Le sang a caillé. Finies les épopées amoureuses de Bella et Edward dans Twilight, les doutes sentimentaux d'Elena dans The Vampire Diaries, l'amour impossible de Sookie et Bill dans True Blood ou la fin de l'humanité aux mains des vampires dans Daybreakers. Finis la nuit, le sang, les gousses d'ail et les pieux dans le cœur. Au moins pour les maisons d'éditions et Hollywood qui, après la mode des immortels suceurs de sang, rangent les crocs et parient sur les anges. La mystique aérienne de ces figures divines sera le boum des années 10.
Pour autant, il ne faudrait pas que ce soit n'importe quels anges. Il faut évidement surfer sur la vague teen et romantique, plus près du sentimentalisme de La Cité des anges ou du moralisme d'Angel-A que de la mélancolie désespérée des Ailes du désir. C'est ce qu'ont compris les Editions du Masque qui feront paraître en France l'œuvre de l'Américaine Becca Fitzpatrick (Hush, hush) en avril. Et qui n'hésitent d'ailleurs pas à parler de «la nouvelle tendance du roman jeunesse: après les vampires, les anges déchus». C'est ce qu'a compris aussi Disney, qui a récemment acquis les droits d'adaptation de Fallen (de l'Américaine Lauren Kate), le premier volet d'une série en quatre tomes d'une autre Américaine, qui semble bien partie pour finir sur le grand écran.
Suceurs d'énergie
Le 24 mars est sorti dans les cinémas français Légion L'Armée des anges, le dernier film de Scott Charles Stewart, qui raconte la tentative désespérée de l'archange Michel pour essayer de sauver l'humanité d'une vengeance divine mise en musique par des anges obscurs. On attend aussi, dans les prochains mois, la sortie de l'adaptation d'Angelology, de Danielle Trussoni, dirigée par Will Smith, ou de Gabriel, de Shane Abbess, qui raconte le combat qui oppose les archanges et les anges déchus pour le contrôle des âmes. Ces personnages apparaissent comme «des anges normaux mais ils sont plutôt sombres. Un peu comme les vampires. Mais au lieu de sucer le sang, ils sucent l'énergie humaine et la force de vie», explique Megan Larkin, éditrice de fiction chez Usborne, pour justifier le relais que vont prendre les anges sur les vampires.
On passe des uns aux autres mais les clés de la réussite restent les mêmes. Pour rééditer un succès et lancer une nouvelle mode, rien de mieux que de faire la même chose. Explication marketing: «Les anges nous attirent parce qu'ils sont plus grands que la vie, plus beaux, plus sexy et des créatures plus sensuelles. (...) Il est très excitant de réussir à attirer des êtres aussi puissants», dit Cindy Hwang, éditrice exécutive de Berkley Books. Mais on pourrait dire la même chose des vampires.
D'ailleurs les œuvres citées ne se gênent pas pour reprendre les schémas narratifs les plus éprouvés. Souvent des récits sombres et paranormaux d'un amour interdit et qui va provoquer un affrontement entre clans ou familles. Roméo et Juliette remis au goût du jour. Comme pour le film Gabriel, l'histoire de Hush, hush raconte le conflit millénaire entre des anges déchus et des Nephilim (des mi-anges mi-humains). Tout cela pimenté d'une impossible histoire d'amour entre Nora, une jeune fille qui vit à Portland, et Patch, un jeune homme qui vient d'arriver en ville. Comme on pouvait s'y attendre, Nora va vivre «une passion peut-être fatale» avec ce nouvel arrivant.
La bonne recette
Exactement comme au début de Twilight. Et comme dans Fallen, qui raconte la rencontre, encore dans un lycée (le pensionnat Sword & Cross), entre Daniel Grigori, un adolescent mystérieux, et Luce Price qui va chercher à découvrir à tout prix son secret. «Même si ça doit la tuer», nous dit-on en introduction. On ne change pas une idée qui gagne.
Anges ou vampires, cette fascination pour le merveilleux et le transcendant, les figures surnaturelles et mythiques, est une constante de la littérature et du cinéma. Mais il semble bien que le mélange d'eschatologie, de prédestination religieuse et de mystique individuelle soit devenu une recette infaillible pour ceux qui veulent s'inscrire dans une mode rentable fruit de l'air du temps. On a eu Avatar, La Route, Le livre d'Eli, Percy Jackson ou Harry Potter qui utilisaient déjà la figure de l'Élu pour combler cette nécessité si contemporaine de donner un sens à l'identité personnelle. Sans oublier les plus anciens Matrix ou Star Wars et le prodigieux engouement actuel pour Lost dont la question devient de plus en plus (au fur et à mesure que la dernière saison avance) de savoir qui est l'élu de l'île. (Même si on ne sait toujours pas ce que cela signifie.)
Le cocktail ange / élu / sombre à la faveur des marabouts des studios mais n'est pas encore assuré de rafler la mise: il reste encore un volet de Twilight, la nouvelle saison de True Blood approche et le succès de The Vampire Diaries est incontestable. Cela promet une belle bataille surnaturelle pour le contrôle du monde et de la tendance.
Aurélien Le Genissel
Photo: REUTERS/Miro Kuzmanovic