Convoler ou disparaître. Cela pourrait être le titre d'une mauvaise saga télévisée. C'est en fait le scénario qui fait fureur depuis l'automne dernier sur la scène bancaire internationale. La crise financière qui a envoyé au tapis la plupart des grandes banques mondiales contraintes à des rachats en chaîne aux Etats-Unis comme en Europe. Les banques les moins éclopées, ou qui paraissaient l'être, ont saisi l'aubaine : acheter à vil prix des banques en état de faillite pour devenir plus grandes, plus fortes et plus profitables lorsque le calme sera revenu.
Et nous voilà revenus à la bonne vieille théorie du «big is beautiful». A ceci près que la crise a démontré que les mastodontes du secteur de la finance ont été parmi les premiers à faire naufrage et qu'ils auraient coulé à pic sans l'aide des Etats. Banques universelles, banques d'investissements, établissements spécialisés dans le crédit, aucune de ces catégorie n'a été épargnée. Et le «mercato» n'est sans doute pas terminé. Mais pour aboutir à quoi ? A la création de nouveaux géants bancaires aux assises solides ou à des groupes à peine convalescents qui digèrent mal leur union ? Une fusion, même lorsqu'elle se présente sous les meilleures auspices avec des entreprises bien portantes, n'est jamais à l'abri de risques d'exécution qui la transforment en échec.
Pour le moment la plupart des rapprochements engagés entre les banques américaines sont assez consternants. Aux Etats-Unis, dans les jours qui ont suivi la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre, Bank of America a sauvé la banque d'investissement Merrill Lynch d'une mort certaine moyennant 50 milliards de dollars, tandis que Wells Fargo a gagné contre Citigroup la bataille pour prendre le contrôle de Wachovia, quatrième banque du pays. Montant de l'opération : 15 milliards de dollars.
Six mois après l'annonce de ces épousailles, la situation a viré au cauchemar. La santé de Bank of America suscite les plus vives inquiétudes malgré l'injection de 45 milliards de dollars par le Trésor américain et la garantie du gouvernement fédéral sur 118 milliards d'actifs toxiques dont 75% proviennent de Merrill Lynch. Bank of America a terminé l'année 2008 sur un bénéfice de 4 milliards de dollars qui n'a pas réussi à masquer un dernier trimestre en perte de 1,8 milliard. Quant à Merrill Lynch, dont les résultats n'étaient pas intégrés à ceux de Bank of America, elle a perdu près de 16 milliards de dollars au dernier trimestre et 26,7 milliards sur l'ensemble de l'année. Les patrons de Bank of America ont le moral en berne en estimant que les pertes et les dépréciations vont se poursuivre dans les mois qui viennent. Mais qu'importe, Bank of America qui faisait il n'y a pas si longtemps l'objet de discussions au sein du gouvernement américain sur une éventuelle nationalisation, revendique la plus grosse division de gestion de fortune au monde...
Moins fragilisée apparemment, la banque californienne Wells Fargo hérite d'une banque qui a perdu pas loin de 24 milliards de dollars au troisième trimestre 2008, et 11,2 milliards les trois mois suivants. Reste à espérer que les comptes de Wachovia ne révèleront pas d'autres mauvaises surprises. Wells Fargo, qui a malgré tout bénéficié d'un coup de pouce du Trésor de 25 milliards, se dit confiant dans l'avenir et se targue, grâce au rachat de Wachovia, de détenir le plus gros réseau de distribution du pays avec 11.000 agences et la place de numéro deux par les dépôts qui s'élèvent à 774 milliards de dollars.
De l'autre côté de l'Atlantique, la palme de la fusion la plus loupée revient sans conteste au Royaume-Uni. Le 18 septembre dernier, Lloyds TSB enlevait une épine du pied aux autorités britanniques en annonçant le rachat de HBOS, ce qui lui permettait de devenir le leader incontesté des services financiers outre-Manche. HBOS, spécialisée dans le crédit immobilier et celui au PME, était alors exsangue, en manque de liquidité et de solvabilité. Ce projet, applaudi par toute la City, a reçu un satisfecit de l'autorité de tutelle financière, la FSA, qui a vu dans cette opération un bon moyen «d'accroître la stabilité des marchés financiers». Rebaptisé Lloyds Banking Group, le groupe qui laissait espérer de substantielles économies de coûts grâce à la fusion est désormais nationalisé. Son capital est détenu à 65% par l'Etat qui garantit également 260 milliards d'actifs toxiques. Et personne ne voit le bout du tunnel. Le grand champion bancaire qui devait naître du chaos s'est transformé en calamité financière.
La France n'est pas restée à l'écart du mouvement de concentration. BNP Paribas clame à qui veut l'entendre qu'elle sera bientôt la première banque de dépôts en Europe. Après six mois d'intenses tractations et de déconvenues, le groupe, dirigé par Baudouin Prot, est parvenu à un accord le 7 mars pour mettre la main sur Fortis Bank partiellement nationalisée depuis sa quasi faillite en septembre dernier. Le projet de rachat de 75% de Fortis Bank détenue par l'Etat belge et de 25% de Fortis Assurance doit être soumis aux actionnaires début avril.
Autrefois belge, néerlandais et luxembourgeois, le groupe Fortis a été emporté par la crise et ses investissements hasardeux. Le montage financier très complexe qui doit permettre à BNP Paribas d'étendre sa toile en Europe illustre la difficulté qu'il y a à isoler les actifs toxiques sans laisser à l'Etat belge l'essentiel de la facture. Ainsi 11,4 milliards d'euros sont isolés dans une structure ad hoc dont BNP Paribas ne détiendra que 12%. En revanche le portefeuille de 21,4 milliards de produits structurés, jugé moins risqué, reste dans Fortis Bank, avec une garantie de 1,5 milliard de l'Etat belge. Une chose est sûre, BNP Paribas accepte de prendre un risque dans cette opération. Les mois qui viennent diront si le jeu en valait la chandelle et si le groupe français fragilisé par la crise, malgré un bénéfice de 3 milliards d'euros en 2008, atteint ses ambitions.
Dominique Marriette