Société

Conséquence du Covid-19, le prolongement des années d'études

Temps de lecture : 6 min

En cause, un marché de l'emploi mis à mal par la crise sanitaire et, surtout, l'angoisse de se jeter à l'eau.

Avec les projets avortés à cause de la crise du Covid-19 les réinscriptions en fac augmentent, au risque de ne faire que repousser le problème de l'accès au marché de l'emploi à l'année prochaine. | Andrea Piacquadio via Pexels
Avec les projets avortés à cause de la crise du Covid-19 les réinscriptions en fac augmentent, au risque de ne faire que repousser le problème de l'accès au marché de l'emploi à l'année prochaine. | Andrea Piacquadio via Pexels

À 26 ans, malgré un CV débordant, Nathan n'en a pas fini avec les études. Bac S, prépa B/L (lettres et sciences sociales), école de commerce, Erasmus en Allemagne: il semble avoir coché toutes les cases de l'étudiant modèle. En réalité, son parcours sans faute ne le fait pas rêver. «C'est une illusion de se construire un chemin tout tracé», assume-t-il. Il n'a pourtant pas toujours raisonné ainsi. «C'est vrai qu'à 18 ou 20 ans, on n'a pas l'esprit suffisamment mûr pour décider en toute indépendance.»

Entre l'amour des lettres et la sécurité qu'offre une école de commerce, Nathan suit à cette époque ce qui lui semble être la voie de la raison, soit la deuxième option. Après avoir tantôt vendu des matelas et joué le commercial dans une entreprise de dépistage de produits stupéfiants au cours de différents stages, retour à la case départ. «J'ai tout arrêté pour reprendre mes études à la Sorbonne.» Adieu les calculettes et le profit, bonjour les belles-lettres et les cours en amphi.

Un emploi, oui mais après le corona

Comme Nathan, les étudiant·es de plus de 25 ans se multiplient. Alors qu'on en comptait plus de 230.000 en 2008, elles et ils sont près de 260.000 en 2018 d'après les chiffres du ministère de l'Enseignement supérieur. Cette tendance s'explique en premier lieu par un marché de l'emploi plus saturé qu'auparavant malgré l'accumulation des diplômes. Ce constat est formulé par l'un des spécialistes de l'emploi des jeunes, la plateforme de mise en relation entre professionnel·les et étudiant·es My Job Glasses. Sa cofondatrice, Émilie Korchia, explique que l'ajout de mentions et de diplômes sur son CV ne donne pas plus d'assurance dans la recherche de son premier emploi. Au contraire. «Nous avons remarqué que plus les jeunes sont diplômés, plus ils ont une appréhension.» Cette crainte est aujourd'hui exacerbée par la crise sanitaire qui a bouleversé les plans de nombre d'étudiant·es. Selon un sondage StudentPop, 63%sont inquièt·es quant à leur avenir professionnel.

Sophie appartient justement à cette catégorie arrivée jusqu'aux portes de l'emploi et sans autre choix que de faire du sur-place pour espérer ensuite pouvoir avancer. La jeune femme vient de terminer cinq années à l'école du Louvre à Paris. Là encore, le cursus auréolé n'empêche pas de se retrouver face à un mur: «Les parcours en recherche sont de manière générale compliqués. Couplé au secteur de la culture aujourd'hui sinistré à cause du Covid, il y a tout simplement zéro place», se désole-t-elle.

«On pensait qu'avoir 50% de diplômés du supérieur serait une solution au chômage des jeunes, pourtant il reste très élevé pour cette tranche d'âge.»
Marie Duru-Bellat, professeure émérite en sociologie

«J'étais censée partir en stage pour le festival des rencontres d'Arles pendant six mois puis commencer ensuite un service civique. Tout a volé en éclats à cause du corona.» À la rentrée prochaine, Sophie ne sera pas à Arles mais à Paris I pour un nouveau master en sciences et techniques de l'exposition. C'est la seule solution qu'elle a trouvée pour retarder son entrée sur un marché de l'emploi qu'elle imagine plus serein l'an prochain.

«De manière générale, il semble que les réinscriptions augmentent en ce moment», fait remarquer Marie Duru-Bellat, sociologue, professeure émérite à Sciences Po et spécialiste de l'éducation et de l'enseignement supérieur. «Si tout le monde prolonge d'un an, ils vont se retrouver à la même place dans la file d'attente», anticipe-t-elle. Car en soit, avoir un Bac+5 ou +6 n'aura pas grande incidence sur l'issue professionnelle. «C'est la conjoncture qui fait fondamentalement le rendement des diplômes», résume Marie Duru-Bellat. En effet, il y a une vingtaine d'années, la France présentait le taux de diplômé·es du supérieur le moins élevé parmi ses voisins européens. Une politique en cette faveur a été engagée, incitant à avoir au moins 50% de diplômé·es du supérieur. «Maintenant on les a. On a même 15% d'une tranche d'âge qui est au niveau master, ce qui est même plus élevé qu'ailleurs. On pensait que ce serait une solution au chômage des jeunes, pourtant, le chômage de cette tranche d'âge reste très élevé.»

Il n'y a pas de stage «soft skills»

Freiné·es à cause du contexte économique, les étudiant·es le sont aussi par leur manque de préparation. Entre la fac et le monde professionnel, la marche reste haute. «Les étudiants sont assez peu guidés sur de nombreux aspects concrets de la recherche d'emploi. Savoir faire une lettre de motivation, un CV [...]. Certes on peut trouver plein de modèles sur internet mais pour que ça ait du sens, il faut quand même connaître certains codes que l'on n'apprend pas dans les livres», indique Laurentine Véron, psychologue et fondatrice d'Apsytude, une association qui favorise le bien-être des étudiant·es.

Ce monde trop académique et désincarné, Clémence le pointe justement du doigt. Après avoir obtenu un diplôme à l'EM Lyon, l'une des plus grandes écoles de commerce en France, l'étudiante de 24 ans s'est réorientée en fac de philo: «J'ai le sentiment d'être passée d'un extrême à l'autre, d'un monde où l'on parle d'action, où l'on agit, à un monde où la réflexion est absolue.» De plus en plus de jeunes remarquent en effet une fois arrivé·es en stage que leur formation leur donne un bagage de savoirs plus que complet, mais peu sur les compétences que l'on appelle communément les «soft skills» sur Linkedin et autres applications dédiées à l'emploi.

«On ne peut rien tenter parce que passé 25 ans, l'étudiant est considéré comme un Tanguy de l'université.»
Laurentine Véron, psychologue

Pour Nathan, l'amoureux de la littérature, la douche fut froide lorsqu'il s'est frotté aux premières exigences d'une entreprise: «J'ai passé six mois de stage dans une boîte de matelas à comprendre que le seul intérêt de la société était de vendre. Certes, c'était formateur, mais je n'avais plus aucune stimulation intellectuelle.»

À la différence des générations précédentes prêtes à vivre leur carrière d'une traite dans une seule et même entreprise, les jeunes une fois leur diplôme en poche cherchent du sens dans leur travail et fuient le bull-shit job, littéralement «job à la con». «La jeune génération fait ce qu'elle veut et n'hésite pas à se dire “si ça ne me plaît pas, je vais voir ailleurs”. Elle est moins patiente et plus exigeante», témoigne Emilie Korchia, la cofondatrice de My Job Glasses.

L'exigence naît aussi de l'importance donnée au regard des autres. «Dans notre société, il faut savoir d'emblée ce qu'on veut faire. On ne peut pas tenter d'expériences parce que passé 25 ans, l'étudiant est considéré comme un Tanguy de l'université», reconnaît Laurentine Véron. Elle cite d'ailleurs en exemple l'un des poncifs de l'éducation: les pays nordiques et leur modèle d'enseignement. «Contrairement à la France, les étudiants y disposent d'années de césure pour vivre leur vie et savoir ce qui les animent.» Pour la psychologue, le temps de la réflexion ne devrait pas être une option, notamment pour un public «en plein questionnement existentiel».

Une police des âges

Confronté aux interrogations de ses nouveaux jeunes camarades de promo sur son âge, Nathan doit aussi essuyer les remarques de ses parents lorsqu'il rentre à la maison. Lui qui cumule les petits boulots pour s'assumer financièrement –entre un job freelance de commercial, quelques fiches de littérature pour un site de cours particuliers et un poste de caissier le week-end– passe pourtant pour «le branleur de service». «Tout ça parce que je suis précaire et que je n'ai pas investi dans une carrière ou dans le foncier.»

Ce sentiment de devoir jouer les adultes très vite, Lucie l'a aussi perçu. Elle qui multiplie les stages en création publicitaire dans de grands groupes se voit promise à un bel avenir. «Un jour, ma boss me demande au détour d'une conversation quel métier je rêvais de faire petite. Et là, gros trou noir. Je lui réponds des banalités: “Peut-être infirmière ou encore avocate”. Quand je suis rentrée chez moi, je me suis dit: “Mais moi je veux faire du théâtre, c'est évident!»

«Je passe pour un branleur parce que je suis précaire et que je n'ai pas investi dans une carrière ou dans le foncier.»
Nathan, 26 ans, surdiplômé

À 23 ans, elle fait machine arrière et pousse les portes du conservatoire pour suivre une formation artistique. Ce nouveau cap implique aussi de revenir chez papa-maman. «Pour moi, ça s'était enchaîné très logiquement après le bac, mais sans véritable choix. Tes premières expériences pro tu te dis: “Je prends ce qui se présente”. C'est un peu subi.» En choisissant le «filet de sécurité», Lucie en avait ainsi oublié sa passion première.

S'il faut accepter de s'écouter quitte à faire demi-tour en cours de route, il faut aussi se faire confiance lorsque l'on est prêt. Professeure à l'EPJT (École publique de journalisme de Tours), Laure Colmant a dû plusieurs fois refuser le passage d'étudiant·es au niveau supérieur. Non pas qu'elles et ils n'avaient pas le niveau pour continuer. Mais au contraire parce que ces jeunes étaient «trop formés». «Ces étudiants avaient déjà un très bon bagage, ça n'avait donc pas d'intérêt pour eux de continuer.» Si pour certain·es cette mise au point peut être vécue comme un échec, la plupart rebondissent et trouvent du travail dans la foulée. «J'ai l'habitude de leur dire: “Ok, c'est dur, mais n'ayez pas peur, l'inconnu c'est intéressant aussi”.»

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