Dans le comté de Paulding, en Géorgie, des élèves ont fait leur rentrée dans un lycée où le port du masque n'est pas obligatoire car le proviseur considère qu'il s'agit d'un «choix personnel». Pourtant, plusieurs membres de l'équipe de football américain avaient été testés positif au Covid-19 avant la rentrée, dans un État où le taux d'infections au coronavirus est en forte augmentation depuis juin.
Le 4 août, la photo d'un couloir bondé du lycée est devenue virale sur Twitter:
La veille, Trump avait tweeté: «OUVREZ LES ÉCOLES!!» À plusieurs reprises, le président américain a critiqué les mesures de sécurité recommandées pour les écoles par les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), qui constituent la principale agence de contrôle des maladies aux États-Unis. Depuis la réouverture de plusieurs écoles dans le sud du pays (où la rentrée a lieu plus tôt qu'ailleurs), environ 2.000 élèves et profs ont déjà dû être placés en quarantaine.
Pagaille territoriale et politique
La situation américaine défie la logique: d'un côté, des États très touchés par l'épidémie rouvrent les écoles sans trop de précaution; de l'autre, des États avec de faibles taux d'infection sont confrontés à une vague de défiance venant de parents et de profs convaincus que le retour à l'école est trop dangereux. Les autorités sanitaires estiment pourtant que dans les villes où le taux d'infection est assez bas (moins de 5%), les élèves peuvent retourner à l'école si certaines précautions en matière de distanciation physique et de port du masque sont appliquées. Mais ces recommandations ne sont pas prises au sérieux.
Une récente étude du Brookings Institute montre que les décisions concernant les réouvertures d'écoles ont plus à voir avec la politique que la santé publique: les districts pro-Trump ont beaucoup plus tendance à rouvrir leurs écoles que les districts démocrates.
Par exemple, plusieurs grandes villes avec des taux d'infection assez bas (et des maires démocrates), notamment Los Angeles, San Francisco, Philadelphie, Washington ou encore Chicago, ont choisi de commencer l'année scolaire entièrement en ligne. Dans toutes ces villes, les écoles privées, qui ont des effectifs plus petits et des bâtiments plus spacieux, proposeront un modèle hybride avec plusieurs heures d'enseignement en salle de classe.
À Chicago, la mairie avait initialement proposé une rentrée avec quelques heures de présence à l'école par semaine, un plan soutenu par la directrice de la santé publique de la ville. Mais à la suite de pressions exercées par de nombreux parents et profs, la maire Lori Lightfoot a dû faire marche arrière.
Manifestation de profs à Chicago: «Nous ne pouvons pas enseigner depuis la tombe.» | Kamil Krzaczynski / AFP
Ordres, mots d'ordre et contre-ordres
Pendant les manifestations à Chicago, plusieurs enseignant·es ont défilé avec des pancartes choc, comme «nous voulons enseigner, pas mourir». À New York, qui a pour l'instant adopté un modèle hybride, certain·es ont même manifesté avec des cercueils en carton. Ces mouvements ont lancé un débat tendu: comme les infirmièr·es ou les employé·es de supermarché, le personnel enseignant n'est-il pas censé aller travailler malgré les risques, au moins dans les villes où l'épidémie est sous contrôle et où chaque élèves portera un masque?
Une manifestation le 3 août à Chicago: «Nous voulons enseigner, pas mourir.» | Scott Olson / AFP
Dans le New Jersey, plusieurs districts qui avaient initialement annoncé des modèles hybrides sont revenus sur leur décision à la suite du désistement de centaines de profs. Dans un État où la courbe épidémique est sous contrôle (malgré un léger sursaut), il y a malgré tout le sentiment que la sécurité ne sera pas assurée.
À l'inverse, en Floride, où le taux de positivité au Covid-19 est de 13% et où certains hôpitaux sont proches de la saturation, des parents ont manifesté pour que leurs écoles rouvrent, comme ici, à Tampa:
Manifestation de parents en faveur de la réouverture des écoles, à Tampa, en Floride, le 6 août 2020. «Les enfants doivent retourner à l'école!» | Octavio Jones / Getty Images North America / AFP
Les seuils de tolérance sont très différents selon les villes: à New York, qui a choisi un modèle hybride, les écoles fermeront si le taux de positivité dépasse les 3%, alors qu'à Memphis, dans le Tennessee, où les écoles sont ouvertes, le seuil est placé à 25%.
Malgré les mesures de distanciation sociale et de désinfection, les familles new-yorkaises restent partagées. Selon un sondage, 26% des parents opteront pour le tout en ligne afin d'éviter tout risque, et environ 15% des enseignant·es ont fait une demande d'exemption médicale qui leur permettra de ne pas enseigner en personne. À l'inverse, en Californie, dans l'Ohio et en Virginie, des parents qui veulent une rentrée en salle de classe font des procès aux autorités locales qui ont annoncé que tous les cours seraient virtuels.
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Solutions de fortune
Cette rentrée des classes incroyablement chaotique affecte les familles de façons très différentes. Dans les milieux aisés, on parle déjà de mini-écoles privées (les «learning pods»), soit des profs qui seront payé·es pour faire cours à cinq ou six enfants (souvent dans le jardin d'une des familles). Dans une banlieue aisée de New York, une startup organise des mini-écoles pour environ 10.000 euros par mois (à partager entre le nombre de participant·es). Quant aux familles plus modestes, elles utiliseront des centres de garderie qui restent ouverts à plein temps alors que les écoles sont fermées. Leurs employé·es, qui ne sont pas syndiqué·es, sont considéré·es comme des travailleurs et des travailleuses «essentielles».
La plupart des écoles qui commencent l'année 100% en ligne ont annoncé que la situation serait réévaluée en octobre ou en novembre, et que si les systèmes de ventilation étaient modifiés (notamment avec l'ajout de filtres), certains cours pourraient avoir lieu en personne. Mais modifier ces systèmes pour mieux faire circuler l'air s'annonce long et coûteux. Dans le Vermont et le Maine, certaines écoles ont préféré acheter des tentes pour faire cours à l'extérieur, mais dans ces États proches du Canada, il ne s'agit pas d'une solution de long terme.