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«Guerre froide» entre la Chine et le États-Unis: les illusions d'une comparaison

Temps de lecture : 3 min

[TRIBUNE] La rivalité sino-américaine est bien moins stable que du temps de l'URSS. Plutôt que de renforcer la logique des blocs, l'Europe devrait faire valoir ses propres intérêts face à la Chine.

Le président américain Donald Trump et son homologue chinois à Pékin. | Fred Dufour / AFP
Le président américain Donald Trump et son homologue chinois à Pékin. | Fred Dufour / AFP

Face à l'emballement géopolitique actuel, les références historiques ont quelque chose de rassurant. La «nouvelle Guerre froide» déclarée par les États-Unis à la Chine donne un visage familier à la rivalité mondiale et multiforme entre les deux puissances du XXIe siècle. Pourtant la compétition sino-américaine actuelle est bien plus instable que du temps de l'URSS. Plutôt que d'alimenter une illusoire logique des blocs, l'Europe doit faire valoir ses propres intérêts face à la Chine. La géopolitique d'aujourd'hui n'est pas le rapport de force d'hier. Et les risques de demain sont bien différents de ceux de la Guerre froide.

Comme du temps de l'URSS, une compétition pour la domination mondiale fait rage dans tous les domaines et sur tous les continents. Après la guerre douanière de Donald Trump contre les exportations chinoises en 2018, le conflit sanitaire de la pandémie de Covid-19 dégénère en affrontement diplomatique: les autorités américaines viennent de fermer le consulat de Chine à Houston au Texas entraînant en représailles, la clôture de la représentation américaine à Chengdu au Sichuan. Quant à l'affrontement entre valeurs chinoises et valeurs occidentales, il fait partie de la rhétorique ordinaire des leaders chinois et américains. Les tensions militaires montent en Asie où l'expansionnisme chinois se heurte aux alliés des États-Unis: Japon, Corée du Sud, Philippines, Taïwan et Inde. En Eurasie et dans l'océan indien, les nouvelles «routes de la soie» de Xi Jinping profitent du retrait américain. Et en Afrique, l'Occident perd du terrain face à Pékin.

Les bouleversements géopolitiques actuels sont si rapides et si déroutants qu'une grille de lecture éprouvée (l'affrontement entre bloc soviétique et bloc occidental) a quelque chose de rassurant. De 1947 à 1991, entre les deux superpuissances nucléaires américaine et soviétique, la guerre était impossible et la paix improbable, selon la célèbre expression d'Aron. Autrement dit, cette concurrence mondiale était implacable mais indirecte et militairement limitée. Les affrontements étaient circonscrits à des batailles périphériques (Corée, Vietnam, Angola, etc.). Devenues des notables des relations internationales, les deux puissances de la Guerre froide avaient un intérêt objectif à la perpétuation de ce duopole agressif.

L'Europe doit faire cavalier seul

Aujourd'hui, les relations sino-américaines sont à la fois bien plus symbiotiques et bien plus instables que celles des deux partenaires-adversaires du XXe siècle. Vue des États-Unis, l'interdépendance économique avec la Chine est considérée comme une agression et non comme une cause de pacification. Pour l'administration Trump, le commerce n'est pas un remède à la guerre mais une forme de celle-ci. Dans les discours américains, le danger du Parti communiste chinois (PCC) est devenu tout à la fois un thème de campagne électorale et le sujet central du dialogue stratégique des Américains avec leurs alliés en Asie et en Europe. L'administration Trump essaie de réactiver un clivage idéologique disparu entre le monde libre et le bloc communiste.

De son côté, la République populaire de Chine est bien moins encline à partager la domination du monde que l'URSS de Brejnev. En effet, elle se sent plus forte que son ancien allié soviétique car elle a déjà obtenu une parité économique que l'URSS n'a jamais réussi à réaliser. Aujourd'hui, les États-Unis font face à une puissance à la fois stratégique, militaire, économique et technologique et non plus seulement à une puissance nucléaire pauvre. Facteur aggravant, la Chine ne se considère pas comme une superpuissance émergente mais comme une puissance injustement privée de sa prééminence par les agressions coloniales occidentales. Elle bâtit sa renaissance sur une rancune géopolitique séculaire. Alors que l'URSS tirait parti du système onusien, la Chine actuelle le sape lentement. La Chine cherche la victoire, pas le statut quo évolutif de la Guerre froide.

Dans cette «nouvelle Guerre froide» l'Europe est régulièrement sommée par les États-Unis de prendre parti. En faveur des intérêts américains naturellement. Mais l'Union doit renoncer à ses illusions: une nouvelle domination partagée et paisible du monde par la Chine et les États-Unis sous la forme d'un G2 supplantant le G7 ou le G20 serait néfaste. Le rapport de force des États-Unis avec la Chine est bien plus précaire et donc bien plus instable qu'avec l'URSS. S'enrôler inconditionnellement aux côtés des États-Unis dans un réflexe historique de cohésion des blocs de la Guerre froide alimenterait les tensions plus qu'elle ne les réduirait. Face à la Chine, l'Europe a des revendications propres en matière de protection contre les investissements, de protection de l'environnement, de sécurité des approvisionnements, de droit de la concurrence et de préservation de la propriété intellectuelle. À elle de dissiper l'idée d'une Guerre froide polarisée en deux blocs pour mieux défendre ses propres intérêts.

En résistant à Pékin et en refusant l'alignement inconditionnel sur Washington. Ce n'est pas une «nouvelle Guerre froide» qui naît mais un jeu où plusieurs puissances concurrentes se prennent de vitesse les unes les autres. L'Union ne doit pas en être la grande perdante.

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