Jason Padgett voit les maths partout. Même une chose aussi ordinaire que se brosser les dents est régi chez lui par les mathématiques. Lorsqu'il se brosse les dents, il doit ouvrir le robinet et tremper sa brosse dans l'eau seize fois.
L'ancien vendeur de futons de l'Alaska n'a pas toujours su s'y prendre avec les chiffres. Il y a un peu moins de dix-sept ans, il vivait une vie très différente à Tacoma, dans l'État de Washington. Mais dans la nuit du vendredi 13 septembre 2002, tout a changé. Alors qu'il était sorti avec des ami·es, Jason a été attaqué par deux hommes devant un bar de karaoké, relate la BBC.
Il a souffert d'un traumatisme crânien et sa vision a changé. D'un coup il n'a plus perçu les choses de la même manière. «Tout ce qui était courbé avait l'air d'être légèrement pixellisé, détaille-t-il. L'eau qui descendait dans les égouts n'avait plus l'air d'être lisse et fluide, elle ressemblait à des petites lignes tangentes. Tout se présentait à moi de manière mathématique.»
Ressentir les mathématiques
Jason Padgett a parcouru internet pour trouver plus d'informations. Il est tombé sur Berit Brogaard, une neuroscientifique cognitive qui travaille actuellement à l'université de Miami. La spécialiste a émis l'hypothèse que depuis son accident Jason était atteint de synesthésie, un trouble de la perception des sensations à travers lequel le sujet associe deux ou plusieurs sens à partir d'un seul stimulus. La co-activations de régions du cerveau a pour effet que les sens se mélangent. Cette pathologie ne touche que 4% de la population.
Certaines personnes atteintes de synesthésie peuvent faires des associations qui font qu'elles perçoivent des couleurs lorsqu'elles entendent de la musique ou sentir une chose qui n'est pas là lorsqu'elles ressentent une émotion particulière. La synesthésie de Jason Padgett se traduit, elle, par la projection de formules mathématiques dans son champ de vision.
Pour vérifier la fiabilité de ses hypothèses, Berit Brogaard a fait venir l'Américain à l'unité de recherche sur le cerveau de l'université Aalto à Helsinki, où il a subi une série de scanners du cerveau.
Des connexions cérébrales inédites
Pendant qu'il était dans le scanner IRM, des centaines d'équations, y compris fausses, ont clignoté sur un écran devant ses yeux. L'équipe de recherche a ensuite regardé quelles parties de son cerveau s'activaient en réponse à ce qui lui était présenté.
«Ils ont découvert que j'avais accès à des parties du cerveau auxquelles nous n'avons pas accès consciemment et que mon cortex visuel travaillait en conjonction avec la partie du cerveau qui fait des mathématiques, ce qui fait sens», commente Jason Padgett.
Les hypothèses de Brogaard se sont avérées exactes. Jason a été formellement diagnostiqué comme porteur du syndrome du savant acquis et d'une forme de synesthésie. Il a décidé de passer sa vie à faire le tour du monde pour raconter son histoire et sensibiliser la population sur sa maladie.