La semaine dernière, la commentatrice politique américaine pro-Républicains Ann Coulter, célèbre pour ses polémiques, a piqué au vif la gauche américaine en demandant si Yale allait changer de nom pour se distancier d'Elihu Yale (1649-1721), qui s'est enrichi en pillant l'Inde et en faisant commerce d'esclaves avant de donner des livres à cette université du Connecticut alors à court d'argent.
Le camp conservateur n'a pas hésité à reprendre le hashtag #CancelYale initié par Coulter, l'une des inventeuses modernes de la discussion ayant pour but d'agacer et de semer la discorde entre ses adversaires. Il a trouvé des allié·es parmi certaines gauches, enthousiastes à l'idée du changement de nom de l'université.
Yale, de son côté, n'a annoncé aucun changement. Mais la décision prise la semaine dernière par l'Université de Princeton de retirer le nom de son ancien président Woodrow Wilson de son département des affaires publiques relance le débat, au plus grand désarroi du journaliste Graeme Wood, enseignant pendant un temps à Yale qui témoigne dans The Atlantic.
Risque d'amalgame
Le principal danger de ce type de trolling est la confusion des idées. L'Université Yale a déjà retiré deux portraits d'Elihu Yale de ses murs et a rebaptisé le département Calhoun en l'honneur de l'informaticienne et de l'amiral de la marine Grace Murray Hopper.
John C. Calhoun (1782-1850) était diplômé de Yale et sénateur des États-Unis, secrétaire à la guerre et à l'État, et vice-président. C'était un raciste notoire qui a travaillé sans relâche pour assurer et prolonger l'asservissement de millions de Noir·es américain·es.
Mais presque personne ne semble avoir pensé que le fait de tenir compte des crimes de Yale, ou de ceux de Calhoun, pouvait impliquer le changement de nom de l'université, dont le sens est depuis longtemps séparé de la vie d'Elihu Yale. Personne ne le vénére au sein de l'établissement, personne n'adhère à ses idéaux. Le nom de Yale n'appartient pas à Elihu, mais à l'université, avec ses défauts et ses qualités.
Ce débat n'est finalement qu'une distraction. Non pas parce que l'héritage de l'injustice dans des institutions comme Yale ou le gouvernement américain ne mérite pas d'être discuté, mais justement parce qu'il mérite de l'être. #CancelYale est un moyen d'empêcher cette discussion en la remplaçant par une autre beaucoup plus simpliste et dommageable à celle qui devrait avoir lieu.
Dans une attitude très trumpienne, ce trolling est un moyen de noyer le véritable enjeu du débat dans un flot d'informations connexes et de discréditer la parole de ses opposant·es.