«C'est compliqué» est une sorte de courrier du cœur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c'est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes. Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: [email protected]
Vous pouvez aussi laisser votre message sur notre boîte vocale en appelant au 07 61 76 74 01 ou par Whatsapp au même numéro. Lucile vous répondra prochainement dans «C'est compliqué, le podcast», dont vous pouvez retrouver les épisodes ici.
Et pour retrouver les chroniques précédentes, c'est par là.
Chère Lucile,
Je m'appelle Fanny, j'ai 26 ans et je suis dans une situation un peu délicate. Je suis obèse depuis toujours car j'ai une maladie qui m'empêche de gérer mon poids. Jusqu'ici, je me suis toujours refusé de vivre une histoire d'amour car je pensais inconsciemment que je n'y avais pas vraiment droit du fait de mon physique, même si je sais que beaucoup de filles en surpoids rencontrent des personnes super. J'évitais le sujet auprès de mes amis car j'avais honte. Et en même temps, je me demandais qui pourrait avoir envie de moi. Il y a toujours eu des personnes qui me plaisaient mais je n'ai jamais eu le courage de tenter ma chance. J'étais jusqu'ici beaucoup trop fragile psychologiquement pour essuyer un échec.
Et puis, j'ai perdu mon père il y a un an de ça et ma vie en a été très bouleversée. J'ai donc décidé de tenter ma chance sur un site de rencontres, car trop mal à l'aise d'aborder un homme dans la rue ou ailleurs.
J'ai cliqué sur le profil d'un homme de mon âge qui ne m'attirait pas particulièrement physiquement mais j'ai quand même décidé de lui parler. Ça a été une belle surprise car on a beaucoup de choses en commun. Je suis quelqu'un qui est beaucoup dans le contrôle et j'ai très peur du regard des gens, c'est là que les choses se corsent un peu.
J'ai rencontré ce garçon une première fois et je n'ai pas vu le temps passer. C'était super, il n'a fait que me faire des compliments comme quoi je lui plais, que je suis belle, que je suis attirante mais encore aujourd'hui je ne fais que les refouler.
Par la suite, il m'a informé qu'il est en hôpital de jour et qu'il a une maladie psychiatrique stabilisée mais bien présente qui l'empêche d'être totalement autonome et il est également obèse. C'est à partir de là que mon cerveau n'a plus voulu me lâcher... Mais que vont penser les gens, ma famille, mes amis? Déjà que jusqu'ici je suis loin d'avoir un parcours normal, mais là c'est horrible. Je ressens un peu de honte même si je l'aime très fort, bref, je ne sais plus quoi penser. Je sais que je devrais me concentrer sur mon histoire mais j'ai vécu du harcèlement scolaire et depuis, je suis tétanisée dès que je fais quelque chose qui sort de la normale. Je n'ose pas juste vivre ma vie...
Fanny
Chère Fanny,
C'est un choix conscient que vous devez faire, un choix qui sera ensuite à assumer. Vous avez connu toute votre vie le chemin de la «normalité» qui vous oppresse et vous nie. Et vous avez encore le sentiment de lui devoir quelque chose actuellement. Mais la réalité, c'est que vous entrevoyez déjà une alternative qui vous rendrait plus heureuse, avec peut-être de l'amour, quoi qu'il arrive de la compagnie avec une personne qui vous désire et vous respecte.
Je ne veux pas répondre à votre quotidien fait d'injonctions et d'insultes par une autre injonction. Parce que choisir de sortir de la norme demande du courage. Mais l'autre voie, celle du monde qui vous oppresse demande une abnégation de soi qui relève du sacrifice. Et ce n'est pas plus facile.
Vous avez le choix. C'est ce que vous devez comprendre. On vous juge déjà. Rien de ce que vous pourrez faire de plus ne changera ce jugement. Est-ce que vous serez plus heureuse si vous vous conformez à ce que vous croyez que la société attend de vous? Est-ce que vous y gagnerez en tranquillité d'esprit? Honnêtement, je n'en suis pas sûre. En réalité, vous êtes actuellement tétanisée par la peur après des années de maltraitance de personnes malveillantes. Vous ne vivez pas pleinement et rien ne le justifie. Vous n'avez à vous punir de rien.
Le surpoids n'est pas quelque chose qui doit être expié. Le harcèlement non plus. Une société où seuls les plus forts et les dominants s'en sortent avec les honneurs n'est pas une société dont nous pouvons être fiers. À titre personnel, je suis convaincue qu'il y a pour vous ici une part de bonheur que vous n'avez pas encore revendiquée. Elle peut prendre de nombreuses formes. Mais elle a besoin que vous vous engagiez pour elle, que vous ayez ce courage du bonheur dont je parlais plus haut. Parce que si vous le prenez ce bonheur, alors il sera à vous et personne ne pourra vous en défaire.
Concernant vos problèmes de confiance en vous et votre difficulté à accepter que vous puissiez être désirée et même aimée, je vous conseille de vous faire aider. Seul un engagement personnel dans la thérapie pourra soigner vos blessures profondes. Et il n'y a aucune honte à avoir besoin d'aide. Aujourd'hui, le monde vous est hostile. Mais il ne faudrait pas beaucoup pour qu'autour de vous il y ait des visages souriants et bienveillants. La rencontre avec un homme qui vous plaît et à qui vous plaisez est un premier pas. Un·ee thérapeute est peut-être simplement ce qui vous manque pour profiter pleinement de cette chance.
«C'est compliqué», c'est aussi un podcast. Retrouvez tous les épisodes: