Autrice de la newsletter The Double Shift (qui s'intéresse à la fameuse double journée des mères qui travaillent) et du podcast du même nom, Katherine Goldstein soulève pour Vox un lièvre dont il serait prudent de s'occuper: effrayés par le Covid-19 et ses conséquences plus ou moins directes, de nombreux parents gobent et partagent de nombreuses fake news.
La journaliste explique que, comme beaucoup de parents (et principalement de mères, comme lorsqu'il s'agit de réfléchir et d'anticiper pour sa famille), elle est de plus en plus inquiète lorsqu'elle pense à l'année scolaire qui s'annonce, au reconfinement qui guette, aux dispositifs mis en place par les établissements scolaires, à la tentation des cours à distance... La conclusion, c'est qu'il est difficile de faire le bon choix, parce qu'il semble ne pas y avoir de bon choix à faire.
En parcourant nombre de forums et de groupes Facebook dont elle est membre, Katherine Goldstein a réalisé une prise de conscience progressive: parce que les parents sont généralement aussi désorientés qu'elle sur la meilleure façon d'élever, d'éduquer et de protéger leurs enfants, ils semblent de plus en plus attirés par des statistiques bidonnées et autres informations inventées de toutes pièces.
Elle donne l'exemple d'un article, très partagé, dans lequel un parent expliquait, calculs à l'appui, que la reprise de l'école en présentiel provoquerait la mort de centaines de jeunes gens. Armée de sa logique et de sa machine à calculer, Katherine Goldstein n'a pas tardé à réaliser que lesdits calculs étaient totalement faux. Comme d'autres lecteurs et lectrices, elle contacta l'auteur du texte pour lui signaler ses erreurs, qui rendaient l'article caduc, mais celui-ci ne daigna pas le modifier. Avec 24.000 partages et 600 commentaires, cela représente un nombre gigantesque de personnes potentiellement touchées, voire convaincues, par cet article.
Des exemples comme celui-ci, Katherine Goldstein en a des tonnes. Et dresse le bilan suivant: pour les parents, il est actuellement très difficile de trouver des sources fiables d'information, des témoignages objectifs et réfléchis qui leur permettent d'affiner leur réflexion sur les meilleurs décisions à prendre pour leur famille en général et leurs enfants en particulier.
Pour Nora Benavidez, spécialiste de l'éducation aux médias et de la désinformation, les fake news (que l'Académie française voudrait nous faire appeler infox) font jouer deux leviers bien connus en psychologie. D'abord l'effet de vérité illusoire, ou la tendance à croire que l'information est correcte après y avoir été exposé·es de façon répétée.
«Chez certaines personnes, cet effet continue à fonctionner même lorsqu'elles ont conscience que leur source d'informations n'est pas fiable, et bien qu'on leur ait précédemment démontré que leur info était fausse», explique le docteur Joe Pierre, enseignant en psychiatrie et en sciences comportementales, pour Psychology Today.
Le biais de confirmation d'hypothèse joue également: il pousse les personnes concernées à privilégier les informations confirmant leurs idées préconçues ou leurs hypothèses, et/ou à accorder moins de poids aux hypothèses et informations jouant en défaveur de leurs conceptions. «Nous devons constamment nous battre contre ce genre de réactions, car d'instinct, nous voulons croire toujours plus en ce dont nous sommes déjà persuadé·es», souligne Nora Benavidez.
Bâtir sa confiance
L'ONG PEN America, qui promeut la liberté d'expression à travers la littérature, livre une série de conseils pour parvenir à se frayer un chemin à travers une brume de désinformation. Il convient de se poser tout un tas de questions avant de faire confiance à une source d'information: «En avez-vous déjà entendu parler? Est-elle locale? Pouvez-vous lui faire confiance? Pouvez-vous déterminer qui sont les personnes derrière ce medium? Procède-t-il aux corrections nécessaires lorsqu'on lui signale une erreur?»
À supposer qu'il soit simple de répondre à ces questions, Katherine Goldstein souligne le fait que ce n'est pas suffisant, revenant avec la professeure d'économie Emily Oster sur un titre récemment utilisé par NBC: «Près d'un millier de cas de Covid-19 dans les crèchjes californiennes». Dans sa newsletter ParentData, Emily Oster partage des informations scrupuleusement vérifiées, liées à la parentalité et à la grossesse.
«Le problème avec beaucoup de ces articles», commente-t-elle à propos de l'exemple de NBC, «est qu'ils évoquent le nombre de cas, mais jamais le pourcentage qu'ils représentent. Il convient de se souvenir de la taille des États-Unis et de la Californie». Et donc, plus largement, de vérifier si les chiffres fournis par un article offrent le contexte nécessaire pour comprendre et digérer correctement les chiffres fournis.
«Nous n'avons pas la possibilité de contrôler ce que les autres disent ou font en ligne», explique Nora Benavidez, «mais nous pouvons contrôler nos propres comportements. L'éducation aux médias est un processus perpétuel. Plus on la travaille, plus on affûte ses compétences».
Au sujet du Covid-19 et de la parentalité, Emily Oster pense qu'on peut éviter la panique en essayant de ne pas réfléchir dans le vide. Les parents devraient «essayer de ne pas y penser, jusqu'à ce qu'ils soient capables d'y penser concrètement. Tant que votre académie n'a pas annoncé ses intentions, vous ne pouvez pas développer vos propres plans. La première étape consiste donc à attendre jusqu'à ce que vous ayez connaissance des options qui s'offrent à vous. Là, vous pourrez commencer à réfléchir à des alternatives».
Loin de diaboliser les réseaux sociaux, Emily Oster conseille de s'y construire un réseau de confiance, constitué de personnes en qui on pense pouvoir avoir une confiance presque aveugle au niveau des ressources fournies et des informations transmises, ou avec lesquelles on puisse discuter intellligemment de la véracité de telle ou telle info.
Katherine Goldstein clôt sa réflexion en rappelant qu'actuellement, la vie de parent consiste à essayer de faire les moins mauvais choix, parce qu'il n'y a bien souvent pas de bonne décision à prendre. Et que, malgré les risques et la psychose, il convient de ne pas paniquer au moment de remettre ses enfants à l'école.