Pour Jérémy*, tout se déroulait comme souhaité. L'étudiant de 24 ans, en dernière année de master dans les projets d'aide au développement, réalisait son stage de fin d'études au sein d'une ONG. Mais l'arrivée du Covid-19, le confinement et la crise ont changé la donne.
«Arrivé au bout de six mois de stage, mes responsables m'annoncent qu'ils voudraient me garder mais qu'à cause de la situation sanitaire et au regard de leur budget, ce serait compliqué de m'offrir un CDD, explique-t-il posément. Ils m'ont alors proposé une solution transitoire: soit un autre stage, soit un service civique.» Le jeune homme a opté pour la seconde option, d'une durée minimale de neuf mois.
En 2019, près de 140.000 jeunes ont réalisé une mission de service civique. Créé en 2010, cet engagement volontaire «au service de l'intérêt général» est ouvert à toute personne âgée de 16 à 25 ans, et ne peut être réalisé qu'une seule fois. Sa popularité est grandissante, d'autant que le président de la République Emmanuel Macron s'est engagé, le 14 juillet dernier, à créer 100.000 places supplémentaires d'ici six mois.
Si le service civique est surtout plébiscité par des jeunes qui n'ont pas –encore– de diplôme de l'enseignement supérieur (44% des volontaires ont le baccalauréat comme plus haut diplôme au moment de leur engagement), il est également effectué par de jeunes diplômé·es qui n'ont pas de perspective d'emploi, à l'image de Jérémy.
Une solution temporaire
Le stagiaire devenu volontaire en service civique en a conscience, cette solution est un «stage déguisé, puisque nous ne sommes plus conventionnés par nos universités. Je suis payé presque pareil [le service civique est indemnisé 580 euros nets par mois pour au moins 24 heures par semaine, tandis que la gratification minimum d'un stage est de 546 euros nets par mois pour 35 heures par semaine, ndlr], et cela permet à l'ONG de boucher certains trous, dans un milieu où l'argent manque», observe Jérémy.
«Initialement, j'aurais préféré continuer en CDD, mais je n'avais pas envie de me lancer dans une recherche d'emploi active alors que je me plais beaucoup dans ce que je fais chez eux, poursuit-il. Cela me permet de continuer à monter en compétences sans me bloquer. Je peux également partir plus facilement en mission à l'étranger que si j'avais un CDD. Cette perspective me motive à rester. Je n'exclus pas de partir si je trouve une autre opportunité et qu'on ne me propose rien ici. Il est simple de rompre un service civique.»
«Avec mon master, j'étais déjà qualifiée. Cela a surtout été l'occasion d'avoir une première expérience de travail»
Un cas de figure qu'a connu Cécile, il y a deux ans. Diplômée d'une licence d'information-communication et d'un master de multimédias, elle raconte: «Je ne me sentais pas légitime dans ce que je faisais car mon master n'était pas très professionnalisant. J'étais freelance dans la communication et je me suis dit que le service civique pouvait être un complément, puisque ce n'était que 24 heures par semaine. Je devais rester huit mois, mais je suis partie au bout de quatre car mon travail en freelance se développait. C'était plus rentable pour moi de m'y consacrer entièrement.»
À son compte depuis trois ans, la jeune femme voit plutôt d'un bon œil son expérience de service civique, même si elle confesse ne pas avoir appris grand-chose. «Avec mon master, j'étais déjà qualifiée. Cela a surtout été l'occasion d'avoir une première expérience de travail dans ce domaine de la communication que je ne connaissais pas bien. Cela a été une transition entre les études et le travail.»
Et après?
Les études terminées, il devient souvent difficile d'accumuler de l'expérience, notamment en raison de la difficulté à obtenir une convention de stage sans rattachement universitaire. Louis*, 28 ans, diplômé en 2016, a cherché un emploi dans l'audiovisuel à la fin de ses études. Sans succès.
«J'ai donc décidé de continuer à faire des stages mais, pour cela, je devais payer des universités basées à l'étranger afin d'obtenir une convention de stage. Le peu d'argent que me rapportait le stage passait dans le paiement de la convention. Malgré cela, je n'avais toujours pas de débouchés. C'est à ce moment que j'ai entendu parler du service civique. Comme j'allais avoir 25 ans, c'était le dernier moment pour en faire un. D'autant que je suis tombé sur une offre qui m'intéressait vraiment», détaille celui qui passera sept mois à faire du volontariat.
Pourtant, lorsqu'il postule, la place de service civique est déjà occupée. On lui propose donc un stage, afin de se «familiariser à la structure», et avant d'enchaîner sur son service civique. Cela ne lui a pas ouvert les portes d'un emploi, mais il estime avoir développé un réseau dans cette sphère professionnelle, qui lui est utile aujourd'hui. Autre difficulté: réaliser un service civique n'ouvre pas de droits aux allocations chômage.
Au sortir d'un service civique, les volontaires peuvent candidater à l'Institut de l'Engagement, une association créée en 2012 dont le but est de valoriser les parcours. Les lauréat·es peuvent alors bénéficier d'un accompagnement. Pour Pauline, lauréate désormais guide-conférencière, le service civique a été un bon moyen de combattre son syndrome de l'imposteuse et de se sentir plus légitime: «Ensuite, ma chargée d'accompagnement au sein de l'Institut de l'Engagement a réussi à me donner des contacts de personnes dans mon département. Cela m'a permis de développer mon projet de création d'autoentreprise, actuellement en cours. C'est une idée qui a mûri pendant mon service civique et s'est confirmée à la fin de celui-ci.»
Ne pas en faire un sous-emploi
Le service civique est parfois pointé du doigt en tant que «sous contrat de travail» grâce auxquel certaines structures bénéficieraient d'une main d'œuvre qualifiée à un montant dérisoire, le montant de la gratification payée par l'organisme d'accueil au volontaire étant seulement de 107,58 euros par mois.
Marie Trellu-Kane est présidente exécutive d'Unis-Cité, l'association qui a inspiré le principe du service civique en proposant, depuis vingt-cinq ans, des missions d'intérêt général à des jeunes. Aujourd'hui, Unis-Cité est la plus grosse association d'accueil: environ 10.000 jeunes s'y engagent chaque année. Pour elle, le risque que le service civique se transforme en emploi au rabais existe:
«La loi dit qu'on ne peut pas mettre un service civique sur une mission auparavant confiée à un salarié. Mais il faut être vigilant collectivement, et que l'État impose des conditions: notamment des jours de formation, du travail en équipe, le tout avec un véritable intérêt et une diversité, analyse-t-elle. Si une structure est sérieuse avec le service civique, cela lui coûte: il faut former le jeune, l'intégrer, ce à quoi s'ajoute le matériel, l'encadrement, les transports…»
Parmi les témoins interrogé·es dans cet article, plusieurs ont eu vent de situations abusives, sans que cela ne les touche directement. «Lorsque j'ai échangé avec d'anciens volontaires, on m'a bien dit de chercher une mission où la fiche de poste est détaillée et avec un réel encadrement», se souvient Simon, diplômé d'un master en économie sociale et solidaire à 24 ans, et qui va débuter un service civique en septembre. «Mais on m'a toujours parlé de cette expérience comme d'un moment très riche dans une vie», nuance-t-il.
Un retour partagé par Marie Trellu-Kane, qui abonde: «C'est avant tout une expérience humaine. Les jeunes en ressortent avec plus de confiance en eux, ils sont plus épanouis et ont nourrit leur projet de vie. Certains s'engagent “faute de mieux”. Mais au bout d'un mois ou deux, ils ne font plus ça par défaut car tout prend sens sur le terrain. Ils découvrent l'engagement, la solidarité, se font des amis, un réseau. On dit parfois que le service civique est un moyen de cacher le chômage. Je pense que les jeunes sont bien mieux sur le terrain, à se sentir utile. C'est beaucoup plus valorisant.»
* Les prénoms ont été changés.