Les scandales -vrais ou supposés- ne suffisent pas plus que les enquêtes judiciaires ou les rumeurs les plus effrénées sur sa vie privée. Pour battre Silvio Berlusconi, tout cela ne sert à rien. C'est en tout cas manifestement insuffisant. Ainsi, même les élections régionales qui se sont déroulées dimanche et lundi en Italie ont tourné à l'avantage du Premier ministre et de la droite dont il est le leader. La Ligue du Nord -le parti le plus fidèle de la coalition de Berlusconi- emporte la Vénétie et le Piémont. Le Peuple de la Liberté -son parti- s'empare du Latium, la région de Rome. Le résultat final de ce scrutin partiel dans les treize régions (sur 20) où l'on votait est de 7 à 6 pour le centre gauche, quand le rapport précédent était de 11 à 2. La gauche conserve le contrôle de ses «forteresses» rouges au centre de l'Italie: la Toscane, l'Emilie, l'Ombrie et les Marches. Elle garde aussi les Pouilles. Mais elle perd deux emblèmes: le Piémont et le Latium. Elle perd aussi la Campanie qui était administrée depuis de nombreuses années par les ex-communistes, ainsi que la Calabre.
La victoire de la Ligue du Nord
Mais c'est surtout le Piémont qui fait la différence. Parce que c'est la région de Turin, considérée également comme un bastion politico-syndicalo-culturel de la gauche italienne. Turin, la première capitale d'Italie, et la ville qui a conduit à l'unification italienne dont on célèbrera le cent cinquantième anniversaire en 2011. Pourtant, même là, la Ligue du Nord l'a emporté, un parti qui a fait de la «séparation» le point fort de sa politique en parvenant à théoriser il y a quelques années déjà la «sécession» du Nord du pays d'avec Rome la détestée, vue comme la capitale de tous les vices et de toutes les embrouilles de l'Etat.
Parti rude, flirtant régulièrement avec le racisme anti-immigrés, adepte de positions similaires à celles du Front national sur le thème de la sécurité. La victoire de Roberto Cota, avocat de Novare, un candidat âgé d'une quarantaine d'années, dépourvu de passé politique, né et modelé dans la Ligue, ne sort pas de nulle part. Ces dernières années, la Ligue a su construire un vrai parti populaire, très présent et enraciné sur le territoire, mieux placé pour représenter les classes les plus populaires que les partis de gauche. C'est d'ailleurs au sein du vieil électorat de gauche et dans celui qui votait autrefois pour la démocratie chrétienne que la Ligue a puisé ses voix.
Mais si à Turin la victoire de la Ligue est une véritable surprise politique, ce n'est pas du tout le cas en Vénétie qui offre, comme prévu, une large victoire au candidat de la Ligue, Luca Zaïa -actuel ministre de l'Agriculture du gouvernement Berlusconi- avec plus de 60% des suffrages, quasiment le double des votes obtenus par le parti de Berlusconi. Désormais, la Ligue dispose au Piémont -ou en Padanie, comme ils disent dans le parti d'Umberto Bossi- de deux présidents de région. Comme la Ligue est aussi le soutien principal du président de la Lombardie, Roberto Formigoni -membre du parti de Berlusconi, mais surtout un catholique de la démocratie chrétienne- on peut affirmer que La Ligue tient fermement entre ses mains une part en or du gouvernement et qu'elle n'a même plus besoin, à ce stade, de réclamer la sécession: la Ligue est indubitablement devenue le parti le plus fort dans le Nord de l'Italie, où se concentrent principalement la richesse et la productivité du pays.
Berlusconi dans l'arène
C'est là que réside la clé pour comprendre le sens de ces élections régionales que Berlusconi, comme à son habitude, a transformées en référendum sur sa personne, à l'issue d'une année terrible, commencée sous les feux des scandales de mœurs (fêtes libertines avec des prostituées dans les nuits du Palais Grazioli, sa résidence romaine) et achevée dans une atmosphère lourde de scandales et d'enquêtes mettant à rude épreuve la réputation de son gouvernement dans le dossier des travaux de reconstruction engagés dans la région des Abruzzes sinistrée par le tremblement de terre. Berlusconi s'est jeté tout entier dans l'arène et a remporté ce combat sans conteste.
Toutefois, comme en France, les élections régionales italiennes ont enregistré le taux de participation le plus bas de l'histoire de la république: 65%. L'abstention, tant redoutée par Silvio Berlusconi qui s'effrayait de la défaite subie une semaine auparavant par Nicolas Sarkozy, a concerné finalement plus l'électorat de gauche que de celui de droite. Certains ont théorisé que l'abstention n'était rien d'autre qu'une objection civile au sans-gêne et à l'incohérence de la politique.
Quoi qu'il en soit, la gauche vient de subir une cuisante défaite. Ceux qui rêvaient d'un résultat à la française et d'un vote sanction contre le gouvernement se sont lourdement trompés. Le PD (Parti démocrate) n'a pas convaincu les électeurs. Des listes contestataires ont obtenu de bons résultats. Par exemple, celle du comique Beppe Grillo, qui a ainsi récolté 70.000 votes au Piémont. Provenant certainement des rangs de la gauche, ces voix ont manqué à Mercedes Bresso, la candidate sortante du PD, favorisant sa défaite.
L'opposition de gauche n'a pas su proposer une alternative politique attractive. L'usage médiatique et propagandiste des scandales n'a pas payé. La gauche doit se repenser, et pour l'heure, elle doit prendre acte du fait que Berlusconi garde la main haute sur le plan de l'offre politique, et pas uniquement sur celui de l'envoûtement médiatique et du boniment télévisuel. La gauche doit aussi comprendre que plus elle l'attaque, plus le peuple de ses fidèles resserre les rangs autour de lui.
Mais le bilan de ces élections, c'est surtout qu'une nouvelle fois Berlusconi a vaincu ses adversaires. Il est probablement moins puissant désormais que son allié Umberto Bossi de la Ligue du Nord. Mais personne, en Italie, n'est encore en mesure de contester son leadership.
Cesare Martinetti
Traduit par Florence Boulin
Photo: Silvio Berlusconi, le 28 mars 2010 à Milan. REUTERS/Alessandro Garofalo