Combien vaut une vie sauvée? Et pourquoi une telle question peut sembler provocatrice? Car si certain·es arguent que la vie n'a pas de prix, d'autres répondent qu'elle a cependant un coût, et notamment celui qui est investi dans les services de secours quand il s'agit de mettre en œuvre d'onéreux moyens pour la sauver.
De là à évaluer la qualité de nos services publics à l'aune de leur fonction économique dans la société, il n'y a qu'un pas qu'il convient d'étudier avant de le franchir. Il se trouve que l'évaluation (et la méthode pour ce faire) de la valeur d'une vie en termes économiques peut grandement varier en fonction de l'objectif que cette évaluation poursuit: obtenir ce chiffre n'a que peu d'intérêt intrinsèquement, car la réponse paraîtrait toujours absurde.
Mais lorsqu'il s'agit d'évaluer financièrement le retour sur l'investissement que l'État et les collectivités confient aux services de secours, l'intérêt est de pouvoir juger sur des données factuelles la pertinence de cet investissement. C'est le projet dans lequel nous nous sommes lancés avec les sapeurs-pompiers des Bouches-du-Rhône.
Une analyse coûts/bénéfices
Nous nous sommes d'abord interrogé·es: «Combien de vies sauvent les sapeurs-pompiers»? Malgré pléthore de rapports et de statistiques, personne ne peut l'estimer au premier abord.
Nous avons porté notre concentration sur un échantillon en particulier, en analysant près de 2.226 rapports d'interventions sanitaires (c'est-à-dire toute opération de secours impliquant au moins une ambulance pour des situations urgentes, non urgentes et pour les accidents de transport) réalisées par le Service départemental d'incendie et de secours (le SDIS) des Bouches-du-Rhône entre le 18 et le 24 mars 2019.
Une vie sauvée a été comptabilisée dès lors que l'on considérait que sans l'intervention des sapeurs-pompiers, la personne concernée serait décédée.
Selon cette analyse, 1,3% des interventions sanitaires des pompiers sauveraient des vies. Il s'agit d'une estimation à consolider, car d'autres sauvetages sont réalisés lors des incendies, en mer et lors d'autres opérations de mise en sécurité (extraction de milieux hostiles).
En appliquant ce ratio à l'ensemble des opérations sanitaires annuelles des Bouches-du-Rhône (et prenant pour hypothèse que la semaine étudiée a été représentative de toute autre semaine de la même année), nous obtenons le résultat d'une estimation de 1.592 vies sauvées au minimum par cette institution en un an.
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Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et différentes publications, la valeur statistique de la vie humaine est estimée en France à 3 millions d'euros. Ces estimations sont faites afin de guider les responsables publics lorsqu'ils se retrouvent face à des choix d'investissements visant à réduire le risque de mortalité, ces investissements sont alors «comparés» aux avantages attendus en termes de vies sauvées.
Nous prenons ce chiffre sans correction, autrement dit, sans tenir compte de l'âge, du sexe ou de l'état de santé des personnes, ceci pour des questions d'équité. À partir de cette valeur statistique et du nombre de vies sauvées (environ 1,3%), nous avons ainsi évalué qu'une opération sanitaire effectuée par ces professionnels, «sauvegarde» en moyenne en valeur de vie humaine 38.991 euros.
La valeur statistique de la vie humaine est estimée en France à 3 millions d'euros.
Cette analyse coût/bénéfice rétrospective s'appuie sur la connaissance du coût moyen (supporté par la collectivité, non par le bénéficiaire) d'une opération sanitaire, soit 1.036 euros en 2019 dans le même département (suivant la méthode de calcul de la Cour des comptes). Toute intervention sanitaire aurait alors un bénéfice valant… 37 fois son coût!
Optimiser le temps d'intervention
Les politiques d'amélioration continue, adoptées depuis les années 2000 par les sapeurs-pompiers, s'intéressent notamment à l'amélioration constante de la couverture opérationnelle afin de diminuer le temps d'intervention (le temps d'intervention moyen national est situé à 10 minutes et 45 secondes suivant les statistiques des services d'incendie et de secours de 2019 publiées par le ministère de l'Intérieur) car il s'agit d'un déterminant crucial qui influe également sur les séquelles post-accidentelles.
Durée moyenne par nature d'intervention (en pompiers par heure). | Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises
Ces données et cette méthode permettent d'autres études, similaires, pour l'évaluation des patrimoines bâtis et/ou écologiques préservés par les interventions sur feux urbains ou incendies de forêt.
Les secours restent une compétence partagée, interservices et la place de l'hôpital y est importante. La crise du Covid-19 vient nous le rappeler. Si en cette période les services d'incendie et de secours français ont sauvé peu de vies parmi les malades du Covid-19, l'hôpital aurait tout intérêt à comptabiliser le nombre de personnes passées en réanimation et sorties guéries, prouvant ainsi à ses mandant·es combien il est indispensable à la préservation humaine et économique de notre pays.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
