Nicolas Sarkozy a donc convoqué, encore une fois les parlementaires de l'UMP à l'Elysée, comme s'il était le chef de la majorité, comme s'il n'avait pas entendu la partie du message que ses électeurs de 2007 qui ont boudé les urnes aux régionales lui adressaient: «Soyez président.» Dans l'Express de cette semaine, Jean-Pierre Raffarin renchérit sur ce thème dans une interview très instructive. On sait aussi qu'Edouard Balladur est plus que dubitatif sur le mode de gouvernance du président, de même pour Alain Juppé. Il faut écouter les anciens Premiers ministres, ils ont de l'expérience et une grande liberté de parole parce qu'ils ont l'essentiel de leur carrière derrière eux (bon, c'est vrai; il y en a qui en abusent un peu, comme Dominique de Villepin, mais là c'est particulier). Donc, Jean-Pierre Raffarin dit ceci:
Nous sommes dans une impasse institutionnelle. Le président doit faire un choix. Soit il continue à assumer son exposition politique, auquel cas, il faut évoluer vers un régime présidentiel à la française, il faudrait alors remplacer le Premier ministre par un vice-président. Soit le président veut revenir à l'esprit de la Ve République, et il n'a pas d'autre issue que de renouer avec la conception du domaine réservé, plus ou moins large.
Alors qu'est ce que ça veut dire un «régime présidentiel à la française»? Contrairement à ce que ce terme suggère, ça ne veut pas dire du tout que le président doit disposer de plus de pouvoir. Un régime présidentiel organise la séparation des pouvoirs de façon plus hermétique. Le président ne peut plus dissoudre l'Assemblée et le parlement ne peut pas censurer le gouvernement. Dans ce type d'organisation, le président est au devant de la scène, il n'y a pas de Premier ministre, mais les parlementaires sont plus autonomes et ont davantage de moyens de contrôle. La constitution américaine est un exemple de régime présidentiel.
La situation actuelle marque un déséquilibre parce que nous ne sommes ni dans un régime présidentiel ni dans l'esprit de la cinquième république. Certain observateurs de la vie politique estiment que c'est le quinquennat et la concomitance entre les mandats présidentiels et parlementaires qui transforment mécaniquement le chef de l'Etat en chef de la majorité. En réalité, c'est bien la gouvernance sarkozienne qui nous place dans un entre-deux bancal. Il n'y a aucune raison objective pour qu'un président élu pour cinq ans soit moins président qu'un président élu pour sept ans! Le déséquilibre institutionnel rend l'impopularité du président problématique. La popularité du président n'a pas un intérêt uniquement pour lui-même, un certain socle de popularité est la garantie d'apaisement des débats, de confiance générale du pays en ses institutions et en l'Etat que le président représente.
Dans le cadre de la Ve république, c'est-à-dire dans ce que Jean-Pierre Raffarin appelle «la conception du domaine réservé, plus ou moins large», le président n'est pas en première ligne pour l'action quotidienne. Du coup, le Premier ministre use sa popularité (s'il le faut) à réformer. En cas de crise ou de conflit grave, le président peut intervenir, user de son autorité non entamée. Le Premier ministre ferraille avec l'opposition, il «clive» s'il le faut et le président calme, tempère... dénoue les situations bloquées grâce à une parole forte parce que relativement rare. L'une des façons classiques de sortir d'une crise, c'est de changer de Premier ministre ou de remanier le gouvernement.
Tous ces leviers indispensables... Nicolas Sarkozy ne les a plus. Ils existent, mais s'ils étaient actionnés, ça ne produirait pas grand-chose. On a déjà changé trois fois de ministre des Affaires sociales et les partenaires sociaux ne s'en soucient pas parce que le vrai, le seul ministre des Affaire sociales, c'est monsieur Raymond Soubie, conseiller à l'Elysée. Monsieur Soubie n'a jamais à s'expliquer devant les parlementaires et d'ailleurs on se demande pourquoi l'opposition continue à poser des questions, le mardi et le mercredi aux ministres. Les déséquilibres institutionnels ne se voient pas forcement à l'œil nu mais ils minent le climat politique et, finalement, nuisent à la réforme.
Thomas Legrand
Photo: A Pékin, en mars 2010, des travailleurs otent un tapis rouge. REUTERS/David Gray