«C'est compliqué» est une sorte de courrier du cœur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c'est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes. Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: [email protected]
Vous pouvez aussi laisser votre message sur notre boîte vocale en appelant au 07 61 76 74 01 ou par Whatsapp au même numéro. Lucile vous répondra prochainement dans «C'est compliqué, le podcast», dont vous pouvez retrouver les épisodes ici.
Et pour retrouver les chroniques précédentes, c'est par là.
Chère Lucile,
J'ai 58 ans, je me suis mariée à 25 ans, je suis actuellement séparée et en procédure de divorce. J'ai deux grands enfants qui vivent maintenant leur vie et un petit-fils. Cela fait déjà bien des années qu'avec mon conjoint nous nous sommes éloignés jusqu'à ne plus être que de simples colocataires, mais surtout il est alcoolique depuis un certain temps et la vie est devenue impossible avec lui.
Ça fait longtemps que j'aurais dû partir, mais je me battais sur un second front: un supérieur hiérarchique toxique, un encadrement qui voyait et savait mais ne faisait rien. Du grand classique, malheureusement. Je mettais mon énergie à tenir et protéger mes subordonnés. C'était impossible de me battre sur deux fronts à la fois. Finalement, j'ai pu changer de poste il y a bientôt deux ans et j'ai pu alors me retourner vers ma vie personnelle.
Et c'est là que commence l'histoire.
J'avais un besoin fondamental de retrouver le contact physique avec un homme, je me suis donc inscrite sur un site de rencontre pour personnes recherchant des relations extraconjugales, histoire de ne pas rentrer dans des situations compliquées: juste des plans cul.
Je me demandais ce que ça donnerait à mon âge. Eh bien, j'ai plutôt fait de jolies rencontres, surtout dans ma tranche d'âge car la maturité apporte énormément de choses dans la sexualité et la relation à l'autre. En fait, c'est là que j'ai pris le plus de plaisir. Mais ce qui devait arriver arriva.
J'ai rencontré un homme adorable il y a un an et demi via le site. Il a quatre ans de plus que moi et vient de prendre sa retraite. Le deal quand on s'est rencontré était très simple: se faire du bien. De son côté, il est marié depuis quarante ans mais sans aucune relation avec sa femme depuis des années, de simples colocataires, et d'après ce que j'ai pu percevoir avec le temps, sa femme a dû lui refuser beaucoup sexuellement. Mais nous ne parlons pas vraiment d'elle ni de mon conjoint. Nous n'avons d'ailleurs jamais mentionné leurs prénoms alors qu'on connaît ceux de nos enfants, gendres, belles-filles, petits-enfants.
Avec le temps, notre relation est devenue intense, particulière. J'ai arrêté de chercher des plans cul, on se voit maintenant de la façon la plus rapprochée possible, quinze jours sans se voir est un véritable supplice pour nous deux. Nous avons nos moments de sexe (intenses et longs), nos balades et nos sorties au resto. Nous avons une vie propre à nous.
Ce qui est particulier, c'est qu'en fait on s'est reconstruit mutuellement petit à petit. Les dégâts que la vie nous avait faits ont été réparés de l'intérieur, et à l'intérieur de nous, peu à peu, par l'écoute, le non-jugement, la douceur, la liberté. Pas besoin de grandes explications, je suppose qu'on doit être suffisamment semblables pour se comprendre à demi-mot, percevoir les mêmes choses au même moment.
Nous nous disons tout le bien, l'apaisement, l'énergie, la complétude, le bonheur que nous nous donnons l'un à l'autre, mais sans jamais nommer le sentiment qui le porte. C'est le mot interdit tacitement. Le dire reviendrait, je pense, à un engagement. Et il n'est pas question d'engagement entre nous, pour tout un tas de raisons objectives que nous admettons totalement tous les deux.
Et ça m'amène à vous dire ma difficulté: je ne veux pas rester seule, j'ai envie de partager mon quotidien. Cet homme lui-même me dit de ne pas rester seule. Il faudra bien un jour que j'aille voir ailleurs, pour mon bien-être. Et vu mon âge, il faudrait que je me presse un peu. Mais l'idée de le laisser me fait un mal de chien. Je le lui ai dit. Il m'a dit de ne pas m'inquiéter, qu'on serait toujours présent l'un à l'autre, quelque part dans tout ce qu'on s'est apporté mutuellement.
Mais je crois que je culpabilise un peu: je le quitte pour trouver du bien pour moi, et je le laisse là, tout seul, retourner à sa vie d'avant. Je lui souhaite bien sûr de rencontrer quelqu'un après moi, mais il faut rester réaliste: à 63-64 ans, ce n'est pas aussi simple qu'à 40. J'ai connu la souffrance et lui aussi, je ne veux pas de souffrance pour lui à l'avenir.
Le temps et l'âge sont enrichissants mais cruels. Je sais quoi faire, comment le faire, lui aussi. Nous ferons cette séparation ensemble quand le temps viendra, mais à quel prix?
Claire
Chère Claire,
Il y a des histoires qui ne peuvent pas s'écrire sur le long terme. Certaines ne s'écriront même pas du tout. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de passion, pas d'amour, pas de tendresse. Mais, vous le savez, parfois c'est aussi beaucoup plus compliqué de faire vivre une histoire que d'avoir des sentiments. Avec cet homme qui fait battre votre corps, vous semblez être d'accord pour dire qu'il n'y a pas d'avenir possible, ou du moins pas pour le moment. Vous avez vécu ensemble une belle histoire. C'est toujours dur d'accepter que ça s'arrête mais je crois qu'avec l'âge vient aussi la résignation face à des éléments qui nous dépassent.
Que faire alors? Beaucoup de possibilités s'offrent à vous en réalité. Vous pouvez décider d'organiser un baroud d'honneur, un rendez-vous d'adieu qui vous laissera des souvenirs impérissables. Vous pouvez vous écrire une dernière lettre, partager des objets, organiser la fin ensemble, en douceur. Ensuite, vous pouvez vous offrir le temps d'une période de deuil de cette histoire. Rien ne vous oblige à redevenir active sur le site que vous utilisiez comme si les autres corps pouvaient effacer le sien. C'est d'ailleurs le meilleur moyen de souffrir encore plus de son absence.
Vous demandez quel est le prix qu'il est raisonnable de payer pour ces beaux moments. Je crois que la souffrance à la fin d'une histoire est proportionnelle à la force des sentiments qu'on partage avec la personne. Bien sûr que l'arrêt de cette histoire va être un déchirement. Mais si rien ne vous permet de partager plus ou plus longtemps, alors vous devez décider ensemble d'une manière de vous offrir de derniers beaux souvenirs. Et vous en avez déjà conscience. J'imagine qu'au fond de vous, les moments passés ensemble ont déjà le goût amer de la séparation à venir.
Mais cet homme a raison: votre histoire vous a déjà marquée et elle vous accompagnera toujours. Elle fait désormais partie de vous et de lui. Vous savez l'un et l'autre que vous serez toujours là pour l'autre si le besoin s'en fait sentir. Cela peut être une consolation: si le temps n'est pas propice aujourd'hui à une histoire partagée pleinement, peut-être que cela sera le cas dans cinq ans ou dans dix ans. Il n'y a pas d'âge pour aimer.
Là, il faut se séparer. Alors séparez-vous comme un au revoir. Avec tendresse et avec respect pour l'autre, avec émotion face à la délicate alchimie qui vous a réunis. C'était beau mais aujourd'hui, vous avez besoin d'autre chose. Et il faut déjà du courage pour exprimer ce désir et ne pas s'oublier dans son amour. Vous avez eu cette force alors respectez-la aussi. Il faut savoir chérir les moments heureux plutôt que d'être en colère qu'ils ne durent pas éternellement. Vous avez eu beaucoup de chance de partager autant avec cet homme. Maintenant que votre relation atteint ses limites, vous devez pensez à vous et à votre avenir avant tout.
«C'est compliqué», c'est aussi un podcast. Retrouvez tous les épisodes: