Culture

Les mâles dominés du cinéma américain

Temps de lecture : 6 min

Le personnage interprêté par Ben Stiller dans Greenberg est le symbole d'une génération d'hommes qui ne répondent plus à l'idéal masculin traditionnel.

Dans le nouveau film de Noah Baumbach, Greenberg (sortie française le 28 avril), le personnage éponyme, interprété par Ben Stiller, a le plus grand mal à se comporter comme la société attend qu'un homme se comporte. Greenberg a 41 ans et il sort avec une jeune femme de 25 ans, à qui il raconte que son rêve d'enfant était de devenir astronaute. Mais il ne sait même pas conduire et il n'a rien fait de sa vie. Après avoir saboté sa carrière de musicien, il a décidé de devenir menuisier, un métier à la fois traditionnel et viril. Mais en public, il dit à ses amis qu'il «ne fait rien pour l'instant.» Pourtant, il sera blessé d'apprendre qu'une ex ne se rappelle même pas du lit qu'il avait construit pour elle. Tout ce dont elle se souvient, c'est de ses crises d'angoisse.

Greenberg est une représentation assez fidèle de la crise de la masculinité américaine telle que décrite par Susan Faludi dans son livre Stiffed: The Betrayal of the American Man (1999). Comme Greenberg, les petits garçons américains ont été élevés dans l'idée qu'ils seraient un jour «les maîtres de l'univers et de tout ce qu'il contient», qu'il allaient devenir astronautes et conquérir l'ultime frontière ou, au moins, qu'ils auraient un travail stable et une famille heureuse. Mais, arrivés aux années 1990, les hommes de cette génération se sont retrouvés «maîtres de rien du tout.» La sécurité de l'emploi est devenu un rêve inaccessible pour la plupart des Américains et le taux de mariage continue de s'effondrer. Quant à la récession actuelle, on ne peut pas dire qu'elle arrange les choses.

Le mâle oméga

Cependant, malgré tous ces bouleversements, les hommes semblent toujours incapables de mettre à jour le programme qui définit ce qu'ils devraient être aux yeux de la société. L'image de la femme américaine a subi une succession de transformations radicales depuis les années 1950, mais entre le brillant publicitaire Don Draper de Mad Men et les héros de guerre de la série The Pacific (produite par Tom Hanks), l'idéal masculin semble figé dans la gelée. Comment s'étonner alors que l'antithèse de l'homme parfait à qui tout sourit surgisse un peu partout dans le paysage culturel? Nous sommes entrés dans l'ère du mâle dominé, le mâle oméga.

Dans l'ordre social qui régit une meute de loups en captivité, les individus oméga sont inférieurs aux individus alpha et bêta. Si l'on fait une analogie avec la société humaine, un chef d'entreprise ou un guerrier sont des alpha, un manager sympa comme Jim Halpert dans The Office est un individu bêta, et Greenberg et ses semblables sont... des oméga. Le mâle alpha veut dominer, le bêta veut vivre tranquillement sa vie et quant à l'oméga, ou il n'a jamais voulu arriver nulle part ou, s'il a essayé, il a abandonné. En parlant de son ami dépressif, Greenberg explique: «On se dit, 'Salut, mec', mais c'est ridicule. C'est comme si on imitait d'autres gens.» Le mâle oméga ne connaît pas la crise de la quarantaine, car avant de les rejeter, il faut avoir un vrai travail et une famille. Or le mâle oméga n'a pas la possibilité de rejeter quoi que ce soit, puisque c'est lui qui est resté sur le bord de la route. Il est le plus souvent au chômage et sa vie sentimentale est une catastrophe. Il est célibataire ou, s'il est marié, il n'est pas heureux. «Je ne fous rien et je n'ai personne», fanfaronne Greenberg.

Plutôt cultivé et habitué à côtoyer une certaine élite culturelle, Greenberg est une variété particulière de mâle oméga. Voici une petite taxinomie des différents spécimens qui hantent aujourd'hui le cinéma et la télévision.

L'artiste fainéant

Puisqu'il gravite avec des artistes qui ont réussi, Greenberg fait partie de cette catégorie, comme d'autres personnages mis en scène par Noah Baumbach (Jack Black dans Margot at the Wedding et Chris Eigeman dans Kicking and Screaming) ainsi que tous les rôles que Jason Schwartzman a joué au cours de sa carrière. Il s'agit en général d'artistes ratés, souvent entourés par des amis ou des parents arrivés à une situation plus avantageuse. Les plus amers, comme Greenberg ou Chris Eigeman, cachent leur incapacité à se montrer à la hauteur derrière le cynisme, voire une certaine cruauté. Par exemple, après avoir crié sans raison sur sa très jeune petite amie, Greenberg lui explique que c'est en partie de sa faute et qu'elle devrait «faire plus d'effort pour essayer de [le] comprendre.» Les plus inoffensifs, comme Jason Schwartzman dans Bored to Death, se réfugient dans leur monde imaginaire. Dans ce film, Schwartzman interprète Jonathan Ames, un écrivain dont la carrière est au point mort. A force de dévorer des romans policiers, il finit par décider de devenir détective privé amateur, profession pour laquelle il n'a aucune compétence, avec les résultats qu'on imagine.

Le Mimbo

Contrairement à l'artiste fainéant, le mimbo s'enorgueillit de vivre en marge de la culture masculine traditionnelle. Ce personnage est très beau (d'où la contraction: male bimbo), mais ne se sert pas forcément de sa beauté pour réussir dans la vie. Parmi les mimbo qui ont marqué le petit ou le grand écran, on peut citer Brian Van Holt, qui joue le héros de Cougar Town's, un champion de golf divorcé et sur le déclin; ou le mannequin narcissique et prétentieux interprété par un Dax Shepard hilarant dans When in Rome. Le personnage de Shepard est obsédé par son physique «rugueux», mais il n'arrive ni à en vivre ni même à déclencher l'enthousiasme des foules. Il a payé pour faire les photos de son book et quand il enlève son t-shirt dans un café pour impressionner l'héroïne, les clients le somment de le remettre immédiatement. Quant à Bobby Cobb, le personnage de Van Holt dans Cougar Town, il est tellement sûr de sa masculinité non conventionnelle qu'il n'a même pas honte de se faire agresser et tabasser par une femme.

Le buveur de bière

Comme l'a remarqué Kerry Howley dans un article pour XX Factor, le buveur de bière apparaît dans la plupart des pubs sexistes qui passent pendant le Super Bowl. Il existe deux variations de ce personnage. Le vrai buveur de bière et le buveur de bière désenchanté. Le vrai est en quelque sorte un mimbo qui s'est assagi. C'est le type sympa qui s'incruste avec ses potes dans les discussions intellos que sa femme a avec ses copines juste pour chiper des Bud Light. Il se moque bien de ne pas être à la hauteur de l'idéal masculin, et cette insouciance le sépare du buveur de bière désenchanté, qui, lui, n'est que trop conscient de ses déficiences. Les quadra de Men of a Certain Age, un acteur au chômage, un type que sa femme a quitté parce qu'il a le démon du jeu et un vendeur de voiture dépressif, sont tous des désenchantés. Tout comme les hommes accablés par la vie de couple dans la publicité pour la Dodge Charger qui, en plus d'aller travailler tous les matins, doivent constamment plier face aux exigences tyranniques de leurs épouses. Comme le dit une critique de Men of a Certain Age à propos du personnage de Ray Romano, «Joe est un homme qui aime sa femme et ses enfants et sait qu'il peut compter sur ses amis. Il aimerait apporter davantage à ses proches, mais il n'a pas la moindre idée de ce qu'il pourrait faire pour eux. »

Le Game-Boy

Les fumeurs de joint qui semblent sortis d'un film de Judd Apatow et les autres types amorphes de Grandma's Boy (que Reihan Salam a qualifié de mâles bêta dans cet article de Slate publié en 2006) sont de bons exemples de Game-Boys. Ces hommes sont restés bloqués au stade de l'adolescence et refusent d'accepter les responsabilités de l'âge adulte tant qu'ils n'y sont pas obligés. S'ils ont un travail, il consiste à tester des jeux vidéos (Grandma's Boy) ou à concevoir des sites web idiots répertoriant les scènes de nu au cinéma (En cloque, mode d'emploi de Judd Apatow). Le dernier Game-Boy en date est le héros de She's Out of My League (qui sort en juin en France), interprété par un copain de Judd Apatow, Jay Baruchel. Son personnage d'employé d'aéroport minable tombe amoureux d'une blonde aussi belle que diplômée. Baruchel finit par la conquérir, mais comme l'écrit Owen Gleiberman dans EW, «ce type est un asocial apathique qui travaille comme agent de sécurité dans un aéroport. Elle est une femme brillante et pleine d'assurance, qui, dans la réalité, ne regarderait même pas un tel tocard.» On dirait vraiment que les scénaristes de ces films vivent dans le même monde imaginaire que leurs héros...

Jessica Grose

Traduit par Sylvestre Meininger

Photo: Image tirée du film Greenberg, Focus Features

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