Une année se sera écoulée avant que le gouvernement chinois s'engage dans la voie d'une prise de contrôle autoritaire de Hong Kong. Le Parti communiste chinois ne s'est pas précipité pour prendre cette direction. Il est probable que, dans la seconde moitié de l'année 2019, tandis que des manifestations hostiles à l'interventionnisme chinois se déroulaient chaque semaine à Hong Kong, différentes tendances se sont confrontées à Pékin. Certain·es membres du bureau politique et du Comité central jugeaient imprudent la moindre intervention de Pékin à Hong Kong. Surtout dans une période où la relation avec les États-Unis de Donald Trump n'arrêtait pas de se compliquer sous forme de guerre commerciale et de taxations douanières réciproques.
À l'inverse, d'autres voix s'élevaient à la direction du parti, pour que la Chine fasse preuve d'autorité à Hong Kong. Pour ces partisan·es d'un recours à la force, il n'était guère tolérable que dans un petit territoire où vivent six millions de personnes, de vastes manifestations hebdomadaires continuent à défier le pouvoir de Pékin. Cette tendance répressive l'a emporté. Elle semblait bénéficier d'une nette approbation de la population chinoise. Laquelle, depuis longtemps, n'apprécie pas la liberté d'expression et de manifestation que les Hong Kongais·es mettent régulièrement en avant.
Des peines de prison à vie
De la mi-janvier à la fin mars, l'épidémie de coronavirus et un confinement généralisé en Chine ont mis tout ce débat en parenthèses. Mais fin mai, l'Assemblée nationale populaire a tenu sa session annuelle à Pékin et une loi indiquant que la sécurité nationale devait être assurée à Hong Kong a été votée à la quasi-unanimité. Ce texte amène le 31 juin au soir, le comité permanent de l'Assemblée nationale populaire à mettre en place une nouvelle loi beaucoup plus précise de «sauvegarde de la sécurité nationale à Hong Kong». Elle permet de réprimer différents types de délits et crimes contre la sécurité: les activités subversives, la sécession, le terrorisme et la collusion avec des forces étrangères. Il est prévu que des tribunaux de Chine populaire sont compétents pour juger toute «atteinte grave à la sécurité nationale» à Hong Kong et que ce motif peut entraîner des peines de prison à vie.
Tout accusé·e pourra voir sa peine allégée s'il ou elle dénonce une autre personne.
Cette loi apparaît donc le 1er juillet date du 23e anniversaire de la rétrocession de Hong Kong par la Grande-Bretagne à la Chine. En 66 articles répartis en 6 chapitres, elle détaille son objectif: museler toute contestation. Elle annonce toute sorte de dispositions comme la création de plusieurs agences de surveillance qui seront dirigées par des fonctionnaires relevant de l'administration chinoise. Ou encore, elle établit que tout accusé·e pourra voir sa peine allégée s'il ou elle dénonce une autre personne. Les délits de «sabotage de moyen de transport» sont classés dans le chapitre terrorisme. Défendre des opinions indépendantistes ou inciter à la haine des gouvernements (chinois ou de Hong Kong) sont classé dans la catégorie «subversion».
Zhang Xiaoping est directeur adjoint du Bureau des affaires de Hong Kong et de Macao du Conseil des Affaires d'État, (c'est-à-dire le gouvernement chinois). Le 1er juillet, à Pékin, il est chargé de donner une conférence de presse dans laquelle il explique que «la nouvelle loi est conçue pour apporter la tranquillité à Hong Kong». Il déclare que cette loi «ne vise qu'un petit groupe de criminels qui mettent en danger la sécurité nationale et sera une “épée tranchante” suspendue au-dessus de leurs têtes».
Les dispositions annoncées tournent résolument le dos aux manifestant·es hongkongais·es qui ont réclamé au fil des mois davantage de démocratie. De juin à novembre 2019, ils et elles étaient plus de deux millions, sur une population de six millions, à participer à des manifestations. Au début, il s'agissait de protester contre une disposition prise par Carry Lam, la cheffe de l'exécutif local, qui n'excluait pas qu'un·e délinquant·e arrêté·e à Hong Kong puisse être expulsé·e vers la Chine populaire. Mais très vite, ces vastes manifestations se sont recentrées sur une position de principe: le refus de la mainmise grandissante des autorités de Pékin sur Hong Kong.
«Un pays, deux systèmes»
Aujourd'hui, ce sont des dispositions précises du statut de Hong Kong qui sont ignorées par Pékin. Lors de sa restitution à la Chine en 1997, il avait été convenu que, jusqu'en 2047, Hong Kong pouvait «gérer ses propres affaires» avec un «haut degré d'autonomie». Dans la presse de Hong Kong, des juristes proclament sous couvert d'anonymat que les principes signés par la Chine populaire viennent d'être écrasés. Ils citent le statut de «région économique spéciale» ou encore le fonctionnement de Hong Kong par rapport à la Chine populaire qui doit être régit par la formule «un pays, deux systèmes».
La nouvelle loi sur la sécurité nationale a très vite connu ses premières applications à Hong Kong. Dans la matinée du 1er juillet, un homme est arrêté: il arborait un drapeau sur lequel était inscrit «indépendance pour Hong Kong». Dans les heures qui suivent, des Hong Kongais·es défilent pour célébrer le 23e anniversaire de la récession de la ville par la Grande-Bretagne à la Chine. Cette manifestation étant interdite, près de 200 personnes sont arrêtées par la police du territoire pour «trouble à l'ordre public» et sept d'entre elles le sont «pour violation présumée de la loi sur la sécurité nationale».
Une manifestation contre la loi sur la «sécurité nationale», le 1er juillet, à Hong Kong. | Anthony Wallace / AFP
En intervenant à Hong Kong, Pékin a voulu montrer qu'il s'agissait de mettre fin à la liberté de parole et de critique du pouvoir chinois qui se pratiquait sur ce territoire. Il est probable que la police chinoise a accumulé au cours des manifestations de 2019 un grand nombre de photos et de dossiers sur ceux qui protestaient. Et qu'il y a dans la population de Hong Kong des personnes qui sont prêtes à donner aux autorités chinoises les informations qui pourraient leur manquer sur un·e contestataire.
Un certain nombre de leaders du mouvement démocratique hongkongais s'empressent depuis quelques jours de quitter le territoire. La Grande-Bretagne a annoncé qu'elle est prête à en accueillir. D'autres partent vers Taïwan, vers les États-Unis ou encore le Canada. Nathan Law, le jeune chef de file du mouvement démocratique a fait savoir qu'il s'est enfui sans dire où il se trouve désormais. Il a dissous Demosisto, son parti. En revanche, le 2 juillet, d'autres leaders des manifestations de l'an dernier ont été arrêtés au moment où ils allaient monter dans l'avion.
Mise en cause du régime de Pékin
Face à la démonstration de force du pouvoir chinois à Hong Kong, l'Europe reste prudente. Josep Borell, le chef de la diplomatie de l'Union européenne, se contente de sous-entendre une contradiction dans la position chinoise, en disant: «Conformément aux assurances données par la Chine dans le passé, l'Union européenne juge essentiel que les droits et libertés dont jouissent les habitants de Hong Kong soient totalement protégés.»
La Grande-Bretagne, qui a administré Hong Kong à partir de 1897 avant de restituer le territoire à la Chine en 1997, est plus concrète. Boris Johnson a annoncé que les Hong Kongais·es qui possèdent un passeport britannique d'outre-mer (British national overseas, BNO) pourront venir vivre, travailler ou étudier au Royaume-Uni durant cinq années –contre six mois jusqu'à présent. Après cela, ces personnes auront droit à un statut de résident et pourront, un an plus tard, demander la pleine citoyenneté. Près de trois millions de Hong Kongais·es, parce qu'ils et elles sont né·es avant la rétrocession, peuvent prétendre à la possession d'un BNO. Et leurs enfants y sont également éligibles. L'ambassadeur de Chine à Londres a tenu à dire que son pays «s'oppose fermement à toutes ces propositions» anglaises. Et il a ajouté sans plus de précisions: «Nous nous réservons le droit de prendre des mesures adéquates.»
Il n'y a pas, en Chine populaire, un centre financier aussi performant que l'est Hong Kong.
Ce sont les États-Unis qui vont le plus loin dans la mise en cause du régime de Pékin. Fin mai, Washington a révoqué le statut commercial préférentiel dont Hong Kong bénéficiait aux États-Unis et a annoncé qu'aucun armement ne serait plus exporté vers l'ex-colonie britannique. De son côté, Pékin a annoncé que le nombre de visas pour des citoyen·nes américain·es allait être réduit. Et Zhao Lijian, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, a indiqué au cours d'un point de presse: «Hong Kong, y compris la loi sur la sécurité nationale, sont purement des affaires internes à la Chine, aucun pays ne peut s'en mêler.»
Mais le 2 juillet, la Chambre des Représentants américains puis le Sénat ont voté à l'unanimité une loi prévoyant de sanctionner ceux qui à Pékin ont établi les règles sécuritaires et de cibler les banques qui les financent. En parallèle, les parlementaires américain·es présentent une autre proposition de loi qui doit permettre aux habitant·es de Hong Kong d'être prioritaires pour demander un statut de réfugié·es aux États-Unis. Une disposition semblable avait été accordée aux Cubain·es lorsque Fidel Castro avait pris le pouvoir à la Havane en 1959. Toutes ces mesures américaines devraient fortement mécontenter les dirigeant·es de Chine. D'autant que le secrétaire d'État, Mike Pompeo a annoncé le 1er juillet que de nouvelles mesures américaines «ne sont pas à exclure».
C'est cependant surtout sur le plan économique que le sort de Hong Kong pourrait se jouer dans les mois qui viennent. La force du territoire repose traditionnellement sur un savoir-faire bancaire et financier exceptionnel qui en a fait un point de passage naturel d'une grande partie des échanges entre la Chine et le reste du monde. Par ailleurs, nombre de fortunes chinoises ont placé des sommes considérables à Hong Kong. Y compris des entreprises publiques qui trouvent dans le territoire des contacts bancaires qui leur sont utiles. Il n'y a pas, en Chine populaire, un centre financier aussi performant que l'est Hong Kong. Même en bénéficiant d'un statut d'autonomie économique, Shanghai ne parvient pas à bénéficier d'une confiance internationale aussi étendue que celle qui prévaut à Hong Kong. Dans la conférence de presse qu'il a donnée le 1er juillet, Zhang Xiaoping, le directeur adjoint des affaires de Hong Kong et de Macao, a cherché à rassurer les milieux économiques internationaux en disant que la nouvelle loi «protégerait pleinement les droits et les libertés dont jouissait la grande majorité des habitants de Hong Kong, ainsi que les droits et les intérêts légitimes des investisseurs étrangers à Hong Kong».
Cependant, Pékin n'a probablement pas jugé que renforcer son contrôle sur Hong Kong comportait un risque irrémédiable de détériorer la vigueur de ce centre économique. Dans la période actuelle, où le coronavirus entraîne un affaiblissement de l'économie et de probables difficultés sociales à venir, le pouvoir chinois peut avoir un besoin prioritaire d'affirmer sa puissance. C'est devant l'opinion chinoise qu'il s'agit de le montrer. En renforçant son contrôle sur les sept millions et demi d'habitant·es de Hong Kong, le parti communiste chinois montre sa force au reste du pays, soit un milliard 400 millions de personnes.