. Du coup, par solidarité, je suis allé chercher mon masque et l'ai enfilé bien sagement.
Afin d'empêcher les aérosols de stagner dans l'air ambiant –je ne voulais pas me contaminer moi-même–, j'avais mis le ventilateur à fond et cheveux au vent, je galopais allégrement. Ma bouche se collait et se décollait du masque comme un crapaud en pleine phase d'accouplement.
Très vite, j'ai commencé à ressentir une certaine fatigue, puis une fatigue certaine. Mon pulsomètre indiquait 240 pulsations par minute et un cœur rouge gros comme une tomate d'Espagne flashait comme un dératé au milieu de l'écran. Ma montre hyper-connectée –un cadeau de ma belle-mère– m'a prévenu: encore une minute à ce rythme-là et elle appelait l'hosto direct –la montre, pas ma belle-mère: elle, elle se réserve pour contacter les pompes funèbres le jour de ma mort.
J'ai enlevé mon masque. Les pulsations sont retombées à 130. De temps en temps, je me retournais pour voir si un gendarme ne se pointait pas dans le couloir de l'entrée, sifflet à la bouche, carnet de contraventions à la main, prêt à me verbaliser. Personne. Comme quoi, les flics sont payés à rien foutre. J'ai eu beau mouliner pendant une petite heure, je n'en ai vu aucun. Fonctionnaires de mes deux.
Quand je suis redescendu de la bécane, il y avait une alerte info sur mon portable. Le masque était désormais obligatoire à l'extérieur, sauf pour les cyclistes et les joggeurs, du moins entre 23 heures et 6 heures du matin, à partir du moment où vous habitiez à la périphérie sud de la ville. Sinon, c'était le contraire. Hein?
Si pendant la guerre, on avait eu le droit aux mêmes zozos, on serait tous morts: personne n'aurait jamais su quand descendre dans les abris anti-aériens. Indécise, la population serait restée à mi-chemin dans les escaliers, cible parfaite pour la Luftwaffe.
Cette histoire de masques me déprime profondément. Je ne sais plus sur quel pied danser. J'aimerais des ordres clairs et précis. Ou bien acheter un masque préprogrammé qui s'adapterait aux dernières directives de la Santé publique. Je le porterais en bavoir; il se collerait à ma bouche sans que je ne lui demande rien. Sur ordre du préfet. Selon la recommandation du conseil scientifique. Aux bottes du ministère de la Santé.
Ce serait la vie presque comme avant. Sans tracas ni revirements incessants. De lui-même, mon masque s'adapterait à son environnement. Dehors, dedans, à pied, à cheval, en ville, à la campagne, à l'école, au lycée, à l'université. Une fois vissé à sa bouche, on ne pourrait plus l'enlever. Évidemment, il serait obligatoire.
Hormis pour les asthmatiques.
Et les culs-de-jatte.
Enfin, sauf ceux qui bouffent des brocolis congelés sur leur vélo d'appartement.
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