Lorsque vous sortez de l'avion en arrivant à l'aéroport de Palm Springs, vous êtes immédiatement accueilli sur votre droite par un vaste magasin entièrement dédié au golf et à sa pratique et par un soleil mordant qui vous saute au visage dans le passage à ciel ouvert vous conduisant à la salle de débarquement des bagages. Bienvenue au cœur du désert de Californie, à moins de trois heures de route de Los Angeles et de San Diego. Bienvenue dans ce paradis golfique internationalement connu pour ses quelque 120 parcours, de classe mondiale pour la plupart, qui s'inscrivent dans le décor de carte postale de la Coachella Valley, disséminés entre les resorts de Palm Springs, Palm Desert, Rancho Mirage, Indian Wells et Cathedral City.
Cette semaine, du 1er au 4 avril, le golf mondial s'y donne rendez-vous, comme chaque année, à l'occasion du Kraft Nabisco Championship, le premier des quatre tournois du Grand Chelem du LPGA Tour, le circuit professionnel féminin. Dotée de deux millions de dollars, la compétition se déroule à Rancho Mirage, au Mission Hills Country Club sur le parcours du Dinah Shore Tournament Course. Cette épreuve existe depuis 1972 et a été élevée au rang de tournoi du Grand Chelem en 1983.
Le tournoi n'a pas toujours été nommé le Kraft Nabisco Championship. De 1972 à 1981, il s'appela le Colgate Dinah Shore puis le Nabisco Dinah Shore entre 1982 et 1999. Mais pour beaucoup, il restera éternellement et affectueusement «le Dinah Shore». Une jolie façon de rendre hommage à sa créatrice, Dinah Shore, décédée en 1994.
Icône gay
Dans le monde du spectacle américain, Dinah Shore n'était pas n'importe qui. Chanteuse populaire dans les années 40 et 50 à l'époque du Big Band où elle rivalisait avec Doris Day, elle devint ensuite une figure charismatique de la télévision par le biais d'un talk show qui fit les belles audiences de la chaîne NBC entre 1970 et 1980. Sa vie sentimentale agitée dopa également sa notoriété. Sa longue liaison avec l'acteur Burt Reynolds, dont elle était l'aînée de 20 ans, fit même carrément scandale. A Los Angeles, elle était, comme on dit, une people, une célébrité qui aimait venir se reposer dans sa maison de Palm Springs où elle retrouvait ses amis, comme Franck Sinatra, également résident de l'endroit, ou Gerald Ford, l'ancien président des Etats-Unis, et avec lesquels elle s'adonnait à l'une de ses passions, le golf. Sensible à la cause des femmes, Dinah Shore eut donc l'idée de créer ce tournoi à Rancho Mirage alors que le golf féminin peinait à émerger dans le sport professionnel.
Autre précision notable sur la vie de Dinah Shore: elle fut aussi, malgré elle, une icône gay, récupérée au fil des ans par la communauté de Palm Springs, ville aujourd'hui de 45.000 habitants dont 40% de la population est répertoriée comme homosexuelle. De nombreuses histoires ont circulé au sujet de Dinah Shore et de ses prétendues conquêtes féminines, mais il s'agit, semble-t-il, d'une légende née de ses multiples amitiés dans le milieu gay. Cette légende a toutefois grandi et perduré avec le tournoi de golf, devenu l'occasion pour des milliers de lesbiennes de se rassembler et de faire une fête à tout casser. Comme l'écrit Michele Kort, dans son livre Dinah !, three decades of sex, golf and rock and roll, le Dinah Shore s'est mué rapidement en un rendez-vous annuel de lesbiennes d'autant plus couru que certaines joueuses de golf semblaient posséder un sacré sens de la fête en marge des fairways.
A tort ou à raison, il a toujours été admis que parmi les joueuses du LPGA Tour, nombre d'entre elles étaient homosexuelles, même si rares ont été celles qui ont annoncé la couleur publiquement. L'Américaine Rosie Jones, trois fois deuxième dans le Grand Chelem, a fait son coming out en 2004 après de longues années de silence. Quant à l'Australienne Karrie Webb, victorieuse de sept tournois du Grand Chelem dont deux Kraft Nabisco Championship en 2000 et 2006, elle connut la désagréable mésaventure d'être «outée» dans une publication.
Dinah Shore weekend
En 1990, deux femmes, Sandy Sachs et Robin Gans, propriétaires d'un bar à Los Angeles, allaient donner un coup d'accélérateur à ce mouvement lesbien parallèlement à la tenue du tournoi de golf. «Nous sommes venues au tournoi parce que l'une de nos amies le jouait, a raconté Sandy Sachs à The Observer voilà quelques années. Et on a trouvé ça tellement ennuyeux que l'on s'est dit: plus jamais ça!» Une idée germa alors dans leur esprit. Profiter de ce rassemblement de femmes, et d'homosexuelles, pour créer autour du tournoi un long week-end de festivités, de jour comme de nuit, nettement plus organisé et professionnalisé que ce qui existait déjà. Ainsi est née l'idée du Dinah Shore weekend qui attire chaque année entre 15.000 et 20.000 lesbiennes venues du monde entier qui s'éclatent dans divers endroits de Palm Springs sans trop se préoccuper de l'évolution des scores du Kraft Nabisco Championship.
Cette semaine, la chanteuse Melissa Etheridge en est l'une des invitées vedettes. Car le Dinah Shore weekend est devenu le lieu où il faut se montrer quand on est homosexuelle. La série L Word, passée sur Canal Plus et qui narrait les aventures de plusieurs amies homosexuelles, a donné, il est vrai, ses lettres de noblesse à l'événement en plantant, en 2004, le décor de l'un de ses épisodes au cœur du Dinah Shore weekend.
Bons sentiments
Le Kraft Nabisco Championship et le Dinah Shore weekend vont donc se conjuguer à nouveau jusqu'au 4 avril, mais sans jamais se mêler l'un à l'autre, du moins officiellement. Car le LPGA Tour, soucieux de son image et de son marketing, refuse de lier son tournoi à ces bacchanales endiablées. A l'heure où il joue la carte du glamour à tout crin comme son homologue du tennis, le circuit du golf ne veut obstinément pas être assimilé à ces homosexuelles parfois masculines qui débarquent par centaines à l'aéroport de Palm Springs. Alors que l'expression «le Dinah Shore» désigne autant le tournoi que le festival.
En 1997, le magazine américain Sports Illustrated avait créé un vif émoi parmi les instances du LPGA Tour en titrant l'un de ses papiers «Major Party» dans lequel la journaliste racontait la drôle de saga, les dessous de ce tournoi du Grand Chelem et surtout comment le LPGA Tour tentait désespérément de gommer cette «mauvaise image » en faisant tout pour découpler les deux manifestations (en enlevant notamment Dinah Shore de l'intitulé du tournoi pour ne laisser que le nom du sponsor, Kraft Nabisco). La semaine suivante, Wally Uihlein, l'un des dirigeants de la marque Titleist, spécialisée dans le matériel de golf et partenaire du Kraft Nabisco Championship, exigea un droit de réponse dans lequel il tira à boulets rouges sur cette vision déplacée du tournoi. Qu'on se le dise, le golf doit rester un sport conservateur et bien sous tous rapports comme le veulent les sponsors (n'est-ce pas Tiger Woods?). Mais ce ne sont pas ces vains bons sentiments qui vont empêcher des milliers de copines de s'amuser comme des folles en ce week-end de Pâques et quelques joueuses de venir se mêler à ces agapes...
Yannick Cochennec
Photo: L'Australienne Karrie Webb à Singapour en 2008, REUTERS/Vivek Prakash