Égalités / Société

Et si le confinement avait eu raison de Marie Kondo?

Temps de lecture : 3 min

Si j'avais appliqué la méthode KonMarie avant de me retrouver enfermée des mois avec ma famille, je n'aurais pas pu m'occuper et donner des choses à bricoler à mes enfants.

Autant dire que je ne suis pas près de jeter cette baguette en bois cassée qui me sauvera peut-être la vie dans dix ans. | Toa Heftiba via Unsplash
Autant dire que je ne suis pas près de jeter cette baguette en bois cassée qui me sauvera peut-être la vie dans dix ans. | Toa Heftiba via Unsplash

C'est un effet collatéral de la pandémie que l'on a négligé: et si le confinement avait eu la peau de la méthode KonMarie? Pour rappel, il s'agit de la méthode de tri et rangement mise au point par Marie Kondo, cette Japonaise qui a fait du rangement un empire commercial à une échelle mondiale sous forme de conférences, stages, série Netflix, livres et une armée de consulant·es certifié·es prêt·es à venir ranger votre tiroir à merdouilles contre rémunération.

J'avais déjà évoqué le problème de sexisme que posait la série Netflix. Mais j'avais également trouvé des choses intéressantes dans ce que Marie Kondo révélait de notre rapport aux objets. Un rapport totalement névrotique au sein duquel effectuer un tri avait une portée quasi psychanalytique.

Je n'ai jamais effectué le grand nettoyage kondonien (elle exige quand même qu'on porte une robe et des chaussures à talon pour faire son tri et qu'on s'agenouille au milieu de son salon pour remercier sa maison), mais j'avais malgré tout jeté des choses.

Et j'étais contente.

J'avais suivi la règle de «l'étincelle de joie». Vous prenez la chose dans vos mains, si votre corps n'est pas parcouru d'une étincelle de joie, vous jetez. Et vous oubliez les «mais ça pourrait me servir un jour».

L'angoisse de vivre dans une maison kondo-compatible

Je n'ai rien regretté parmi ce qui avait fini à la poubelle mais avec le confinement, j'étais bien contente d'avoir gardé tout un tas de trucs plus ou moins pourris et/ou cassés. Parce qu'à défaut de me fournir un frisson de joie, ils m'ont servi pour improviser des activités pour occuper les enfants. Ou bien ce tapis de sol dont je pensais qu'il ne me servirait plus jamais a été bien utile pour mes séances de gym.

J'ai essayé d'imaginer de passer le confinement dans une maison kondo-compatible, à savoir où il ne reste tellement rien que même le terme de minimalisme est excessif, et ça m'a collé une angoisse. Comme la maison des Kardashian/West qui sont à la fois tellement riches et minimalistes que dans leur salle de bain il n'y a même pas d'évier (allez voir ça, c'est à 0'50 secondes dans la vidéo).

Capture d'écran via YouTube.

Je ne supporterai pas de vivre dans une maison aussi vide. Quand j'arrive dans une chambre d'hôtel, au bout d'une heure, on dirait que ça fait dix ans que j'y vis.

Pour survivre au confinement, j'avais besoin de savoir que les objets étaient là, quelque part. C'est ce que raconte Amanda Mull dans un article de The Atlantic. Au début du confinement, elle a été contacté par un lecteur qui peu de temps auparavant avait appliqué la méthode Marie Kondo, et en avait été ravi. Mais depuis qu'il était confiné chez lui, il regrettait amèrement. Il avait même racheté des jeux qu'il avait jetés parce qu'il n'avait pas le temps de jouer avec sa famille.

Marie Kondo ferait-elle partie du monde d'avant?

Et puis, il y a un côté vaguement survivaliste. L'idée de Marie Kondo de jeter même les choses dont on pourrait un jour se servir (elle propose pour les plus rétifs et les plus rétives de les mettre de côté pendant un an, après quoi, si on n'en a pas eu l'usage de s'en débarrasser) fonctionne dans une société où il suffit de sortir de chez soi pour aller dans un magasin en acheter un nouveau. Or nous venons de vivre une situation où ce n'était plus possible. (Et qui me paraît dans le fond être en lien avec un impératif écolo de détourner des objets pour les réutiliser plutôt que de les envoyer à la décharge.) Ça m'a rappelé un des succès récents de librairie. Dans la forêt, de Jean Hegland qui raconte comment dans un monde rongé par des catastrophes (dont une épidémie me semble-t-il), deux sœurs adolescentes se retrouvent à vivre seules dans la maison familiale en pleine forêt. Et bah je peux vous dire que dans le livre, elles sont bien contentes de pouvoir fouiller dans le bordel et trouver de quoi survivre. Si Marie Kondo était passée par là, Nell et Eva ne tenaient pas quinze jours en vie.

Ranger me donnait une perspective

Dans le fond, on garde souvent des choses en cas de catastrophe. Et le fait que de nos jours, les maisons de riches sont extrêmement dépouillées va dans ce sens. (La maison des Kardashian, ou la maison dans le film Parasite.) C'est la preuve que les riches n'ont pas à s'inquiéter. Ils sont à l'abri du besoin. Ils n'ont donc pas besoin d'accumuler des objets.
Sauf que voilà, avec la pandémie et le confinement, c'est comme si le monde nous avait donné raison, à nous les angoissé·es. Autant dire que je ne suis pas près de jeter cette baguette en bois cassée qui me sauvera peut-être la vie dans dix ans.

Enfin, dernier point qui donne tort à Marie Kondo. Pendant le confinement, j'étais contente de n'avoir pas fait de grand rangement parce qu'alors il restait à faire. Ça me donnait une perspective. J'avais un projet. Un futur. La possibilité de reprendre du pouvoir en faisant le tri. Alors que si le tri avait déjà été fait je me serais retrouvée en position fœtale sur le canapé en train de pleurer silencieusement.

Mais je vous conseille évidemment de conserver le livre de Marie Kondo au cas où il vous serve un jour.

Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq.

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