Culture

Donald Trump pourrit l'été des cinémas français

Temps de lecture : 5 min

La gestion calamiteuse de la pandémie de Covid-19 outre-Atlantique a des effets négatifs sur le sort des salles du monde entier, et notamment en France.

Nombre de Français·es ont déclaré avoir envie de retourner au cinéma au moment de la réouverture des salles. | JF Dars
Nombre de Français·es ont déclaré avoir envie de retourner au cinéma au moment de la réouverture des salles. | JF Dars

C'est un dommage collatéral, voire un effet papillon à l'envers, disons, un effet éléphant –énorme cause, conséquences dispersées de tailles diverses et de natures peu prévisibles. Il illustre combien la dépendance est grande y compris dans des domaines où, exception culturelle oblige, nous revendiquons une certaine souveraineté. La gestion de la pandémie de Covid-19 aux États-Unis a ainsi des conséquences lourdes pour nos salles de cinéma.

Plusieurs enquêtes, par exemple ici, avaient montré avant la fin du confinement combien les Français·es avaient envie de retourner au cinéma au moment de la réouverture des salles, soit le 22 juin. Mais il y a un léger décalage entre avoir envie d'aller au cinéma et vouloir voir un film.

Outre l'acte d'aller dans une salle, pour toutes les bonnes raisons du monde, il faut quand même un peu de désir pour un objet singulier, un film –cela fait partie de ce qui différencie le cinéma des offres de flux comme la télévision, qu'on peut toujours allumer à tout hasard.

Aller au cinéma, mais pour voir quoi?

Il se trouve que, entre ressorties de titres ayant été distribués au début de l'année et ayant forcément un petit goût de réchauffé (même injuste), et nouveautés pas spécialement attrayantes, l'offre de films n'est pas au rendez-vous de cette reprise espérée.

D'ordinaire, en juin, les titres les plus attractifs sont ceux qui viennent de bénéficier d'une visibilité maximum grâce au Festival de Cannes. Mais en 2020, pas de tapis rouge sur la Croisette ni de plus grand festival du monde. Dans un effort pour contribuer quand même un peu à la vie des titres qu'il aurait soutenus si la manifestation avait eu lieu, Cannes a labellisé une cinquantaine de longs-métrages.

Non seulement l'effet, sans être nul, ne peut pas être à la hauteur d'un accueil en majesté en compétition officielle (et a fortiori d'un prix important au palmarès), mais la quasi-totalité des titres concernés par le label «Cannes 2020» attendent une période plus porteuse, ou en tout cas espérée moins confuse.

De toute façon le mois de juin, même avec la Fête du cinéma, est traditionnellement une période relativement creuse, après laquelle les exploitants ont besoin d'une relance estivale. Celle-ci repose massivement sur les gros films de l'été, qui sont essentiellement des productions hollywoodiennes. Les autres, c'est-à-dire les productions françaises les plus commerciales, préfèrent d'autres périodes de l'année.

Le couple mondialisation et numérique

Ici intervient un effet second, mais pas du tout secondaire, du binôme qui a défini l'entrée dans le XXIe siècle: le couple mondialisation/numérique. Ces blockbusters, qui coûtent des centaines de millions de dollars à produire et autant à mettre sur le marché, ne peuvent être rentables qu'avec une exploitation maximum à l'échelle planétaire.

Or, pour atteindre ce résultat, ils doivent sortir dans le monde entier en même temps. Cette simultanéité reste le meilleur moyen pour empêcher, ou au moins réduire les risques de piratage, qui est un des effets majeurs du numérique dans le domaine des biens culturels.

La sortie mondiale reste, dans la très grande majorité des cas, définie par ce qui demeure, en volume financier, le premier marché, et celui qui est le mieux maîtrisé par les majors, celui des États-Unis.

Les dates de sortie à travers le monde de ces gros films sont donc définies par leur sortie américaine. C'est là que la gestion erratique de la pandémie dans ce pays se trouve avoir des effets également à grande distance des supermarchés à pop-corn californiens, du Michigan ou d'Alabama.

La propagation du coronavirus, facilitée par les choix aberrants et désordonnés des autorités politico-sanitaires, a en effet obligé les grands circuits de multiplexes américains à une succession de choix et de contre-choix qui a fini par ressembler à une danse de Saint-Guy –qu'en l'occurrence on ne saurait leur reprocher.

On a même vu là-bas se déclencher de violentes polémiques autour des enjeux du port du masque dans les salles au cas où elles rouvriraient. La situation y est d'autant plus compliquée qu'elle diffère selon les États, où elle varie selon des critères pas toujours rationnels (litote), et où le port ou non du masque est considéré comme un acte politique.

Ces polémiques sont, dans le cas particulier des salles, envenimées par le fait que dans ce pays, aller au cinéma veut dire ingurgiter des quantités astronomiques de confiseries et de soda –un tantinet compliqué par le fait d'avoir un morceau de tissu sur la bouche. Bref, c'est un vrai foutoir, qui entraîne un effondrement durable de la fréquentation.

De même, on ne saurait reprocher aux studios d'avoir successivement annoncé, puis repoussé, puis annoncé, puis repoussé la sortie de leurs meilleurs champions dans la course au box-office, quand la circulation du Covid-19 rend la possibilité d'ouvrir les salles et la détermination du public à s'y rendre totalement imprévisibles.

Exemplairement, les deux principaux titres attendus pour l'été, Tenet de Christopher Nolan (distribué par Warner) et la version en prises de vue (plus ou moins) réelles de Mulan de Niki Caro (produit par Disney), ont été plusieurs fois déjà ajournés –les autres compétiteurs sont repoussés bien plus tard, ou attendent de se voir attribuer une nouvelle date, quand ils ne vont pas directement sur la VOD.

Christopher Nolan, l'un des grands auteurs du Hollywood contemporain et avocat du rôle des salles dans la vie actuelle et future du cinéma, espère depuis des mois que son film soit l'étendard de la reprise. Il a publiquement regretté ces reports, mais la situation sanitaire et la confusion politique aux États-Unis sont les véritables causes de cette situation.

Attention au tissu

Cette situation affecte en rebond les salles du monde entier, y compris en France. Il serait faux, comme toujours, d'opposer ici cinéma grand public et salles Art et Essai. Le cinéma a besoin que le public revienne: un nombre important de personnes vont voir ces films très commerciaux, c'est aussi ce qui mène certaines d'entre elles devant des films plus exigeants –encore qu'avec Nolan, l'exigence est aussi au rendez-vous.

Les salles indépendantes ont davantage besoin d'aide que les grands circuits, c'est évident, mais si le cinéma se porte mieux en France que partout ailleurs au monde, c'est grâce à la continuité d'un tissu qui comporte des établissements de tailles très variées et aux propositions très différentes. Si ce tissu se déchire, personne n'en sortira gagnant.

Dans la configuration actuelle, et jusqu'au 12 août au moins, nouvelle date de sortie pour l'instant annoncée de Tenet, il revient au nouveau film de François Ozon, Été 85, qui aurait dû être à Cannes, de faire office de film le plus attendu (avec la comédie Tout simplement noir de Jean-Pascal Zadi et John Wax).

Redoutable honneur! Le prolifique et talentueux cinéaste de Potiche et de Grâce à Dieu a toutes les qualités pour y faire face. Mais il est douteux qu'à lui seul, il puisse contribuer à sauver une saison d'été compromise, après la catastrophe du printemps.

Et sans préjuger de la qualité intrinsèque des autres titres annoncés –certains, dont il sera ici bientôt question, sont excellents– il apparaît qu'à eux tous, ils risquent de ne pas être de taille à combler le gouffre estival qui s'annonce. Même en l'absence de deuxième vague de l'épidémie, la situation des salles est loin d'être rassurante, pour l'avenir aussi.

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