Santé / Sciences

«Je ne vois pas comment je pourrais être heureux après l'avoir tant été avec elle»

Temps de lecture : 4 min

[C'est compliqué] Cette semaine, Lucile conseille Arno, quadragénaire qui a perdu le goût de la vie depuis le départ de sa femme.

«Je ne savais pas qu'on pouvait être malheureux à ce point et pleurer autant» | TheeErin via Flickr 
«Je ne savais pas qu'on pouvait être malheureux à ce point et pleurer autant» | TheeErin via Flickr 

«C'est compliqué» est une sorte de courrier du cœur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c'est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes. Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: [email protected]

Vous pouvez aussi laisser votre message sur notre boîte vocale en appelant au 07 61 76 74 01 ou par Whatsapp au même numéro. Lucile vous répondra prochainement dans «C'est compliqué, le podcast», dont vous pouvez retrouver les épisodes ici.

Et pour retrouver les chroniques précédentes, c'est par là.

Chère Lucile,

J'ai 47 ans et deux filles merveilleuses de 21 et 19 ans.

Mais il y a huit mois, la personne que j'aime le plus au monde m'a dit: «Je pars, je n'ai rien à te reprocher, je n'ai pas été malheureuse, tu es un mari exemplaire et un papa formidable mais aujourd'hui je l'aime plus que toi.»

Et paf! La porte qui claque. Vingt-six ans d'amour, vingt-et-un ans de mariage, plus rien.

Un sac poubelle sur le trottoir, une merde, voilà ce que je suis. Un trou dans le cœur apparaît aussitôt, avec moi tout petit à côté qui menace de tomber dedans.

Tout de suite, la famille, les amis, la belle-famille aussi, personne ne comprend et tous me soutiennent: «Oh non! Pas vous, ce n'est pas possible! Pas vous! Vous allez tellement bien ensemble, vous avez tout pour être heureux, toujours souriants, un beau couple, une super famille!» Un mois après, elle demande le divorce et aujourd'hui on a vendu la maison et je déménage avec les filles.

Aujourd'hui, j'ai repris la moitié des 10 kg que j'avais perdus mais j'ai perdu beaucoup. J'ai perdu le bonheur, le plaisir des choses simples, le sourire avant de dormir.

Pour tout le monde, je représentais la force tranquille, la sérénité, la confiance, mais aujourd'hui je ne suis plus ça. Je ne suis plus sûr de moi, je suis toujours tendu, avec les muscles du dos qui me font mal, et j'ai de moins en moins envie.

Bien sûr, je fais de mon mieux pour les filles, pour avancer, pour ne pas trop stresser toute cette famille qui me soutient.

Mais j'ai de moins en moins envie, que je sois ici où là-bas, que je sois seul ou pas, je m'en fous, tellement je suis malheureux. Je ne savais pas qu'on pouvait être malheureux à ce point et pleurer autant. Tout ça pour quelqu'un qui se fout de vous, finalement.

Donc voilà, c'est compliqué, parce qu'il est possible que la fin ne soit pas belle, parce que je ne vois pas comment je pourrais être heureux après l'avoir tant été avec elle, la femme de ma vie, celle à qui je voue un amour infini.

On va me dire: «Allons ressaisis-toi! La vie continue, il y aura de meilleurs moments». Mais je n'y crois plus, alors je regarde mes filles, ce sont elles qui me donnent cette envie de ne pas sombrer et j'espère tenir pour elles.

J'espère vraiment mais on peut être tellement déçu dans la vie.

Arno

Cher Arno,

Que reste-t-il quand la personne avec qui on a tout construit n'est plus là? Parce que personne ne nous appartient jamais vraiment, je pense que vous devriez appréhender cette période dans laquelle vous êtes actuellement comme un deuil. C'est le deuil soudain, brutal, d'une histoire que vous pensiez éternelle. Cette histoire n'est plus aujourd'hui et vous allez avoir besoin de temps pour traverser les différentes phases du deuil.

Vous êtes actuellement soufflé par la violence du choc, il y aura aussi à un moment de la colère, et puis un épisode où vous essaierez de retrouver un succédané de votre vie d'avant quoiqu'il en coute. Et puis il y aura l'acceptation.

Je ne vais pas vous dire que de meilleurs moments sont à venir parce que je suis incapable de prédire une telle chose. Vous savez ce que vous avez vécu et vous connaissez la valeur de ces souvenirs. Est-ce que le meilleur est devant vous? Personne ne peut le savoir. Je crois que c'est honnête de dire que nous ne sommes pas tous égaux et égales, et que certaines personnes vivront les plus beaux moments de leurs vies dans les premières années, d'autres quelque part au milieu de leur parcours et d'autres encore dans les derniers instants. Si vos meilleurs souvenirs sont à 5, 12 ou 21 ans, est-ce que ça veut dire que tout le reste ne vaut pas la peine d'être vécu?

Je ne crois pas. D'abord, il y a toujours l'espoir. C'est un trait que beaucoup d'entre nous avons en commun, on ne sait pas, on ne sait jamais quand est-ce que ces instants de grâce vont se présenter. On ne pourra faire le bilan qu'à la fin avec un peu de chance. Et peut-être que le plus beau arrivera plusieurs fois, à des moments très différents et de multiples manières. Qui sait? Il y a, et c'est heureux, une infinité de manières d'être épanoui dans la vie, de sentir qu'on a un but, qu'on sert à quelque chose de plus grand que soi.

Vous parlez de vos filles et vous en avez déjà un peu conscience. Dans les moments difficiles, si vous ne vivez pas pour vous, vous devez vivre pour d'autres. Parce que votre présence compte. Et ce sentiment d'être utile, indispensable même, il a une valeur aussi.

Vous êtes comme ces gens qui ont vu leurs maisons, le fruit du travail d'une vie, emportées par la tempête. Comme ces gens qui ont perdu leurs très proches dans un accident de voiture. Et c'est une rare violence qu'il faut affronter avec un courage insoupçonnable. Mais vous n'êtes pas de ces personnes à qui on dit que c'est fini et qu'il n'y a plus aucun espoir. Votre amour est parti, oui. Mais votre coeur bat toujours. Et tant qu'il bat, il reste la possibilité de l'amour.

Votre cœur bat, Arno. Vous avez mal. Vous écrivez votre douleur. Et parce que ce n'est pas à moi de vous serrer dans mes bras, je ne peux vous dire qu'une chose: vous êtes vivant. Soyez heureux de l'être et que la femme qui vous a quitté le soit aussi. Il n'y a jamais de trajectoire tracée, il faut l'accepter. Les femmes que vous aimez sont là, près ou loin de vous. Je suis sûre que vous finirez tôt ou tard par mesurer la chance que vous avez.

«C'est compliqué», c'est aussi un podcast. Retrouvez tous les épisodes:

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