Il est 14h15, à la maison d'arrêt de la Santé. Au milieu de l'été, dix hommes incarcérés s'évadent sous les yeux des surveillant·es. Ils se sont donné rendez-vous dans une salle étroite bordée d'un mur de trois fenêtres barreaudées. Cette fuite n'est qu'une rêverie dont Marion, professeure de yoga, est la complice.
Ici, onze tapis colorés jonchent le sol et supportent le poids de corps aussi agiles que maladroits. Les membres s'étirent, certains trémulent sous la contrainte des positions suggérées par la professeure.
Une mélodie douce fait vibrer les tympans et étouffe le bruit des émetteurs radios des surveillant·es qui sont à quelques dizaines de mètres plus loin. Une autre musique l'accompagne, celle des vrombissements dynamiques des voies respiratoires des élèves. Ils viennent d'univers différents, certains purgent encore de lourdes peines, d'autres ont bientôt fini de payer le prix déclaré par la justice.
La grandeur du silence
Un peu plus tôt, avant le début du cours, ils sont arrivés un par un. Fréderic est venu voir Marion, il pense quitter les lieux dans quelque temps et lui demande des bons plans pour pratiquer le yoga à sa sortie. Comme tous les autres, il a découvert la discipline derrière les barreaux. Il est certain de vouloir continuer.
Le bouche-à-oreille a fait de ce créneau une réussite. Beaucoup sont sur liste d'attente et espèrent pouvoir intégrer le groupe de fidèles. L'un d'entre eux est incarcéré depuis plus d'un an, et déclare aisément qu'il ne raterait le cours «pour rien au monde». La parole est assez unanime: pendant plus d'une heure, c'est l'occasion pour ces hommes d'oublier l'univers carcéral et d'évacuer les problèmes.
Celui qui se fait appeler Bruce Wayne avoue, qu'au départ, il pensait que c'était «un truc de femmes». «Je pensais aussi que c'était facile, mais en fait non, c'est pour tout le monde et c'est très physique.» Frédéric, lui, est un amateur de taekwondo, il cherchait une activité «qui allie souplesse et esprit». «Le yoga c'est parfait, je viens trouver du calme. Comme dit Alfred de Vigny, le silence est grand, tout le reste est faiblesse.»
C'est l'occasion pour ces hommes d'oublier l'univers carcéral et d'évacuer les problèmes.
Voici un converti qui n'est plus à prêcher. Il avoue faire des exercices tous les soirs dans sa cellule, une manière pour lui de retrouver de la sérénité. Avant, il la cherchait avec l'alcool. Musicien, l'homme avoue qu'il prenait «deux verres de whisky avant de monter sur scène. Maintenant, ça sera des exercices de respiration».
Au-delà des barreaux
Marion donne les cours ici depuis plus d'un an. Elle n'est pas totalement là par hasard. La jeune femme a grandi dans le XIVe arrondissement de Paris, non loin de la maison d'arrêt. «Quand j'étais petite, ma grand-mère m'a expliqué ce qu'était ce bâtiment aux murs imposants. Je n'ai jamais eu de mauvais préjugés, je me suis toujours demandé comment c'était à l'intérieur.»
Il y a quelques années, Marion est bénévole pour le Secours catholique dans une prison de femmes. Plus tard, elle part en Inde se former au yoga dans le but d'en faire son métier. Une fois revenue, elle tape à la porte du centre pénitentiaire de Fresnes, dans le Val-de-Marne, et propose ses enseignements. Mise à l'essai et bénévole, sa mission est une réussite. Elle est également recommandée à la prison de la Santé.
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Le succès de ses cours, est certainement dû à la volonté de partage de Marion: «Je sens vraiment qu'ils reçoivent quelque chose de très fort. Tous sont à l'écoute. Émotionnellement, quelque chose passe les portes de la prison. Ici, mon enseignement prend tout son sens car ce que je reçois est très direct. À l'extérieur, en fin de séance, j'ai plutôt des élèves qui quittent le cours vite fait, pour rentrer chez eux. La maison d’arrêt de la Santé j'ai un retour sur les bénéfices physiques et psychologiques.»
«Ne pas les laisser pourrir»
Mathéo* a passé plusieurs années en détention à Fresnes. Il y a rencontré le yoga. Le jeune homme admet qu'il y allait au départ «pour avoir une activité en plus et sortir de sa cellule». C'est par bouche-à-oreille qu'il entend parler de ces séances d'évasion de l'esprit. Parce qu'il est déjà très investi dans d'autres projets culturels, comme le théâtre, où il participe à l'écriture des pièces, Mathéo convainc l'administration de passer en premier sur la liste d'attente.
Il a tout de suite été séduit par «l'énergie positive du cours». «J'ai appris à respirer. Mon procès a été long et compliqué à gérer. Sur le banc des accusés, j'ai géré le stress grâce à quelques techniques», explique-t-il. Depuis qu'il a payé sa dette, le jeune homme a repris quelques cours à l'extérieur.
Marion lutte aussi contre les clichés. Les gens autour d'elles s'étonnent toujours qu'elle puisse donner des cours à un groupe d'hommes, qui plus est, en détention. «Il y a vraiment le cliché du tolard. Dans mon entourage, on me demande s'ils s'intéressent vraiment à ce que je fais, s'ils m'écoutent. Premièrement, le yoga, c'est l'occident qui l'a féminisé, en Inde mes profs n'étaient que des hommes. Et vu les retours que j'ai, je peux dire clairement qu'ils sont très intéressés. Certains m'ont déjà dit qu'ils faisaient des salutations au soleil pendant les promenades, ça m'a fait rire.»
«Sur le banc des accusés, j'ai géré le stress grâce à quelques techniques.»
La jeune femme se désole du traitement médiatique et populaire de la détention, pour elle «on les déshumanise dans les débats de société». «Mon idée, c'est de ne pas les laisser pourrir, ne pas les rendre complètement fous. Ce qui m'intéresse, c'est de donner accès à cette discipline à tout le monde.»
Évasion partielle
L'accès à la culture en détention, c'est le travail de Chloé. Coordinatrice culturelle à la maison d'arrêt de la Santé, elle se réjouit «du chouette lien et de la solidarité que Marion a créé». Il y a aujourd'hui plus de vingt personnes sur liste d'attente. Contrairement à d'autres activités qu'elle pourrait proposer, elle sait qu'elle n'a pas besoin de les relancer.
Au-delà de l'accès à la culture, les cours deviennent presque des séances thérapeutiques. «C'est complémentaire aux soins physiques et psychologiques. La discipline est vraiment particulière, elle permet aux personnes détenues de travailler sur elles-mêmes, de gérer leur stress et leur frustration.»
Face à tant d'éloges pour l'activité, quand on lui demande si cela n'a pas été problématique de s'en passer à cause du confinement, elle répond sans hésiter: «Non, il ne faut pas tout mélanger. Le plus compliqué c'est l'absence de parloir et de tout contact avec l'extérieur.»
*le prénom a été changé