Économie

Agriculture: Allons enfants de la PACtrie!

Temps de lecture : 3 min

L'annonce musclée de Nicolas Sarkozy sur la PAC manque l'objectif à long terme: aider l'agriculture française à se transformer.

Cela ressemble à un dernier avertissement. Pour le président de la République, la première urgence — «un sujet qui ne peut plus attendre» — est l'agriculture, ou mieux, la politique agricole commune. «Je le dis clairement: je suis prêt à aller à une crise en Europe plutôt que d'accepter le démantèlement de la Politique agricole commune». Un ultime combat pour la PAC? Mourir pour la PACtrie? Que penser de cette annonce?

C'est évidemment un message fort pour le monde agricole. Tous les mots attendus y sont: la tragédie du démantèlement, les prix indignes, la spéculation, la sécurité alimentaire, la faim dans le monde... Cette annonce a aussi le mérite de garantir que la France ne lâchera pas ses agriculteurs. Alors qu'elle aurait pu être tentée de le faire, ne serait-ce que pour des raisons budgétaires.

En effet, la contribution française au budget communautaire s'accroît tandis que sa part dans la PAC diminue, compte tenu du poids croissant des nouveaux Etats membres au sein de celle ci. Ces mouvements en ciseau se croisent en 2012. A compter de cette date, la France ne sera plus bénéficiaire de la PAC, c'est-à-dire paiera plus pour la PAC collective qu'elle ne touchera en retour. L'annonce présidentielle montre «clairement» — et heureusement — que la vision politique l'emportera sur l'approche budgétaire et comptable.

La crise est certaine

En revanche, l'appréciation sous l'angle européen est moins claire. En réalité, la crise européenne sur la PAC est presque certaine. Cela fait trop longtemps qu'elle est un point de fixation des débats politiques et budgétaires européens. La prochaine échéance est celle de la double négociation de la PAC de l'après 2013 et du cadre budgétaire de l'UE pour 2014/2020, c'est-à-dire du contenu et des moyens. Les deux sont indissociables. Sans argent, il n'y a pas de PAC. Ni d'ailleurs, de problème de PAC! Même les Britanniques s'accommoderaient d'une PAC qui se bornerait à fixer les règles de commercialisation des produits et des appellations contrôlées!

Il y a tout lieu de penser que la PAC sera au cœur du prochain débat budgétaire. Pour trois raisons simples. D'abord, elle coûte cher. Un coût mérité - 100 € par habitant et par an pour assurer la sécurité  alimentaire de l'Europe est-ce trop? - mais un coût réel puisque la PAC a représenté près de 1.000 milliards en vingt ans.

Ensuite, les crédits de la PAC seront mis en concurrence avec les priorités du moment: recherche,  compétitivité, énergie/climat. La Commission européenne a d'ores et déjà annoncé dans sa stratégie 2020 que le budget devrait être orienté vers ces nouveaux secteurs. Enfin, il faut savoir que l'essentiel du budget de la (les interventions et les aides aux revenus = 4/5 du budget) n'a pas été discuté lors de la précédente négociation budgétaire en 2005. L'enveloppe avait été fixée trois ans auparavant au moment de la négociation d'adhésion des nouveaux Etats membres et les crédits PAC avaient été en quelque sorte préemptés.

Préférence communautaire?

Certains Etats, amers devant cette confiscation, s'étaient «vengés» en supprimant le mot «agriculture» dans le document budgétaire final, en attendant le prochain tour. Le voici. Cette position de «crédits prioritaires non négociables» sera occupée cette fois par les fonds de cohésion affectés aux nouveaux adhérents de 2004 et 2007, mais tout le reste sera négocié. A commencer, bien entendu, par les crédits de la PAC. Ainsi, la prochaine échéance est l'heure de régler des comptes, au sens propre comme au sens figuré. Notamment avec la France, en position privilégiée avec des retours agricoles de près de 10 milliards d'euros par an.

Il y a quelques jours, Nicolas Sarkozy s'était déjà positionné en annonçant qu'il accepterait une diminution des aides européennes si l'Europe assurait la préférence communautaire. Le problème est que cette préférence communautaire n'est pas formellement garantie, que les Français sont seuls à penser qu'elle est un principe fondateur de l'UE et qu'elle n'a même aucune chance d'être accepté sous cette forme par nos partenaires. Le clash agricole est donc quasi certain.

Une PAC insatisfaisante

La France s'y prépare et annonce la couleur. Avec témérité et même un peu d'imprudence. Dire qu'on se tient prêt à la crise, c'est déjà l'engager. Est-ce bien le rôle de la France d'annoncer — d'engager? — la crise en Europe? N'y a-t-il pas d'autres moyens de parvenir à ses fins? La difficile négociation de la prochaine PAC passe davantage par des alliances avec nos partenaires agricoles, notamment avec les nouveaux Etats membres et l'Allemagne, que par ces menaces qui pourraient l'irriter.

Enfin, l'idée de se battre contre le démantèlement de la PAC laisse à penser que la PAC actuelle est satisfaisante. Alors qu'elle ne l'est pas. Elle a trop de défauts, trop de contestations, pour ne pas souhaiter son évolution. Il manque probablement une ouverture dans ce coup de semonce présidentiel. C'était tout le sens de l'évolution entamée par son ministre de l'Agriculture qui considérait que l'alimentation — et non les revenus des agriculteurs qui sont plutôt une résultante d'une politique et non son objectif — était la priorité. L'affrontement européen sera vain si la PAC ne parvient pas à retrouver une légitimité qu'elle a perdue.

Nicolas-Jean Brehon

Photo: Moisson à Hirson, dans le nord de la France. Pascal Rossignol / Reuters

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