321 civils dont au moins 80 enfants ont été massacrés entre le 14 et le 17 décembre 2009 dans la région de Makombo (Nord du Congo) par l'Armée de résistance du Seigneur (LRA), l'une des rebellions les plus violentes d'Afrique. La LRA est un mouvement originaire d'Ouganda qui attaque régulièrement les populations en République démocratique du Congo (RDC), au Sud Soudan et en République Centrafricaine.
Lors de cette opération sanglante de la LRA, 250 autres personnes auraient été enlevées. C'est du moins ce qu'affirme un rapport que vient de publier Human rights Watch. Selon cette ONG, les victimes ont d'abord été «ligotées avant d'être tuées à coups de machettes ou d'avoir le crâne fracassé à coups de haches et de gourdins».
Les Nations unies parlent, elles aussi, de massacres de grande ampleur. Tandis que les autorités congolaises tendent à minimiser l'ampleur de ce drame. Selon elles, seule une trentaine de personnes auraient trouvé la mort lors de cette terrifiante action de la LRA. Comment expliquer une telle divergence d'appréciation? Reconnaître que des massacres de cette ampleur sont commis en RDC - en toute impunité - par une rébellion venue d'Ouganda montre que les autorités de Kinshasa ne contrôlent pas leur territoire et leurs frontières. Cela démontre aussi qu'elles sont incapables d'assurer la sécurité de leurs citoyens.
Sous-information
Qu'un tel massacre ne soit révélé que trois mois plus tard montre aussi que nous sommes sous-informés sur ce qui se passe en RDC. Dans de vastes zones de ce pays aucun journaliste n'est présent pour témoigner des atrocités commises.
Les troupes ougandaises viennent de se déclarer prêtes à intervenir sur le territoire de la RDC pour y combattre la LRA. Dans le passé les Ougandais, tout comme les Rwandais ou les Zimbabwéens, sont intervenus maintes fois en territoire congolais. Ils ne se sont pas contentés d'y faire la chasse aux rebelles: ils ont aussi exploité les ressources minières du pays à leur profit.
Si les autorités de Kinshasa refusent de reconnaître l'ampleur du massacre, c'est aussi parce qu'elles viennent de réclamer le départ des troupes des casques bleus, la Monuc (Mission des Nations unies au Congo). Le chef de l'Etat Joseph Kabila souhaite qu'elles quittent le territoire avant juillet 2011, date de la prochaine présidentielle. Or les troupes des Nations unies sont les plus à même d'empêcher les massacres de grande ampleur.
Que fait la Monuc?
A la demande du président Joseph Kabila, la Monuc a déjà accepté de se désengager dans le Sud et l'Ouest de la RDC - un pays dont la superficie est quatre fois supérieure à celle de la France. Mais, si la Monuc devait quitter l'est et le nord, qui assurerait la protection des Congolais? Lors de la dernière décennie, les conflits armés ont fait plus de 4 millions de morts en RDC. D'autre part, l'est du Congo est l'une des régions du monde où les viols sont les plus fréquents.
Certes la Monuc n'est pas exempte de tout reproche. Son action est coûteuse: 1,3 milliard de dollars par an. Les casques bleus n'ont pas toujours fait preuve de grand courage. «Lorsque les partisans de Joseph Kabila et ceux de Jean Pierre Bemba s'affrontaient (en 2007) à l'arme lourde dans les rues de Kinshasa, les casques bleus ne faisaient rien. Ils restaient tranquillement dans leurs camps militaires» explique Ambroise, un Congolais qui travaille pour la Monuc dans la capitale congolaise.
D'autre part, des casques bleus ont été impliqués dans des scandales divers et variés. Viols, ouverture de bordels avec des mineures, trafic d'armes avec des rebelles (il s'agissait en fait d'un troc), échange d'armes et d'informations contre de l'or extrait des mines contrôlées par les rebelles. La BBC a enquêté sur ces exactions et révélé l'ampleur des scandales.
«On se casse»
Lorsqu'il s'était rendu en RDC pour préparer son roman qui se déroule au Congo (Le chant de la mission, Ed du Seuil), John Le Carré avait interviewé des casques bleus. A la question: «Qu'est ce qui se passe si ça commence à chauffer?», ils avaient répondu sans ambages: «On se casse!» On ne peut être plus clair. Les casques bleus n'ont pas envie de mourir pour le Congo. Mais au moins ils obéissent à certaines règles. Et s'ils commettent des fautes, ils peuvent être soumis à des sanctions.
Il en va rarement de même avec l'armée congolaise. Le plus souvent, elle est bien plus perçue comme une source de danger que de protection. «Lorsque l'armée veut recruter des soldats, elle fait une rafle dans les quartiers populaires. Elle attrape les voyous et les envoie de force sur le front. Comme en plus, ils touchent rarement leur solde, ils se payent sur la bête. A savoir les populations civiles. Au lieu de combattre les rebelles, ils prennent la fuite. Et ils tuent et violent des civils au passage» explique Basongo, enseignant dans l'est du Congo.
Quant aux hauts gradés, ils restent bien souvent à Kinshasa, gèrent leurs business et rechignent à se rendre sur le front. «Pour devenir général ou colonel au Congo, il n'est pas nécessaire d'avoir un passé militaire, il faut juste bien s'entendre avec le président. Au Congo personne ne sait combien il y a de généraux» explique un officier de la Monuc.
Présidentielles
En juillet 2011, lors de la présidentielle, si les troupes de la Monuc plient bagage, la situation risque d'être explosive. Les deux principaux candidats à la présidentielle de 2006, Jean Pierre Bemba et Joseph Kabila ont fait la guerre en plein cœur de Kinshasa en mars 2007. La résidence de Jean Pierre Bemba avait été bombardée à l'arme lourde par le camp présidentiel pendant une visite des ambassadeurs de France et des États-Unis.
Depuis la situation du leader de l'opposition s'est aggravée: Jean Pierre Bemba est incarcéré à La Haye. Il devra répondre à partir de juillet 2010 devant le TPI (Tribunal pénal international) des exactions commises par ses troupes, notamment en Centrafrique.
Joseph Kabila est lui toujours au pouvoir. Il souhaite se faire réélire en 2011. Mais, sans les casques bleus sera-t-il possible d'organiser un scrutin crédible et d'éviter les violences? Rien n'est moins sûr.
Pierre Malet
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Photo: Le village de Bangadi, dans le nord du Congo, février 2009, REUTERS/Finbarr O'Reilly