Dans les moments forts de cette année sur le sujet des violences sexuelles, je mettrai le témoignage de la patineuse Sarah Abitbol. Elle a véritablement brisé une omerta. L'année a également été marquée par des enquêtes (notamment grâce à Disclose et L'Équipe) sur des affaires de pédocriminalité dans le sport. En février dernier, la ministre des Sports Roxana Maracineanu avait lancé une Convention nationale sur le sujet, et mercredi 1er juillet une conférence de presse a permis de faire le point.
Un ministère concerné
D'ordinaire, je ne suis pas une grande fana des conférences de presse du gouvernement sur ces sujets. On entend beaucoup de discours, de blabla, avec pas mal d'approximations, alors autant dire que j'ai été agréablement surprise mercredi. En premier lieu, la ministre a admis qu'elle n'avait pas mesuré l'ampleur du séisme. Elle n'a pas cherché à faire croire que tout allait bien. (Comme l'a remarqué Le Monde, ça nous change de Laura Flessel qui avait affirmé qu'il n'y avait aucun souci.) Roxana Maracineanu admet qu'il y a un gros problème. Adrien Taquet, secrétaire d'État à la protection de l'enfance, a également pris la parole. La ministre a évoqué «la face cachée de notre société», ce qui nous change du discours qui d'habitude minimise les choses en les limitant à quelques individus monstrueux.
Ensuite, Fabienne Bourdais, déléguée ministérielle chargée des violences dans le sport, nous a exposé avec une grande transparence la situation.
Grâce aux signalements effectués depuis six mois, 177 auteurs présumés de violences sexuelles ont été identifiés. (On ignore le nombre total de victimes concernées, mais il est clair qu'un agresseur fait plusieurs victimes. La ministre a insisté d'ailleurs sur le fait qu'ils se déplaçaient de département en département.) Parmi les victimes, 78% sont des filles et 22% des garçons. (C'est important de le dire. Il faut parler des garçons victimes de violences sexuelles.) À ce jour, quatre-vingt-huit procédures judiciaires sont en cours et seize individus sont incarcérés.
Enquêtes administratives
Le ministère a l'air décidé à agir. Fabienne Bourdais assure que tous les signalements ont donné lieu à une enquête administrative. Depuis décembre, les préfets ont déjà prononcé soixante-sept interdictions d'exercer (beaucoup sont prises dans l'attente d'une décision définitive). C'est trois fois plus en six mois que pendant les dix dernières années.
Il se passe, concrètement, quelque chose. Le chantier est en cours, mais enfin, déjà, il est ouvert. Cela fait une énorme différence avec l'inertie habituelle.
Bien sûr, le plus effrayant, c'est de penser à l'envers. C'est-à-dire que quand la ministre annonce quelque chose, on réalise qu'il y avait des lacunes auparavant. Prenons l'exemple des bénévoles dans le sport. Il n'y a pas de croisement des fichiers concernant les encadrants bénévoles, notamment le fichier Fijais qui recense les auteurs d'infractions sexuelles ou violentes. Autrement dit, même après avoir été condamnés pour agressions sexuelle, ils peuvent continuer à bosser auprès d'enfants. C'est l'un des points sur lesquels Fabienne Bourdais travaille actuellement. Un croisement des fichiers devrait être généralisé dans toutes les fédérations en janvier 2021.
Autre problème avec le fichier Fijais, l'inscription n'est pas automatique. Une personne peut avoir été condamnée pour détention d'images pédopornographiques, mais si sa peine n'a pas dépassé pas cinq ans d'emprisonnement, elle n'est pas obligatoirement noté dans le Fijais (il faut que ce soit indiqué dans la décision du juge). Aurélien Taquet a précisé qu'une loi devrait être votée de façon définitive en juillet et qu'elle automatisera cette inscription.
Des antécédents vérifiés
J'ai également été étonnée par l'appel qui a été fait aux parents. Plusieurs intervenant·es ont rappelé que les parents pouvaient exercer eux-mêmes un contrôle sur les éducateurs sportifs. Je l'ignorais complètement donc je vous explique. Pour avoir une carte professionnelle, les éducateurs sportifs doivent se déclarer. On fait alors ce qu'on appelle étrangement une «enquête d'honorabilité». En vrai, ça consiste à vérifier leur casier judiciaire et leur présence ou non au fameux fichier Fijais. En tant que parent, vous n'avez évidemment pas accès au registre des délinquants sexuels. Mais vous pouvez consulter l'annuaire des éducateurs sportifs professionnels. Vous avez seulement besoin du nom de famille et du prénom de l'éduc et le site vous dit s'il est titulaire d'une carte professionnelle. Or si c'est le cas, cela signifie (normalement) que son casier a été vérifié.
Si on reprend les 177 agresseurs présumés dénoncés depuis février, 109 étaient éducateurs sportifs et, parmi eux, seuls 36 étaient titulaires d'une carte professionnelle valide. Bien sûr, ce n'est pas la solution à tout. Mais en cas de doute, on peut faire cette première démarche de vérification.
Quand on suit le sujet des violences sexuelles, on n'apprend pas très souvent de bonnes nouvelles. Cette fois, j'ai eu l'impression qu'un processus concret pour améliorer les choses avait été enclenché.
Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq.