Ils se sont longtemps contentés de soupirer en levant les yeux au ciel, mais les climatologues français ont fini par craquer. Exaspérés par les propos des Allègre et autres climatosceptiques, 400 scientifiques ont envoyé un courrier à Valérie Pécresse, la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Ils demandent un soutien explicite du gouvernement après la série de polémiques qui ont entaché la réputation de leur discipline, citant nommément Claude Allègre. En clair: «Faites le taire, par pitié.»
A lire l'intéressant travail de débugage effectué par exemple sur le blog {sciences²}, on les comprend. Le journaliste a envoyé au paléo-climatologue Hakan Grudd le graphique (comparaison entre les concentrations atmosphériques de CO2 et température) qu'a repris Claude Allègre dans son livre L'imposture Climatique en l'attribuant au chercheur:
La réponse de ce dernier a rapidement mis au jour les libertés qu'a prises l'homme politique avec la courbe tracée par le scientifique (entre autres, écart entre les courbes noires -Claude Allègre- et rouge -travail publié par Hakan Grudd- ci-dessus). Hakan Grudd qualifie cette reprise de «trompeuse» et «contraire à l'éthique» Mais c'est peut-être la réplique de Claude Allègre qui choque le plus:
Il ne vous a pas échappé que toutes les courbes de l'ouvrage sont redessinées. Il y a donc des inexactitudes ou même des exagérations par rapport aux originaux. C'est un choix éditorial. Ceci signifie que les courbes ne sont que les supports illustratif du raisonnement écrit.
Les scientifiques sur le terrain médiatique, les médias sur le terrain scientifique
Alors que des climatosceptiques britanniques ou américains dénoncent des erreurs du Giec ou de la «sélection» de données discutables chez certains climatologues, l'ancien ministre choisit donc –et assume– de falsifier des travaux scientifiques pour servir son propos politique.
S'adaptant à cette variante pour le moins paradoxale du «climatoscepticisme», les climatologues répliquent en se plaçant sur ce même terrain politico-médiatique dont ils sont d'ordinaire peu friands. Dans leur appel à Valérie Pécresse, les 400 scientifiques dénoncent des auteurs qui «oublient les principes de base de l'éthique scientifique, rompant le pacte moral qui lie chaque scientifique avec la société». Ils réclament un soutien public pour préserver la dignité de leur fonction: «Nous pensons que ces accusations demandent une réaction de votre part, et l'expression publique de votre confiance vis-à-vis de notre intégrité et du sérieux de nos travaux.»
Les climatologues annoncent un travail de «désintox» systématique sur le livre de Claude Allègre, mais dans un deuxième temps seulement: pour justifier leur indignation, ils s'appuient sur une contradiction venue justement... du monde médiatique (la démonstration de {sciences²}, mentionnée plus haut).
Le monde à l'envers? Peut-être un simple repositionnement stratégique. Sur cette vidéo la paléo-climatologue Valérie Vincent-Delmotte, fer de lance dans le mouvement qui a conduit à la pétition, essaie d'amener Claude Allègre sur le terrain des faits:
Sans succès... La communauté scientifique française du climat semble donc avoir repris à son compte l'avis exprimé dans un éditorial de la revue Nature (développé par un éditorialiste du magazine dans Slate): «Les scientifiques doivent se rendre compte qu'ils sont dans un “combat de rue” et que leur relation avec les médias compte beaucoup.» Autrement dit, qu'ils doivent soigner le versant médiatique de la lutte contre le réchauffement climatique. Dont acte.
Marion Solletty
Photo: Claude Allègre en 2000. REUTERS/Jacky Naegelen
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