Le premier long-métrage du jeune réalisateur chinois Liang Ming est construit autour d'un couple. Mais si sa composante masculine donne son titre au film, son centre et son enjeu est bien sa sœur, Gu Xi, cette jeune fille un pied dans l'enfance et l'autre dans l'âge adulte.
Le frère et la sœur mènent une vie rude, dans ce nord de la Chine industriel et glacial où ils habitent une cahute en bordure de la ville. Quelques scènes suffisent à percevoir que ces deux-là ne doivent leur survie qu'à leur extrême proximité et à un talent pour la débrouille qui ne peut connaître de relâchement.
Le film raconte une histoire simple dans un monde compliqué. L'histoire de ce duo lié par une immense affection forgée par les épreuves quotidiennes, qui se défait lorsqu'apparaît une jeune femme pleine de charme et de vitalité dont le frère tombe amoureux.
Un monde où s'affrontent les gangs qui veulent contrôler les zones de pêche, où le travail est difficile lorsque l'on n'a pas le permis de résidence, où les industries pétrolières voisines rejettent de catastrophiques marées noires qui exterminent les poissons et ruinent ceux qui vivent de la mer, où les patrons ont droit de cuissage sur les employées, où le crime paie pour les puissants.
De loin, de biais, à fleur de peau
Mais ce n'est pas tant le déroulement du récit lui-même, cet apprentissage d'une indépendance comme un abîme, et son inscription dans un contexte qui en partie l'explique ou l'influence, qui marque le plus dans Grand Frère. L'évidente réussite du film se joue à un niveau plus immédiat, plus sensuel aussi.
Une course-jeu dans la neige, un moment de tristesse la tête dans l'oreiller, la fascination pour un objet brillant, le suspens des fatigues et des angoisses lorsqu'un collègue se met à chanter pendant la pause… Liang Ming excelle à capter l'humeur d'un moment et à lui donner un sens dans le patchwork de l'intrigue.
Une adolescente à l'orée d'une vie nouvelle, qu'elle ne voulait pas et inventera malgré tout. | Via ASC Distribution
Si le film reste constamment aux côtés de la jeune fille (remarquablement interprétée par Lu Celeste, tout comme son frère joué par Wu Xiao-Liang), il s'étoffe de ne pas tout montrer, encore moins de tout expliquer.
Grand Frère circule sans cesse entre des lieux presque toujours sous le signe du «trop»: trop froid dehors, trop chaud dans les bistrots où l'on s'étourdit d'alcool et de gaieté surjouée, trop grande la maison des riches, trop bizarre l'architecture de l'hôtel où travaille Gu Xi, trop extrême la vengeance de la sœur. Il semble d'autant plus toujours en mouvement qu'il alterne les plans vus de loin, ou de biais, et ceux qui paraissent tournés à fleur de corps des protagonistes.
Quand le grand frère rencontre une très charmante et très vivante fille à papa. | Via ASC Distribution
Signé d'un nouveau réalisateur jusque-là connu comme acteur, notamment chez Lou Ye, et situé dans des espaces rarement montrés à l'écran, le long-métrage fut à l'automne 2019 la révélation du Festival de Pingyao, principale manifestation tête chercheuse du jeune cinéma chinois.
Filmer comme un chat
Saturé d'informations tout en préservant son mystère, truffé de rebondissements sans perdre de vue son histoire, Grand Frère déploie une impressionnante virtuosité de composition, qui s'abstient pourtant de toute esbrouffe.
Situation concrète après situation concrète, le parcours de Gu Xi vers une autonomie autant subie que conquise se nourrit d'une succession de moments qui ont chacun leur saveur, leur tonalité, et que la réalisation saisit avec une justesse instinctive –que l'on dirait animale si, on ne sait pourquoi, le mot ne sonnait péjoratif.
Liang Ming filme comme un chat: il retombe sur ses pattes, il réagit au quart de tour aux stimulations visuelles, il passe de la douceur d'une fourrure aux griffes et aux dents acérées.
Ce rapport très physique est justement condensé dans la micro-métaphore d'une dent douloureuse et la capacité qu'aura la jeune fille de s'en libérer. Presque rien… comme de devenir adulte.
Grand Frère
de Liang Ming, avec Celeste Lu, Wu Xiao-Liang, Wang Jia-Jia
Durée: 1h44. Sortie le 26 août 2020.