Qu'est-ce que le cinéma? Vieille question qui a tout avantage à rester une question. On se méfiera de quiconque prétendra y apporter une réponse définitive, mais on ne cessera d'en éprouver la vigueur, qui se traduit par des fragments de justesse intense, chaque fois que s'éprouve la certitude émouvante que du cinéma se fait, dans le cours d'un film –ce qui n'est pas si fréquent.
C'est exactement ce qui se passe quand David danse près d'Alexis. Les deux jeunes gens sont dans une boîte de nuit, en pleine explosion de dépense physique sur un air pop endiablé.
David, le grand gaillard séducteur, a posé sur les oreilles de son nouvel ami, qui veut qu'on l'appelle Alex, les écouteurs d'un walkman où est enregistré Sailing, la chanson de Rod Stewart. Nous voyons David et tous les autres danser, nous entendons la balade du rocker écossais.
Alexis et David sont ensemble et pas ensemble, comme l'image et le son du film, comme l'idée de l'existence que se fait chacun d'eux. C'est tout simple et d'une foudroyante évidence.
L'énergie vitale et son revers fatal, le désir et la tendresse ne sont plus des abstractions mais des composants matériels que les outils du cinéma, avec ce montage dans le même plan de gestes, de regards, de lumières, de sonorités, de rythmes, rendent sensibles.
On ne sait toujours pas «Qu'est-ce que le cinéma?» en général, mais sans aucun doute c'est –entre autres– quelque chose qui permet cela. Et c'est formidable.
Pari gagné
À ce moment, environ le premier tiers du film, François Ozon a déjà gagné haut la main le pari que constitue, comme toutes ses précédentes réalisations, son 23e long métrage en exactement autant d'années.
Gagné son pari, c'est-à-dire faire de la romance estivale entre deux adolescents dans un port normand durant la saison que désigne le titre un mélodrame flamboyant et en même temps très proche, très intime.
Dès la séquence, tout au début, où David sur son dériveur est apparu pour sauver Alexis tombé à la baille, dès cet instant, à la fois très simple et chargé d'une mythologie capable de sourire d'elle-même, Été 85 avait pris un élan qui, de rebondissement en bifurcations (comiques, oniriques, policières, sensuelles, farfelues, réalistes, tragiques), ne se démentira plus.
Sur la plage du Tréport, l'irruption de Kate (Philippine Velge) entre David et Alexis. | Via Diaphana.
Il convient évidemment de saluer la qualité de l'interprétation des deux jeunes gens, Félix Lefebvre et Benjamin Voisin, qui dans des registres éloignés l'un de l'autre offrent une présence à la fois charnelle (mais pas de la même nature) et inquiète (mais pas de la même inquiétude) à Alexis et David.
À leur côté, une toute jeune actrice étonnante (Philippine Velge), et Valeria Bruni Tedeschi et Melvil Poupaud dans des emplois aussi brefs que mémorables, participent de la force que développe ce qui, malgré les éléments de dramatisation venus du livre ici adapté (La Danse du coucou, d'Aidan Chambers), aurait pu n'être qu'une bluette estivale version gay.
Vingt-trois films en vingt-trois ans depuis Sitcom, sans compter les courts métrages. Le nombre est important[1]. Il signale un engagement éperdu dans l'acte de filmer, qui est en fait le véritable pari, dont chaque œuvre serait une des manifestations.
François Ozon ne gagne pas à tous les coups, même si cela lui arrive souvent. Mais il y a chez lui, dans la diversité de ses projets (de Potiche à Grâce à Dieu, de Gouttes d'eau sur pierre brûlante à Sous le sable ou Jeune et jolie, de Ricky ou 8 femmes à Frantz, pour citer des titres aussi éloignés que réussis), comme dans leur profusion, une sorte de profession de foi.
À LIRE AUSSI «Grâce à Dieu», lumières et ombres d'une «affaire»
Profession de foi dans les puissances de la fiction pour dire la vérité des êtres et des rapports entre eux, affirmation ambitieuse de la capacité du cinéma à donner accès à ce qui meut les personnes, ce qui les habite, les libère ou les enferme, parfois les détruit.
Vaillance cinématographique
Avec ce nouveau film (en attendant le prochain, Tout s'est bien passé d'après le livre d'Emanuèle Bernheim, qui est déjà en cours de production), cette vaillance cinématographique emporte littéralement interprètes et éléments de récit, elle est comme un grand vent qui porte Été 85 de bout en bout. Adaptation d'un roman, peut-être, réminiscences autobiographiques, sans doute, échos de grands films aimés, pourquoi pas?
Ce sont combustibles pour cette flambée d'émotions, ludiques et sérieuses, juvéniles et de tous âges, solaires avec leur part de ténèbres. Que ce vent souffle, que ce feu brûle, là était le pari d'images et de sons, de souvenirs et de musiques, de couleurs et de visages jaillissant de la rencontre entre Alexis et David. Et Été 85 rafle la mise.
Été 85
de François Ozon, avec Félix Lefebvre, Benjamin Voisin, Philippine Velge, Valeria Bruni Tedeschi, Melvil Poupaud, Isabelle Nanty
Durée: 1h40.
Sortie: 14 juillet 2020
1 — Ce nombre de titres s'explique, aussi, par le soutien sans faille de producteurs solides, Eric et Nicolas Altmayer (Mandarin Films). Retourner à l'article